Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, « la diffusion du livre connaît depuis quelques années une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d’être neutres sur le plan culturel ». C’est par ces mots que s’ouvrait le projet de loi relatif au prix du livre discuté dans cette même chambre voilà quarante ans et présenté par Jack Lang, alors ministre de la culture.

Le prix unique du livre fut, voilà quarante ans, la première pierre d’une politique culturelle ambitieuse dont nous pouvons être fiers. Depuis lors, le secteur a été bouleversé par l’arrivée de nouveaux acteurs, notamment numériques. Il convient donc de mettre à jour cette politique culturelle majeure pour rappeler le rôle particulier des libraires dans nos villes et villages. C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, déposée par notre collègue Laure Darcos, que je tiens à remercier pour son travail de grande qualité.

Ce texte a été enrichi par les apports du Conseil d’État, dont la saisine aura été bénéfique. On voit ainsi l’importance du travail de cette institution pour aider les parlementaires. Je profite de cette intervention pour regretter que son avis ne soit pas sollicité, parfois volontairement, sur d’autres textes d’ampleur. Je pense notamment à la loi Sécurité globale.

Deuxième secteur de l’industrie culturelle française avec 2, 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, le marché du livre est un maillon essentiel de la culture, auquel nous sommes attachés. Le volume de vente de livres est néanmoins en baisse de 14 % au cours des dix dernières années.

Pourtant, au sein du secteur, il n’y a pas que des perdants. En effet, selon l’étude économique de 2019 du syndicat de la librairie française, les plateformes de vente en ligne ont connu un taux de croissance moyen de 5, 7 % entre 2008 et 2018.

À l’inverse, ce taux de croissance a enregistré une baisse de 2, 7 % par an pour les petites librairies dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 700 000 euros. Or ce sont précisément ces TPE qui souffrent depuis plusieurs années de la concurrence des plateformes de vente en ligne, concentrées autour de trois géants, dont Amazon, qui représente à lui seul 10 % du marché français.

Face à ces géants froids, notre pays est maillé par un réseau de 4 000 librairies indépendantes, qui font toute la richesse de notre secteur culturel. La principale distorsion de concurrence dont elles sont victimes vient de la livraison à domicile, qui a été pendant longtemps gratuite, faisant du livre un produit d’appel vendu à perte. Pour y mettre fin, la loi du 8 juillet 2014, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat, a interdit la gratuité des frais de port. Les plateformes, avec le cynisme qu’on leur connaît, ont contourné aisément cette interdiction : on a ainsi vu fleurir la livraison à 1 centime d’euro ou bien les abonnements annuels offrant, contre un prix dérisoire, la gratuité des frais de port.

La mesure phare de cette proposition de loi s’attaque concrètement à cette concurrence déloyale, ce qui constitue une excellente chose. L’article 1er instaure ainsi un tarif réglementé sur les livraisons de livres. Soyons francs, les tarifs réglementés ne sont pas d’habitude la tasse de thé de la droite sénatoriale. Elle les a ainsi supprimés pour le gaz et l’électricité.

Nous nous réjouissons donc, mes chers collègues, que vous admettiez que tout ne peut pas reposer sur l’autorégulation du marché et qu’il faut parfois imposer une régulation préservant nos biens communs. Je vous invite, lors de nos débats sur la loi Climat, à poursuivre dans cette direction en votant nos amendements visant à limiter l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques – je pense en particulier à ceux d’Amazon –, qui sont autant de menaces sur nos commerces de proximité et, donc, nos librairies.

J’ai bien entendu les réticences de notre collègue de la commission des affaires économiques. Je lui dis : n’ayez pas peur de la régulation ! N’ayez pas peur non plus de l’interventionnisme que permet notamment l’article 2, qui autorise les communes et leurs groupements à délivrer des subventions à des librairies indépendantes en difficulté, comme c’est déjà possible pour le cinéma. Nous favoriserons ainsi le maintien d’un réseau dense, y compris dans nos zones rurales. Nous avons pu éprouver ces derniers mois le rôle culturel absolument essentiel que jouent ces librairies.

Les articles 3, 4 et 5 n’appellent pas de remarques de notre part. Ils amélioreront les relations entre les acteurs du secteur, par exemple en permettant aux auteurs de saisir, préalablement à une action en justice, le médiateur du livre, ce qui n’était curieusement pas possible jusqu’alors. Il y aurait beaucoup à dire sur le rapport entre éditeurs et auteurs, mais tel n’est pas l’objet premier du texte.

Mes chers collègues, avec plusieurs autres groupes de l’hémicycle, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a soutenu, pendant le second confinement, les « commerces essentiels » que sont les librairies. C’est donc tout naturellement que nous voterons aujourd’hui cette proposition de loi.

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