Intervention de Laurent Duplomb

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 juin 2021

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je parlerai bien sûr de la politique agricole commune, un sujet qui peut sembler hors sujet par rapport aux interventions précédentes, sauf qu’à y regarder d’un peu plus près cette politique pourrait conditionner d’éventuelles migrations, qui pourraient venir perturber des territoires comme les nôtres, et qu’elle présente un intérêt en termes de souveraineté alimentaire, en particulier dans le contexte lié à l’épidémie de la covid-19.

Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous rappeler quelques éléments historiques.

Il y a un peu moins de quatre ans, en juillet 2017, le Président de la République, dans un discours resté célèbre, le discours de la Sorbonne, avait fait quelques remarques spécifiques sur la politique agricole commune. Ces formules ne sont pas restées sans résultat.

Le Président de la République avait tout d’abord insisté sur la nécessité d’ouvrir de nouvelles perspectives budgétaires au niveau européen pour conduire d’autres politiques. Par définition, l’Europe écoute, et, puisque le premier budget de l’Union est celui de la politique agricole commune, il paraissait évident qu’il faudrait peut-être l’abaisser pour faire autre chose.

Le résultat est là : la diminution du budget de la PAC est réelle puisque, je vous le rappelle, celui-ci diminuera d’environ 9 % en euros constants entre la période 2014-2020 et la période 2021-2027. Alors, certes, en exprimant les montants en euros courants, on parvient toujours à se rassurer, mais la réalité, pour les exploitations, c’est une baisse des aides et une augmentation des charges en euros constants. Il faut aussi noter que cette baisse de 9 % viendra s’ajouter à la diminution de 9 % des crédits que ce budget a déjà subie entre la période 2007-2013 et la période 2014-2020, ce qui représente au total un recul de plus de 18 % du montant des aides versées au titre de la PAC en quelque treize ou quatorze ans.

Le Président de la République avait également mis l’accent sur la « subsidiarité », un nouveau mot qui avait d’ailleurs eu encore plus de retentissement : grâce à la subsidiarité, la politique agricole commune, qui présentait l’avantage d’être commune, le deviendrait de moins en moins. Malheureusement, comme je crois vous l’avoir déjà dit, monsieur le secrétaire d’État, la réalité est là.

Pour la France, comme le ministre de l’agriculture l’a annoncé dans son plan stratégique, le transfert des crédits du premier vers le second pilier de la PAC va être limité à 7, 53 %. Cette décision me convient et me semble une bonne chose. En revanche, comme je l’avais également prédit, les véritables intentions pouvaient se dissimuler derrière la subsidiarité. Par exemple, la Pologne a décidé de transférer 25 % des crédits du second vers le premier pilier de la PAC, incitant ainsi ses agriculteurs à mettre en œuvre moins de mesures environnementales pour dégager davantage de marges de compétitivité, concurrencer nos marchés et exporter leurs produits vers la France, et ce alors même que, dans la bouche de tous les politiques français, on n’entend parler que de souveraineté alimentaire.

Comme je l’indiquais précédemment, nous pouvons en revanche nous féliciter de l’annonce du ministre de l’agriculture concernant le transfert de budget d’un pilier vers l’autre.

Nous pouvons aussi nous féliciter du maintien du budget de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) dans le cadre de la politique agricole commune : 1, 1 milliard d’euros. Là encore cependant, il fallait compter avec les conséquences de la nouvelle politique agricole commune. La Commission s’est en effet bien gardée de maintenir le niveau de sa participation à 75 %, puisqu’elle l’a réduite à hauteur de 65 %, demandant à l’État français, qui a donc apporté sa contribution, de rajouter 108 millions d’euros.

Monsieur le secrétaire d’État, il reste malgré tout des points de vigilance extrêmement importants. Le chaos qui a régné lors des dernières discussions ayant eu lieu il y a quelques jours montre que tous les pays n’ont pas la même position.

Je soutiens la position du ministre de l’agriculture : je suis favorable à un niveau de convergence progressive des aides de 85 %. Nous ne pouvons pas atteindre l’objectif de 100 % aussi rapidement que ce qui est prévu.

Je maintiens aussi qu’il faut accompagner cette convergence d’un mécanisme de limitation des pertes fixé à 30 % : les exploitations ne peuvent pas accepter une différence aussi importante en si peu de temps.

Comme l’ont dit mes prédécesseurs, le trilogue doit se mettre d’accord au sujet des écorégimes : nous ne pouvons pas accepter une approche progressive, partant de 22 % pour s’élever en définitive à 30 %. Il faut un choix clair et des aides disponibles dès le début. Arrêtons de laisser penser aux agriculteurs qu’à un moment donné ils peuvent être accommodés à une sauce et que, cinq ans après, ils le seront à une autre. La meilleure solution serait que l’écorégime s’applique à 25 % du premier pilier.

Il faut prévoir davantage de souplesse au niveau de la gestion des aides européennes. Il n’est pas acceptable que l’on nous oblige à les rembourser, tout cela parce que des règles nationales trop contraignantes nous empêchent de les utiliser. Ce serait en effet une double peine.

Il faut ouvrir la voie à une certaine forme de fongibilité des budgets, de sorte que les fonds auxquels on n’aurait pas eu recours dans le cadre des écorégimes puissent être réemployés dans le cadre d’autres dispositifs : je pense en particulier aux droits au paiement unique. Sinon, cela se traduira, encore une fois, par un appauvrissement de la France au profit de ses voisins européens.

Je voudrais aborder un autre sujet extrêmement important, celui du « couplage » des aides. Si, pendant des années, nous nous sommes posé la question de savoir si l’Europe devait découpler ou coupler les aides, il semble aujourd’hui important que ce couplage soit respecté, et ce de façon extrêmement claire. Il faut appliquer la règle des 13+2 : les aides couplées peuvent être attribuées dans la limite de 13 % de l’enveloppe des aides directes, avec la possibilité d’octroyer 2 % supplémentaires pour la production de protéines.

Nous ne pouvons pas accepter de subir le diktat de l’Europe et de nous voir imposer un couplage différent de celui-là : il aurait des conséquences néfastes sur l’élevage, en particulier sur l’élevage allaitant.

Il faut également inciter à la reconnaissance des mélanges graminées-protéines, qui font la force de notre agriculture de montagne et de notre agriculture en général concernant la culture de l’herbe.

Nous ne pouvons pas accepter non plus que la reconnaissance de l’ICHN ne se traduise que par 40 % de l’ensemble des aides versées au titre du second pilier. Il faut que ce pourcentage atteigne 60 %. L’ICHN participe à la promotion des élevages extensifs et de ce qui fait la beauté de la France.

Comme le temps m’est compté, je ne pourrai pas vous parler de la BCAE 8 et de la BCAE 9. Je conclurai donc en disant que la PAC doit apporter une certaine stabilité aux agriculteurs. Aussi, la PAC doit-elle rester en cohérence avec les objectifs du pacte Vert européen, mais elle ne peut pas sans cesse s’aligner sur des objectifs qui changent au gré du temps et des demandes des ONG.

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