Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 25 octobre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Mais revenons à cette proposition de loi et posons-nous la question de l’efficacité du dispositif proposé.

Beaucoup de questions se posent, c’est vrai. Et comme aucune concertation, aucune réflexion n’a présidé à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Parlement, ces questions demeurent sans réponse et ne peuvent que susciter inquiétudes et oppositions.

C’est le cas parmi de nombreux magistrats de la jeunesse, parmi les personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui s’expriment dans leurs organisations syndicales. C’est le cas également d’organismes comme l’UNICEF ou la Convention nationale des associations de protection de l’enfant, qui nous demandent de rejeter cette proposition de loi.

Mais c’est aussi le cas au sein d’une large majorité des membres de la commission de la défense à l’Assemblée nationale. Il faut bien dire qu’une telle opposition est loin d’être anodine, d’autant plus qu’elle reflète manifestement les inquiétudes des militaires.

Ainsi, partant du postulat selon lequel les réponses à la délinquance des mineurs ne seraient pas assez diversifiées, ce texte instaure, à l’intention de mineurs délinquants de seize ans, un « contrat de service en établissement d’insertion », en l’occurrence, en centre EPIDE.

Ce contrat pourrait valoir après trois décisions : la composition pénale, l’ajournement de peine ou une peine de prison assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve.

Seraient donc concernés des mineurs ayant commis des actes relativement peu graves. Or, dans son rapport, Éric Ciotti évoquait les mineurs les plus difficiles, récidivistes ou multiréitérants ! Et le descriptif très inquiétant de l’état de la délinquance des mineurs dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi le suggérait, et ce d’autant plus que M. Ciotti y faisait état d’un sondage-plébiscite en faveur de sa proposition. Or la question posée à cette occasion portait sur l’application de son texte à des mineurs récidivistes. Le procédé est donc pour le moins contestable.

Il est vrai qu’appliquer ce service citoyen à des mineurs récidivistes paraissait d’emblée tout bonnement infaisable au regard des missions, du fonctionnement et du public accueilli dans les centres EPIDE.

Aujourd’hui, ces centres reposent sur un volontariat réel de la part des jeunes accueillis, et c’est un critère essentiel si l’on veut des résultats positifs. Or peut-on parler de décision volontaire quand le mineur est placé devant un choix réduit, entre deux sanctions ? Certes non ! Comme il est indiqué dans le rapport, il s’agit alors d’un « consentement sous contrainte ».

Ce texte, manifestement, crée une confusion, faisant du centre EPIDE une alternative pénale, ce qui n’est pas du tout sa mission : c’est avant tout un lieu de réinsertion pour des jeunes rencontrant des difficultés scolaires, marginalisés ou en voie de marginalisation.

De surcroît, en plaçant ensemble, ces jeunes et de jeunes délinquants sous le coup d’une sanction pénale, on n’évitera pas que l’attention soit portée sur ces derniers. Il paraît en effet évident qu’ils seront stigmatisés, du fait de différences de traitement, comme en matière de pécule ou d’autorisations de sortie. Or stigmatisation et efficacité se contredisent.

En matière d’encadrement, le texte flatte l’opinion publique en mettant en avant les notions d’autorité et de discipline, bref, la « rigueur militaire ». Or l’activité des centres EPIDE n’est pas militaire ; elle est de type éducatif.

Les encadrants ne sont pas des militaires d’active : ce sont d’anciens militaires, des enseignants, des éducateurs. User d’une certaine image de l’armée est donc ici illégitime et procède d’une manipulation des symboles, source d’inquiétude parmi les militaires eux-mêmes.

Quid aussi du financement du dispositif ? Le budget pour 2012 ne nous renseigne pas sur ce sujet.

Pourtant, le Gouvernement s’est engagé à financer ce dispositif à hauteur de 8 millions d’euros, 2 millions étant à la charge du budget de la justice. Il s’agit d’un financement « en interne », nous a-t-il été indiqué. Autrement dit, il se fera au détriment d’autres actions de suivi, indispensables au quotidien, ou au détriment d’autres structures. Or la Protection judiciaire de la jeunesse, après avoir perdu 117 postes l’an dernier, perdra encore au minimum 106 équivalents temps plein en 2012. Et l’ouverture programmée de nouveaux centres éducatifs fermés aura pour conséquence, paradoxale, la fermeture de 20 foyers éducatifs.

Quand on sait, par ailleurs, que le nombre de jeunes concernés par la proposition de loi – entre 200 et 500, peut-être, mais rien n’est sûr... – sera ridiculement faible, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de l’opération.

En tout état de cause, l’accueil des mineurs dans les centres EPIDE n’est aujourd’hui pas effectif, malgré une décision prise il y a deux ans. Les premiers mineurs sont attendus dans les tout prochains mois.

Ces établissements, créés par une ordonnance du 2 août 2005, ont une certaine utilité dans leur domaine. Procéder à un détournement de leurs missions et de leur fonctionnement en décidant qu’ils accueilleront un nouveau public, c’est prendre le risque d’un échec.

Je rappelle aussi que les objectifs assignés au dispositif « Défense deuxième chance » n’ont jamais été atteints. En effet, ni le gouvernement qui a créé ce dispositif en 2005 ni ceux qui lui ont succédé n’y ont consacré les moyens nécessaires. Avec la révision générale des politiques publiques et l’abandon par l’État de nombre de ses missions, permettez-moi de douter que cela change.

Si ce texte devait être adopté, ce serait la sixième réforme de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante depuis 2007, et la dixième en dix ans.

La précédente réforme, relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, n’était pas encore entrée en vigueur que la proposition de loi de M. Ciotti était déjà sur le bureau de l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement. Encore une fois, cherchez l’erreur !

Cette réforme, très controversée, du 10 août dernier a pourtant procédé à un renversement des valeurs qui prédominaient lors de l’élaboration de l’ordonnance de 1945 : elle a instauré des sanctions plus sévères et plus rapides, un enfermement accru, la mise à l’écart du juge des enfants, du fait, notamment, de la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, l’extension des pouvoirs du Parquet, un nouveau rapprochement avec la justice des majeurs...

Mais, pour vous, ce n’est jamais suffisant. Il vous faut, encore et encore, modifier cette ordonnance.

C’est toute la conception défendue par le Gouvernement et M. Ciotti qui pose problème. Elle est bien connue, et l’auteur de la proposition de loi la rappelle dans l’exposé des motifs : les responsables, ce sont les parents. Entendons, par là, les parents appartenant aux classes populaires, qui seraient défaillants, démissionnaires.

Hélas, les gouvernements successifs se sont engouffrés dans cette impasse, choisissant de culpabiliser les parents plutôt que de les aider à surmonter leurs difficultés, notamment économiques et sociales. On les infantilise, on les culpabilise, on leur fait peur...

Rappelez-vous, mes chers collègues, la mise en scène imaginée par M. Ciotti, l’hiver dernier, pour vanter les avantages supposés de son contrat de responsabilité parentale. Il avait fait jouer à son attachée de presse, devant les caméras de télévision, le rôle d’une mère de famille éplorée !

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