Intervention de Virginie Klès

Réunion du 25 octobre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès, rapporteu :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce qui me concerne, je ne vois dans le titre du texte que nous examinons aujourd'hui – Instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants – qu’un seul objectif. Or je trouve pourtant dans son contenu deux objets fondamentalement différents et n’ayant pas grand-chose à voir l’un avec l’autre.

Ainsi, les articles 1 à 4 définissent le service citoyen, en fixent les objectifs ainsi que les conditions de création. Ce service citoyen, objet de la proposition de loi, s’effectuerait au sein d’un des centres de l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE, dans le cadre de la composition pénale, de l’ajournement de peine ou du sursis avec mise à l’épreuve.

L'article 6, lui, n’a aucun lien ni avec le titre ni avec l’objet de la proposition de loi. Introduit à la suite de l’adoption d’amendements gouvernementaux au cours de la lecture à l’Assemblée nationale, cet article emporte de nouvelles modifications de la justice pénale des mineurs pour tenir compte de décisions du Conseil constitutionnel rendues l’été dernier.

Pour autant, il n’y avait aucune urgence à inscrire ces dispositions dans la loi puisque le Conseil constitutionnel nous a laissé jusqu’au 1er janvier 2013 pour ce faire.

De surcroît, dans cet article 6, nous retrouvons, porté par M. Ciotti, le dogme de la transposition aux mineurs des principes de fonctionnement de la justice des majeurs, notamment en matière de délais de comparution.

Une fois de plus, l’enfant est considéré comme un adulte miniature et non comme un être en cours de construction, à éduquer.

Cet article 6 est un cavalier législatif. Un certain nombre d’entre nous, en commission des lois, ont même dit qu’il était plus que cavalier. Rédigé sans aucune concertation préalable avec les magistrats, ne revêtant, je le répète, aucun réel caractère d’urgence, venant après une réforme judiciaire qui vient déjà d’éloigner les tribunaux des citoyens, il touche profondément à l'organisation de la justice, au fonctionnement des tribunaux et des greffes, déjà asphyxiés par la surcharge de travail.

Il n’est pas fait état, dans cet article 6, de la façon dont les magistrats appelés à s’occuper de nouveaux dossiers relatifs à des mineurs pourront en prendre connaissance et se concerter entre eux : quid des trajets nécessaires à prévoir dans des emplois du temps, je le répète, déjà surchargés ?

Il n’est pas plus tenu compte, dans le texte, de la complexité de la tâche, au regard des deux principes constitutionnels à faire coexister : d'une part, la primauté de l’éducatif sur le répressif en matière de délinquance des mineurs, qui a pour corollaires la nécessaire connaissance des mineurs et leur non moins nécessaire suivi ; d'autre part, le droit à un procès équitable, rappelé par le Conseil constitutionnel l’été dernier.

Il y avait des propositions du côté des magistrats. En tout cas, il y aurait pu en avoir, mais, puisqu’ils n’ont même pas été interrogés, ils n’ont, a fortiori, pas été entendus ! Aujourd'hui, nous ne pouvons que regretter – une fois de plus – la façon de faire du Gouvernement.

Si le Sénat n’agissait pas énergiquement, l’ordonnance de 1945 se trouverait encore modifiée, par petits morceaux, toujours selon le même procédé – ne serions-nous pas là en état de récidive légale ? – : calquer la justice des mineurs sur celle des majeurs. Quelle ignorance superbe de la psychologie spécifique des mineurs, notamment des mineurs délinquants ! Quel mépris affiché pour des professionnels qui œuvrent contre la délinquance des mineurs ! Surtout que les compétences en la matière ne se trouvent assurément pas du côté du Gouvernement : légiférer coup sur coup ne lui a pour autant pas permis d’obtenir des résultats sur la délinquance des mineurs. C’est M. Ciotti lui-même qui nous le dit, le phénomène ne ferait que s’aggraver et s’amplifier.

Les caractéristiques de la délinquance des mineurs sont effectivement à étudier de près. Il serait bon que ceux qui se disent férus de discipline militaire se montrent tout aussi férus de discipline quant à l’interprétation des statistiques et au choix des termes à employer.

La délinquance des mineurs est ramenée sans arrêt au nombre de faits constatés. Or le fait qu’elle augmente ne veut pas dire qu’il y a davantage de mineurs délinquants : cela n’a rien à voir ! S’il y a de plus en plus de faits recensés, c’est sans doute lié à la façon de les comptabiliser et aux réponses qui y sont apportées.

M. Ciotti nous affirme, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, que la part de la délinquance des mineurs dans la délinquance globale augmente plus vite que celle des majeurs. Or, selon les chiffres étudiés, c’est l’inverse. Contrairement à ce qu’il affirme, les mineurs de moins de treize ans impliqués dans des faits de délinquance sont très rares : moins de 2 %.

En revanche, M. Ciotti oublie de nous parler des filles, de ces mineures délinquantes dont le comportement devient aujourd'hui préoccupant.

Il oublie aussi de nous dire que 70 % des mineurs délinquants ne sont traduits qu’une seule fois devant les tribunaux, que seuls 5 % des mineurs délinquants sont responsables de la moitié des faits, que seuls 5 % des mineurs délinquants deviennent, un jour, des adultes délinquants.

Il oublie encore de nous dire que la délinquance du mineur peut passer par plusieurs actes posés sans qu’il faille pour autant désespérer de la rééducation et de la lutte contre la délinquance.

S’agissant du choix des termes, il s’agit, certes, d’une proposition de loi. Sans doute fut-ce le cas initialement, mais elle a été tellement réécrite par des amendements gouvernementaux que je me demande si le texte qui nous est soumis ne serait pas plutôt un projet de loi. Peu importe finalement, sur le plan juridique, c’est bien une proposition de loi : cela évite toute étude d’impact – on se demande bien pourquoi… – et un passage devant le Conseil d'État.

On nous dit que les magistrats sont en demande d’établissements supplémentaires. Non ! Ce qu’ils veulent, c’est davantage de places et de moyens dans les établissements existants, y compris et surtout en milieu ouvert. Ces établissements existent, mais ils ont beaucoup de mal à fonctionner : leurs budgets diminuent, les emplois en équivalents temps plein alloués à la PJJ, la Protection judiciaire de la jeunesse, subissent une baisse régulière, tout comme les moyens de fonctionnement.

Ce sont les places qui font défaut, pas les établissements ni les dispositifs. Que l’on ne vienne pas nous dire le contraire ! Aujourd'hui, 95 % des mesures suivies par la PJJ le sont en milieu ouvert.

Le « service citoyen » nous arrive donc après le service militaire et après le service militaire adapté. Si ceux-ci avaient certainement leurs défauts, au moins savions-nous de quoi il retournait. Aujourd’hui, entre le service civique, le service civil, le service citoyen, nos concitoyens ont de quoi s’y perdre. Effectivement, plus personne ne sait de quoi on parle. Il est même question d’un « contrat de service », nouvelle appellation à la mode, mais notion, qui, sur le plan juridique, brille dans un flou artistique des plus piquants !

Demain, que sais-je, la mode sera peut-être au « service républicain » ou au « service démocratique »…

M. Ciotti, toujours dans l’exposé des motifs, pour montrer à quel point sa proposition de loi est indispensable, indique que 93 % des Français interrogés ont jugé nécessaire la création de ce nouveau dispositif pour les mineurs délinquants. Or, si les Français ont répondu oui, ce n’est pas à cette question-là, mais bien à une autre : faut-il créer un service citoyen pour les mineurs multirécidivistes ? Ce n’est pas tout à fait pareil, d’autant que, monsieur le garde des sceaux, vous nous avez dit vous-même tout à l’heure que le dispositif ne concernait pas les multirécidivistes.

En outre – mais c’est sans doute accessoire –, mieux vaut sans doute interroger les Français pour recueillir l’avis favorable de 93 % d’entre eux plutôt que de s’intéresser à l’opinion de quelques magistrats et professionnels de la délinquance juvénile ; ceux-ci n’ont sans doute pas, sur la question, en tout cas aux yeux de M. Ciotti, un avis digne d’être entendu…

Le public de ce « service citoyen » est donc constitué de mineurs délinquants, âgés de seize à dix-huit ans ; c’est en tout cas la seule chose que j’ai comprise. Reste à savoir s’il s’agit de primo-délinquants ou de récidivistes dangereux qui, pour M. Ciotti, doivent être enfermés, moins pour les protéger contre eux-mêmes que pour protéger la société.

En arriver à un tel raisonnement, vouloir protéger la société contre ses propres enfants est, à mon sens, dramatique.

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