Intervention de Jean Hingray

Réunion du 10 juin 2021 à 10h30
Ticket restaurant étudiant — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean HingrayJean Hingray :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Pierre-Antoine Levi vient de le démontrer avec beaucoup de force et de vigueur, cette proposition de loi entend redonner du pouvoir d’achat, sur le plan alimentaire, aux étudiants durement éprouvés par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

Face à l’aggravation de leur précarité, le Gouvernement a abaissé le tarif du ticket de restaurant universitaire à 1 euro, d’abord pour les étudiants boursiers, puis pour tous les étudiants. Cette mesure, que nous saluons, est bien sûr bénéfique, mais constitue-t-elle la panacée ? Assurément non.

Premièrement, elle ne fait qu’amplifier le problème de l’accès aux structures de restauration universitaire, puisqu’en sont de facto exclus les étudiants éloignés des grands campus et des centres-villes. Nombre d’entre nous avons été alertés, dans nos départements, sur cette inégalité d’accès entre étudiants.

Deuxièmement, le ticket à 1 euro ne constitue pas un modèle économique viable sur le long terme, sachant que la préparation d’un repas en restaurant universitaire coûte de sept à huit fois ce tarif.

Troisièmement, cette mesure a été conçue pour répondre à une situation d’urgence. Or, à ce jour, le ministère n’est pas en mesure de nous dire si elle sera prolongée, ni même si le périmètre de ses bénéficiaires est susceptible d’évoluer. Il y a toutes les raisons de penser qu’elle ne constituera pas une solution pérenne pour notre système de restauration.

C’est dans ce contexte pour le moins incertain que s’inscrit cette proposition de loi. Quel en était l’objectif initial ? Il s’agissait de permettre à tous les étudiants, quels que soient leur statut social, leur établissement de rattachement, leur situation géographique ou le moment de la journée ou de l’année, d’acheter un repas ou de faire des courses alimentaires à tarif social.

Cette portée universelle a suscité des inquiétudes, certaines fondées, d’autres moins, ainsi que des prises de position, certaines mesurées, d’autres plus caricaturales.

Je ne puis ainsi laisser dire que le but aurait été de « mettre en concurrence » le réseau des œuvres universitaires avec les acteurs de la restauration privée. Nous savons tous le rôle structurant que jouent les Crous et les efforts d’adaptation qu’ils ont accomplis depuis une dizaine d’années pour mieux répondre aux attentes des étudiants. Le ticket restaurant ne remet pas cela en cause : il entend élargir l’offre de restauration et donner davantage de souplesse aux étudiants, qui pourront choisir d’aller au restaurant universitaire, de prendre leur repas à l’extérieur ou de cuisiner chez eux.

Je ne puis non plus laisser dire que la création d’un ticket restaurant jetterait les étudiants dans les bras des fast-foods. Ne les infantilisons pas. Ils peuvent parfaitement vouloir faire leurs courses dans des supérettes pour consommer des produits que l’on ne trouve pas forcément dans la restauration collective. Qui plus est, le risque de « malbouffe » peut tout à fait être limité par des moyens techniques qui encadreraient l’utilisation d’un ticket restaurant étudiant dématérialisé.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité dépasser ces clivages et, après avoir entendu toutes les parties, dressé un bilan bénéfice-risque le plus complet possible. À la lumière de celui-ci, il nous est apparu nécessaire d’ajuster le dispositif initial en le centrant sur la problématique de l’accès à la restauration universitaire, qui, nous le voyons bien dans nos territoires, constitue la principale pierre d’achoppement.

Les 801 points de vente gérés par les Crous ne sont, en effet, pas répartis de manière homogène. L’existence de « zones blanches », comme pour la couverture en réseau de téléphonie mobile, place les étudiants concernés dans une situation d’inégalité d’accès au service public de la restauration universitaire.

Les étudiants de ces territoires sous-dotés en infrastructures sont, d’ailleurs, aujourd’hui, dans l’impossibilité de bénéficier du ticket de restaurant universitaire à 1 euro. C’est pourquoi la commission a proposé de cibler le dispositif du ticket restaurant sur les étudiants éloignés des structures de restauration universitaire.

Ces étudiants pourront ainsi bénéficier d’un ticket à tarif social pour se restaurer ou faire des achats alimentaires auprès d’établissements conventionnés avec les acteurs territoriaux de la vie étudiante, qu’il s’agisse des établissements d’enseignement supérieur, des Crous ou des collectivités.

Ce ciblage de la mesure, qui fait du ticket restaurant une offre complémentaire à celle de la restauration universitaire, permet, en outre, d’écarter tout risque de déstabilisation du réseau des œuvres.

En posant le principe d’un ticket restaurant étudiant territorialisé, la commission exprime ainsi la nécessité d’offrir à nos étudiants un enseignement supérieur de proximité, notamment en premier cycle, qui ne soit pas cantonné aux grands pôles universitaires traditionnels, avec les prestations d’accompagnement qui vont avec.

La création d’un ticket restaurant étudiant réservé à ceux d’entre eux qui sont isolés mettrait fin à cette profonde inégalité territoriale. À l’instar de ce qui existe dans des pays comme l’Angleterre ou la Suède, cette mesure est donc une solution de substitution pertinente, techniquement bien acceptée par les principaux acteurs concernés.

Le Gouvernement est donc désormais prévenu et ne peut plus détourner le regard face à cette jeunesse qui souffre et qui attend des solutions concrètes et immédiates pour aller de l’avant. C’est désormais chose faite avec le ticket restaurant universitaire.

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