Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous cache pas ma grande satisfaction de me tenir devant vous, aujourd’hui, pour l’examen de ma proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant.
Ma satisfaction est double. Tout d’abord, il s’agit de ma première proposition de loi depuis le début de mon mandat de sénateur. Ensuite, sans préjuger de l’issue du vote de tout à l’heure, cette proposition de loi aura de toute façon le mérite de pointer du doigt les inégalités du système de restauration étudiante dans notre pays, qui pénalisent de très nombreux jeunes.
Permettez-moi de revenir brièvement sur la genèse de cette proposition de loi.
Tout d’abord, comme nombre d’entre vous, depuis un an et demi, j’ai été extrêmement sollicité par des étudiants en détresse, en tant que premier adjoint de la ville de Montauban, dans un premier temps, puis, depuis octobre dernier, en tant que sénateur.
Les témoignages de dizaines d’étudiants dont la situation financière est catastrophique, qui n’arrivent parfois plus à manger à leur faim et qui garnissent les files d’attente des Restos du cœur m’ont particulièrement affecté. Ces images et ces situations de détresse ne sont pas tolérables dans notre pays en 2021.
Nombre de familles, notamment celles de la classe moyenne, éprouvent les plus grandes difficultés pour subvenir aux besoins de leurs enfants dans le cadre de leurs études.
Pourtant, en France, a priori, nous n’avons pas à nous plaindre de notre politique d’aide et d’accompagnement, plutôt efficace et généreuse : les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les Crous, qui offrent bourses, logements étudiants et restauration universitaire apportent une réponse plutôt performante. Peu de pays disposent d’un système aussi développé.
Cependant, souvent, les effets de seuils font qu’un étudiant issu de la classe moyenne s’entendra dire : « Désolé, monsieur, vous ne bénéficiez pas de telle ou telle aide. » Ces étudiants prétendument « trop riches » sont finalement les victimes collatérales des critères d’attributions, mais, pour eux, les fins de mois sont aussi difficiles.
Dans d’autres situations, à ces effets de seuils s’ajoute l’absence de Crous. Que l’on ne voit dans mes propos aucune critique, mais simplement un constat. Les Crous ne peuvent d’ailleurs raisonnablement être présents sur l’ensemble des villes ou des sites où sont dispensées des formations d’enseignement supérieur. Les Crous font le choix de couvrir en priorité – c’est tout à fait compréhensible –, les campus universitaires.
Néanmoins, l’enseignement supérieur dans notre pays ne se résume pas aux seules universités. Bien d’autres acteurs existent : les brevets de technicien supérieur, les BTS, les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs, les écoles d’infirmières, les classes préparatoires et bien d’autres encore.
Mes chers collègues, dans vos départements, vous avez certainement des formations dispensées dans des petites communes ou loin des sites universitaires majeurs. Il y a fort à parier que les Crous ne proposent pas de services de restauration à ces endroits.
Dès lors, doit-on se satisfaire du fait que des centaines de milliers d’étudiants ne bénéficient pas d’un service de restauration, car le Crous n’est pas en mesure de leur proposer ? À ce titre, le passage du repas dans les restaurants du Crous à 1 euro a été une très bonne chose, qui a permis à de très nombreux étudiants de préserver leur pouvoir d’achat. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et je salue cette initiative du Gouvernement.
Pour autant, la problématique reste la même lorsqu’il n’y a pas de restaurant universitaire dans la commune où l’on étudie, mais également lorsque ces établissements ne sont pas ouverts le soir ou le week-end. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation, qui exclut tant d’étudiants de cette aide qui leur est pourtant due.
Tel est, mes chers collègues, le sens de cette proposition de loi. Elle n’est en aucun cas une attaque contre les Crous, comme certains ont voulu le faire croire avec mauvaise foi. Ce texte permet tout simplement de combler les trous dans la raquette de l’offre actuelle des Crous et de pallier des inégalités.
En pratique, comment se traduirait ce ticket restaurant étudiant ? Il serait inspiré du modèle du ticket restaurant des entreprises, qui a fait ses preuves depuis des décennies. Qui, aujourd’hui, remettrait en cause ce système, qui apporte un véritable gain de pouvoir d’achat à des millions de salariés ?
Le ticket restaurant étudiant serait acheté 3, 30 euros par l’étudiant, soit le même prix qu’un repas de restaurant universitaire avant la période de covid-19. Par l’intermédiaire du Crous, l’État financerait également 3, 30 euros, de la même façon qu’il finance la moitié du prix du repas dans les restaurants universitaires.
S’est posée la question de la territorialisation ou non de la mesure. Comme le rapporteur vous l’expliquera tout à l’heure, cela nous a paru être la meilleure chose, afin de limiter l’accès au ticket restaurant étudiant à ceux qui ne bénéficient pas de restauration universitaire à proximité.
Permettez-moi de prendre un exemple simple de territorialisation, ici, sous nos yeux : nos collaborateurs. Ceux qui exercent au Palais du Luxembourg ont accès au restaurant des collaborateurs du 36, rue de Vaugirard à un tarif préférentiel. Leurs collègues en circonscription bénéficient, eux, de tickets restaurants, car ils n’ont pas accès aux restaurants d’entreprise. C’est une question d’équité, et cela fonctionne très bien.
La question du coût a pu se poser, et elle est légitime, mes chers collègues, car nous sommes tous des élus responsables. Néanmoins, avant d’aborder le coût, il est important de parler du devoir moral que nous avons envers les étudiants, qui représentent l’avenir de notre pays. Nombre d’entre eux souffraient de la précarité bien avant la crise sanitaire ; d’autres l’ont découvert depuis un an et demi.
Il est de notre responsabilité, en tant que responsables politiques, de leur apporter des solutions. C’est ce que fait ce texte. Sera-t-il suffisant pour régler la problématique de la précarité étudiante ? Non, mais il apporte déjà une réponse.
S’agissant du coût, pouvons-nous nous satisfaire d’une analyse tronquée en se disant que cela va créer un surcoût pour les Crous ? Assurément non. Car si tous les étudiants n’ayant pas accès à un restaurant universitaire pouvaient s’y rendre, les Crous seraient bien obligés de les accepter. Pensez-vous vraiment que nous pourrions leur répondre : « Désolé, mais cela va coûter cher à l’État » ?
Ne faisons pas une économie sur un droit qui n’est tout simplement pas exercé, alors que de très nombreux étudiants subissent cet état de fait.
Nous avons entendu, ici et là, des estimations fantaisistes du coût de cette mesure : 2, voire 4 milliards d’euros. Toujours plus, pour essayer de discréditer ce projet. Je pose tout simplement la question à ces organisations : qu’avez-vous fait pour régler la situation des étudiants qui ne bénéficient pas des services du Crous ? N’étiez-vous pas majoritaires pendant toutes ces années ? Ou peut-être que les étudiants en écoles de commerce, écoles d’ingénieurs, BTS ou classes préparatoires ne vous intéressent tout simplement pas.
Au-delà de l’estimation du coût de cette mesure, je suis de ceux qui pensent que, sur certains sujets, nous ne pouvons avoir une vision uniquement comptable. Les étudiants ne le comprendraient pas, et je pense qu’ils auraient tout à fait raison.
Je le demande aux responsables des Crous et à vous, madame la ministre : que jugez-vous le plus coûteux ? Ouvrir un restaurant universitaire pour cinquante étudiants en BTS dans une petite ville ou leur permettre de bénéficier d’un ticket restaurant étudiant ?
Il est important de se poser cette question. J’espère, madame la ministre, que ce projet saura vous séduire et retiendra toute votre attention, comme il a retenu l’attention de plus de quatre-vingts sénateurs, en dépassant les clivages politiques.
Les étudiants ont souffert depuis plus d’un an et demi, et, pour beaucoup, ils souffrent malheureusement encore de cette précarité. Nous leur devons cette innovation sociale et cette équité, car il s’agit bien là d’une innovation sociale et non d’un gadget.
Les étudiants s’approprieront rapidement ce ticket restaurant, avec un grand sens des responsabilités. Ils n’iront pas s’acheter des sandwichs ou de la junk food midi et soir, contrairement aux arguments de nos détracteurs, car il sera tout à fait possible de manger équilibré avec un ticket restaurant étudiant, comme il est tout à fait possible de manger déséquilibré dans un restaurant universitaire. Cessons d’infantiliser les étudiants ! Ils valent bien mieux que cela.
Mes chers collègues, pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, pour le devoir moral que nous avons envers les étudiants, qui n’ont vraiment pas été épargnés depuis le début de la crise du covid-19, je vous propose une avancée sociale en votant, à l’issue de nos débats, en faveur de la création d’un ticket restaurant étudiant.
J’espère que ce texte, s’il est voté au Sénat, sera étudié rapidement à l’Assemblée nationale. Je remercie à ce propos la députée Anne-Laure Blin, qui a déposé une proposition de loi similaire à l’Assemblée nationale, et avec qui j’ai beaucoup échangé. Je la remercie d’ailleurs de sa présence ce matin.
Je remercie aussi chaleureusement mes collègues du groupe Union Centriste d’avoir collégialement sélectionné ma proposition de loi dans notre espace réservé.
Ce texte ne doit pas rester dans un tiroir. Il doit permettre au plus vite d’offrir du pouvoir d’achat aux étudiants. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour eux !