Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 25 octobre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, horresco referens ! Oui, monsieur le ministre, je tremble et je suis horrifiée en réalisant que le législateur, en moins de dix ans, a modifié dix fois déjà l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, et nous propose aujourd’hui de la modifier une onzième fois.

Loin de moi l’idée de ne pas admettre l’évolution de la société et des phénomènes sociétaux, en particulier l’accroissement de la délinquance des jeunes, qui concerne des mineurs de plus en plus jeunes, et de plus en plus violents.

Loin de moi, aussi, l’idée de vouloir méconnaître l’indispensable adaptation des dispositifs, qu’ils soient de prévention ou de répression, qu’ils viennent modifier l’ordonnance de 1945, le code pénal, le code de procédure pénale, voire, comme dans le cas particulier, le code du service national.

Mais je suis farouchement hostile, comme beaucoup d’autres sur ces travées, à de nouvelles dispositions législatives qui, nous en sommes persuadés avant même qu’elles ne soient promulguées, ne sont ni bonnes ni opportunes, et méritent un nouvel examen, en vue d’améliorer les solutions au problème posé.

Quel est d’ailleurs ce problème, et en quels termes se pose-t-il ? C’est celui d’une délinquance des mineurs qui prend une ampleur inquiétante, englobant les phénomènes de bandes constituées de jeunes mineurs, garçons ou filles ; c’est celui des atteintes aux biens, mais surtout aux personnes, et des menaces : autant de clignotants qui s’allument dans le dernier rapport 2010 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

Si les analyses statistiques que fournit le ministère de l’intérieur sur la délinquance tendent à démontrer une stabilisation globale des différentes formes de délinquance, il n’en reste pas moins que la part qui revient aux délinquants mineurs progresse sensiblement.

Elle progresse de cinq points s’agissant des vols avec violence ou des destructions et dégradations. Le nombre des mineurs mis en cause pour violences aux personnes et menaces a augmenté de 51, 5 % en cinq ans, et de 70, 6 % pour les faits de violence non crapuleux, sans parler du nombre toujours croissant de violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, évaluées à près de 3 600 pour la seule année 2009 de référence.

Que faut-il en conclure ? Qu’une partie de notre jeunesse est malade et que, si le diagnostic est relativement facile à établir, le remède est plus difficile à trouver et à appliquer. Le « tout prévention » ne donne pas de meilleurs résultats que le « tout répression ». La potion magique n’est pas plus le vaccin que les électrochocs.

Or, que proposez-vous ?

Ce texte se veut une solution pour des délinquants mineurs de plus de seize ans, qui pourront donner leur accord pour effectuer un contrat de service dans un des centres de l’Établissement public d’insertion de la défense, dans le cadre d’une composition pénale, d’un ajournement de peine, ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve, le tout sur fond de décision du juge.

Je vois dans cette proposition de loi quatre obstacles majeurs.

Un premier obstacle réside dans la cible elle-même. Tandis que les chiffres avancés de la délinquance de ces mineurs pourraient laisser penser qu’ils sont multitude – un peu plus de 216 000 mineurs interpellés en 2010 par la police et la gendarmerie –, seuls 200 à 500 d’entre eux, au mieux, « bénéficieraient » d’un tel régime chaque année.

C’est un chiffre bien dérisoire pour une politique qui se veut efficace.

De fait, la cible serait réduite à ceux de ces mineurs qui sont primo-délinquants ou qui ont commis des actes de faible gravité. Cela revient à dire ou à reconnaître que s’appliqueront aux autres mineurs, les plus nombreux, les dispositions déjà existantes prévues dans l’un des dix textes de loi déjà évoqués.

Le deuxième obstacle tient aux établissements susceptibles d’accueillir ces jeunes délinquants, les centres EPIDE.

Par vocation, les vingt centres qui sont répartis sur le territoire ont pour vocation d’assurer l’insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté scolaire, sans qualification professionnelle ni emploi, présentant un risque de marginalisation, et volontaires, au terme d’un projet éducatif global, la formation dispensée contribuant à une insertion durable.

Cette définition, vous en conviendrez, ne correspond pas pleinement à celle que traduit, le plus souvent, le profil des jeunes délinquants qui nous occupent.

Le risque serait grand, si ce nouveau dispositif venait à être mis en place, et les professionnels n’hésitent pas à le dire, de transformer complètement l’organisation, le mode de fonctionnement, l’état d’esprit même des centres EPIDE. Deux populations différentes n’ont pas, c’est évident, les mêmes besoins, les mêmes attentes, les mêmes objectifs.

Certes, on peut espérer que le contrat de service librement consenti saura rejoindre, dans ses effets, le contrat de volontariat pour l’insertion, mais permettez-moi d’en douter quelque peu, forte de l’expérience que j’ai pu me forger, en son temps, en discutant avec quelques jeunes mineurs délinquants désocialisés.

Le troisième obstacle serait le personnel d’encadrement des EPIDE lui-même. Qu’ils soient anciens militaires ou personnes issues du civil, tous disposent d’une solide expérience en matière d’encadrement et d’accompagnement des jeunes. Si la discipline, le respect des règlements sont bien le socle du « savoir-vivre ensemble » qui est inculqué aux jeunes volontaires, chaque personnel d’encadrement a néanmoins à cœur de distinguer la fonction militaire de la fonction éducative. Or ce qui est possible avec un public volontaire ne le sera probablement pas avec de jeunes mineurs délinquants, dont on peut douter du goût spontané pour adhérer au dispositif des centres EPIDE.

Les militaires eux-mêmes, outre le fait qu’ils s’interrogent sur leur disponibilité pour pouvoir assurer la mission d’encadrement nouvelle qui leur est assignée, sont très frileux à l’égard de ces orientations et refusent de donner de l’armée une image qui ne pourrait être que négative.

Je vois enfin un quatrième et dernier obstacle, et non des moindres, je veux dire l’obstacle budgétaire et financier.

Personne ne peut ignorer les contraintes budgétaires auxquelles sont soumises toutes les administrations de l’État : dans quelques jours, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, nous allons mesurer les murs auxquels nous allons nous heurter et que nous ne pourrons pas repousser.

Alors que les centres EPIDE commencent tout juste à trouver leur rythme de croisière, après un démarrage difficile dénoncé par la Cour des comptes, alors que la Protection judiciaire de la jeunesse ne cesse de voir se restreindre son budget, …

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