Intervention de Michel Mercier

Réunion du 25 octobre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Michel Mercier, garde des sceaux :

Donner aux mineurs les meilleures chances de rompre avec la délinquance et de se construire un avenir est l’objectif au cœur de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.

En donnant la primauté à l’éducatif, conformément à l’esprit de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, tout en retenant le principe du volontariat, le service citoyen créé par ce texte doit permettre aux jeunes délinquants de s’inscrire dans un véritable parcours de réinsertion.

Le contrat de service en établissement public d’insertion de la défense, EPIDE, constitue ainsi un nouvel instrument dans la palette mise à disposition du juge pour améliorer la prise en charge de mineurs primo-délinquants ou ayant commis des actes de faible gravité. Cette mesure peut être prononcée au titre de la composition pénale, dans le cadre d’un ajournement de peine ou d’un sursis avec mise à l’épreuve, et s’adresse à des mineurs âgés de plus de seize ans qui ont exprimé leur consentement à la mesure.

Comme vous le soulignez à juste titre dans votre rapport, madame, ce texte ne crée pas d’instrument nouveau mais s’inscrit dans le dispositif « Défense deuxième chance », qui offre, vous l’admettez vous-même, des résultats encourageants en matière d’insertion.

J’ai bien entendu les inquiétudes exprimées, mais que ceux qui s’interrogent entendent les deux arguments que je vais développer.

D’une part, pour les mineurs, plus encore que pour les majeurs, nous devons adapter la réponse pénale à la diversité des profils et imaginer toutes les solutions de nature à offrir une prise en charge efficace. Pour ma part, j’ai la certitude qu’il ne faut se priver d’aucun outil pour favoriser la réinsertion d’un mineur délinquant. Le service citoyen est un instrument original susceptible de répondre aux besoins de certains mineurs ; il faut donc pouvoir y recourir sans attendre.

D’autre part, s’il propose un accueil et un programme adaptés, ce nouveau dispositif ne dévoiera pas l’identité de l’EPIDE.

Le contrat de service en EPIDE est un dispositif efficace et adapté au profil de ces mineurs. Alliant encadrement et pédagogie, il les inscrit dans un véritable parcours de réinsertion.

Ce contrat s’adresse aux jeunes pour lesquels ni le placement en centre éducatif fermé ni l’incarcération ne constituent une réponse adaptée, mais qui ont néanmoins besoin d’être encadrés strictement.

En 2010, 72 381 mesures de milieu ouvert et 7 650 mesures de placement ont été ordonnées par les parquets et juridictions pour mineurs. L’autorité judiciaire dispose aujourd’hui d’une large palette de solutions permettant d’adapter la réponse pénale au profil du délinquant. Il s’agit donc aujourd’hui de compléter les mesures que le juge peut prononcer. Cette adaptation de la réponse pénale à la diversité des profils est nécessaire à la prise en charge la plus efficace possible.

À cet égard, le contrat de service citoyen a trois objectifs : premièrement, une mise à niveau des fondamentaux scolaires ; deuxièmement, une formation civique et comportementale grâce à laquelle ces jeunes réapprendront les règles du « vivre ensemble » ; troisièmement, enfin, une pré-formation professionnelle, en partenariat avec des employeurs et des structures locales, afin de favoriser l’embauche de ces jeunes dans des secteurs d’emploi qui recrutent.

Depuis leur création, en 2005, les centres EPIDE ont largement fait la preuve de leur efficacité pour l’encadrement et la formation de jeunes majeurs en perte de repères, grâce à leur double mission, d’une part, d’insertion sociale et professionnelle, d’autre part, de prévention de la délinquance.

Je rappelle que l’EPIDE est une structure civile, qui s’inspire à la fois du modèle militaire mais aussi des méthodes des travailleurs sociaux. Il ne s’agit donc pas de confier à l’armée nos jeunes délinquants. C’est précisément la complémentarité entre les formateurs professionnels et les anciens militaires, ces derniers représentant 42 % des personnels encadrants, ainsi que les partenariats avec le monde de l’entreprise qui font la force du dispositif.

Il ne faut se priver d’aucun outil de nature à permettre au jeune de sortir de la délinquance : la seule réponse pénale adaptée pour ce public est celle qui assurera sa réinsertion.

En disant cela, je ne fais pas preuve d’une grande originalité, mais je souhaite montrer mon attachement au principe de primauté de l’éducatif, maintes fois rappelé par le Conseil constitutionnel.

Les mineurs, de même que leurs parents, devront exprimer leur consentement à cette mesure. J’insiste sur cette idée d’adhésion, car c’est une mesure globale à laquelle toutes les parties prenantes doivent être associées.

Cette modalité est la même que pour le travail d’intérêt général. Également prononcé dans le cadre d’une mesure judiciaire, le TIG nécessite l’adhésion du délinquant afin que la mesure donne de bons résultats.

Pour produire pleinement ses effets, le contrat de service s’inscrira dans la durée, pour une période comprise entre six et douze mois, et le séjour moyen sera probablement de dix mois. En outre, le mineur aura la possibilité, à l’issue de la mesure judiciaire, de prolonger son contrat, de son propre chef et en accord avec l’EPIDE. À l’inverse, si le jeune méconnaît ses engagements, il reviendra au directeur de l’établissement d’en informer l’autorité judiciaire. Cette dernière se prononcera sur les suites à donner, qui pourront aller jusqu’à la révocation de la mesure.

En outre, parce qu’il correspond aux missions et à l’expérience de l’EPIDE, et parce que nous renforcerons les moyens de cet établissement pour mettre en place le dispositif, le service citoyen ne viendra ni le dénaturer ni le déstabiliser.

En élargissant le public de l’EPIDE, comme le prévoit la proposition de loi, nous ne fragilisons pas ces centres, mais nous prolongeons leur mission pour mener l’action de réinsertion le plus en amont possible. Je rappellerai que, depuis 2010, l’EPIDE travaille déjà avec la Protection judiciaire de la jeunesse à l’insertion de jeunes majeurs qui, ayant purgé leur peine, souhaitent s’engager dans un projet de formation professionnelle.

La Chancellerie a mené un travail de grande qualité avec les services de l’EPIDE, en amont de la discussion de ce texte, afin de construire ensemble les conditions d’accueil et d’encadrement de ces jeunes. Aujourd’hui, l’établissement public est prêt à les accueillir et à les former.

Je crois particulièrement important d’intégrer ces mineurs au public actuel des centres et de les inscrire dans la dynamique de reconstruction des jeunes majeurs qui suivent le programme de l’EPIDE. Il n’y aura ainsi ni stigmatisation ni dévoiement du dispositif, d’autant que la proposition de loi prévoit que les mineurs délinquants resteront minoritaires, puisqu’ils représenteront au plus 10 % des effectifs.

Je suis profondément convaincu de l’effet bénéfique que pourront avoir les majeurs sur les plus jeunes. En effet, leur présence s’inscrivant dans le cadre d’un projet d’avenir, elle aura un effet d’entraînement, qui, loin de fragiliser le groupe, bénéficiera au contraire à sa cohésion.

Il n’est pas question de modifier le statut de l’EPIDE pour le placer sous la tutelle du ministère de la justice, car même si c’est bien le juge qui propose la mesure, le contrat de service en établissement public d’insertion de la défense n’est pas une mesure de placement.

Le service citoyen ici proposé suppose bien évidemment que soit renforcé le dispositif existant de l’EPIDE : ses moyens seront ainsi augmentés afin de créer progressivement de nouvelles places dédiées et d’assurer une formation complémentaire des personnels pour un encadrement adéquat.

Dès février 2012, les trois centres de Bourges, Belfort et Val-de-Reuil pourront accueillir les premiers mineurs concernés. D’ici au mois de juin, 15 centres pourront accueillir des mineurs délinquants. Nous disposerons alors de 166 places permettant d’accueillir 200 jeunes.

Par ailleurs, toujours dans le souci de moderniser la justice des mineurs tout en préservant son identité et ses spécificités, le texte vise, dans son second volet, à mettre notre droit en conformité avec les exigences posées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions récentes des 8 juillet et 4 août.

Sur proposition du Gouvernement, l’Assemblée nationale a, en effet, introduit un article qui tire les conséquences de ces décisions quant à la composition du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel pour mineurs et aux modes de poursuite devant le tribunal correctionnel pour mineurs.

Ces dispositions permettent d’abord de renforcer l’impartialité des juridictions pour mineurs, en prévoyant notamment que le juge des enfants qui aura instruit l’affaire et l’aura renvoyée pour être jugée ne pourra pas présider le tribunal.

La proposition de loi précise ensuite, s’agissant des modalités de saisine du tribunal correctionnel pour mineurs institué par la loi du 10 août dernier pour les récidivistes de plus de seize ans, que le parquet aura la faculté de demander au juge des enfants le renvoi dans un délai très rapproché, fixé entre dix jours et un mois. Ce mode de poursuite par voie de requête devant le juge des enfants assure la conciliation du rôle de ce magistrat, tel qu’il est défini par le Conseil constitutionnel, avec l’exigence d’une réponse rapide, lorsque, bien sûr, celle-ci est possible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis l’adoption de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, la justice pénale des mineurs repose sur les principes fondamentaux que sont la primauté donnée à l’éducatif sur le répressif, l’atténuation de la responsabilité pénale et la spécificité de la procédure pénale. Ce sont là des objectifs indissociables qu’a rappelés le Conseil constitutionnel il y a quelques semaines de cela, et le texte qui vous est proposé s’y conforme pleinement, dans toutes ses dimensions.

Je crois profondément que nous ne devons pas nous priver de ce nouvel outil de réinsertion sociale et professionnelle que constitue le service citoyen, car il est un moyen pertinent et efficace pour prévenir la récidive de jeunes qui ne sont pas encore ancrés dans la délinquance. Le contrat de service citoyen est une chance pour eux, car l’EPIDE saura leur réapprendre les fondamentaux ainsi que les règles du « vivre ensemble » en leur donnant les clés d’une insertion professionnelle.

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