Je ne sais pas à quel article vous faites allusion, monsieur le président ; pour ma part, j'ai lu l'entretien que le président a donné au journal Les Échos de ce matin. C'est vrai, il adopte un ton optimiste sur la reprise - sans doute est-ce en effet une manière d'encourager les entreprises -, mais il signale également des facteurs de risque, notamment en ce qui concerne l'emploi - la difficulté de certaines entreprises à trouver des salariés, par exemple dans la restauration et l'hôtellerie - et les tensions inflationnistes, en particulier sur les matières premières, qui peuvent affecter le bâtiment. Le prix de certains matériaux augmente de 30 %. Or les contrats sont signés pour plusieurs années, sans possibilité de renégocier le prix malgré la hausse du coût des matières premières. Il y a donc des facteurs de risque dans l'économie, que le Medef ne sous-estime pas, malgré la volonté que l'économie reparte le plus vite possible.
Mon propos aura une tonalité plus ambivalente que les précédents ; c'est normal.
Sur les mesures de compensation, nous saluons l'effort remarquable déployé par Bercy, notamment par la DGFiP, pour accompagner les entreprises. Je parle de « mesures de compensation » et non d'« aides », car l'économie française se portait très bien fin 2019 et c'est à cause de décisions publiques prises dans le domaine sanitaire que nous avons connu un retournement de conjoncture ; il a donc fallu prendre des mesures de compensation. On constate le résultat de cette action remarquable, puisque le nombre de défaillances a chuté en 2020 et que la hausse du chômage a été limitée à un tiers de celle qui a suivi la crise de 2008-2009 : 300 000 emplois, contre 1 million.
Le Medef est favorable à la réduction progressive des mesures de compensation ; le « quoi qu'il en coûte » doit trouver sa solution, au sens chimique du terme, et laisser la place à l'économie « normale ». Nous avons été consultés par le ministre de l'économie sur les mesures de dégressivité du fonds de solidarité et sur la restriction de l'activité partielle ; la dégressivité et la sélectivité sont logiques, même si l'accompagnement de certains secteurs doit être poursuivi.
L'activité partielle a coûté cher aux finances publiques, mais également à celles de l'Unédic, qui supporte un tiers du coût de la mesure, soit près de 8 milliards d'euros. C'est pourquoi nous attendons avec impatience la mise en oeuvre de la réforme de l'assurance chômage ; l'entrée en vigueur de cette réforme permettra d'assainir la situation financière de l'Unédic et contribuera au rétablissement de la confiance, donc à la reprise.
J'en viens aux outils d'accompagnement de la sortie de crise. Des dispositifs ont été annoncés la semaine dernière à Bercy, pour faciliter la détection des difficultés en amont et assouplir les procédures collectives, mais il n'y a pas que cela.
Parmi les autres éléments figure, premièrement, la possibilité de continuer à percevoir des compensations sélectives, dans les secteurs dont la reprise sera plus lente ; je pense en particulier au tourisme ou à l'évènementiel.
Par ailleurs, pour prévenir les difficultés, il faut éviter que les entreprises ne se retrouvent en procédure collective. Le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen contient justement des mesures qui peuvent prévenir certaines difficultés ; je pense au déplafonnement du report en arrière du déficit - ou carry back -, qui permettra aux entreprises ayant subi des pertes majeures en 2020 et qui en subiront encore en 2021 d'amortir ces pertes grâce aux bénéfices engrangés précédemment. Nous avons en tête une trentaine d'entreprises, d'une taille significative, qui pourraient bénéficier de ce dispositif, si vous l'adoptiez.
Ce projet de loi de finances rectificative comprend également un fonds de transition, doté de 3 milliards d'euros, qui est intéressant pour accompagner en fonds propres ou en quasi fonds propres les entreprises avant que celles-ci ne doivent se présenter devant un tribunal de commerce.
Ce projet de loi précise aussi les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent proposer la prime défiscalisée dite « Macron ». Comme nous le recommandions, un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale afin d'assouplir ce dispositif, pour tenir compte, d'une part, du degré d'exposition des salariés au covid et, d'autre part, des autres primes qu'ils ont pu toucher. À force de donner des injonctions aux chefs d'entreprise sur la façon de rémunérer leurs salariés, on ne crée pas un climat de confiance en l'avenir...
Le troisième outil, c'est le plan annoncé la semaine dernière. Je souhaite évoquer rapidement la méthode : on parle d'un « accord de place », mais il s'agit plutôt d'une décision de l'État à laquelle on a associé ensuite les professions du chiffre et du droit, puisque la concertation a duré très peu de temps... De même, l'adoption, de nuit, d'un amendement tendant à prévoir de nouvelles dispositions sur les procédures collectives n'a pas été précédée de la moindre concertation avec les partenaires sociaux. Je le déplore, car, même si nous ne sommes pas hostiles au dispositif, nous aurions pu suggérer quelques modifications.
Le Medef est globalement favorable à la philosophie décrite par Jérôme Fournel ; l'idée de détecter les situations en amont et de permettre aux entreprises d'avoir une approche plus fluide et moins traumatisante des procédures collectives nous paraît très bonne ; si vis pacem, para bellum, comme l'a dit le président du Medef.
Néanmoins, nous avons deux réserves. Premièrement, les entreprises ont toujours une difficulté psychologique à recourir au tribunal de commerce ; cela reste traumatisant. Les mesures pour faciliter l'accompagnement des chefs d'entreprises vont dans le bon sens, mais l'obstacle existe toujours. Deuxièmement, nous espérons que ce dispositif sera peu utilisé. On peut effectivement craindre, après une forte baisse des procédures collectives en 2020, une reprise de ces procédures, mais nous ne croyons pas beaucoup à ce « mur des faillites ». Selon nous, même si la structure financière des entreprises a été bouleversée, les PGE n'ont pas été accordés de façon inconsidérée ; le filtre des banques a évité d'accorder ce prêt à des entreprises « zombies ». Nous verrons quel sera le taux de sinistralité du PGE, mais nous ne pensons pas qu'il y aura des défauts massifs.
Dernier élément important pour la sortie de crise : la confiance. Deux facteurs peuvent contribuer à la confiance des chefs d'entreprise. Premier élément, il faut que le Gouvernement confirme qu'il n'y aura pas de hausse d'impôt, car l'un des enjeux de la sortie de crise est la désépargne des Français, qui ont accumulé une épargne massive pendant la crise. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), si seulement 20 % de la surépargne de 150 milliards d'euros accumulée pendant la crise sont injectés dans la consommation, on peut en attendre entre 1 et 1,5 point de croissance en 2021-2022. Pour cela, il faut que nos concitoyens soient sûrs qu'il n'y aura pas de hausses d'impôt. Second élément : la question des retraites ; si nous voulons rassurer les consommateurs et les entrepreneurs, il faut éviter l'épée de Damoclès d'un nouveau débat social houleux. Il faut une réforme, certes, mais celle-ci doit être ample, suffisante, légitime et arriver au bon moment. Nous ne voulons pas de perturbations d'ici au printemps 2022.