Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, permettez-moi de saluer l’initiative prise par le groupe Union Centriste de nous permettre de débattre de cette proposition de loi, dont le premier mérite est d’aborder clairement la question de la précarité alimentaire de certains étudiants.
Cet enjeu n’est pas apparu avec la crise sanitaire, mais force est de constater que celle-ci l’a rendu plus prégnant que jamais.
Nous connaissons tous l’engrenage qui a conduit à cette situation. La perte des emplois étudiants, la suspension des stages rémunérés ou le soutien familial parfois bridé par des difficultés économiques ont fortement entamé les moyens de subsistance de certains étudiants.
Ni la communauté universitaire ni le Gouvernement n’ont attendu que les problématiques de vie étudiante soient un sujet d’opinion publique pour agir. Dès le mois de mars 2020, les établissements d’enseignement supérieur ont mobilisé le produit de la contribution vie étudiante et de campus pour apporter de l’aide à leurs étudiants, y compris de l’aide alimentaire.
De nombreuses initiatives solidaires ont été lancées par les associations étudiantes, avec le soutien financier du Gouvernement, telles que la confection de paniers-repas ou la distribution de colis alimentaires. Les liens ont été resserrés entre les acteurs associatifs, les Crous et les établissements d’enseignement supérieur, au bénéfice des étudiants.
Tout en soutenant ces initiatives, le Gouvernement a, dans le même temps, déployé un arsenal de mesures pour faire refluer la précarité : versement d’aides exceptionnelles, doublement des aides d’urgence, revalorisation des bourses sur critères sociaux, prolongation du droit à bourses en fonction des incidences de la crise sur le cursus, réexamen des situations sociales pour adapter en fonction le niveau des bourses, gel des frais d’inscription, gel des loyers des logements des Crous, création de 20 000 emplois étudiants, mise en place de distributeurs de protections périodiques gratuites, entre autres.
L’instauration du ticket de restauration universitaire à 1 euro pour les boursiers à la rentrée, étendue en janvier dernier à tous les étudiants, boursiers, non boursiers ou étudiants internationaux, et pour deux repas par jour, est emblématique de cet engagement gouvernemental pour la jeunesse. Il est tout aussi emblématique de la mobilisation des Crous et de leurs personnels, que je veux ici remercier infiniment de leur engagement sans faille.
Ils ont fait preuve d’une réactivité et d’une adaptation remarquables pour assurer le déploiement effectif de la mesure, pour proposer de nouveaux services, tels que la vente à emporter, la livraison ou le click and collect, et pour rouvrir leurs restaurants aux étudiants en respectant des protocoles sanitaires parfois très exigeants.
Il faut se rendre compte de ce que cela veut dire de mettre en œuvre, en un week-end, le ticket restaurant universitaire à 1 euro pour tous les étudiants, de déplacer les structures mobiles en bas des cités universitaires, de changer en profondeur la chaîne de production pour délivrer des plats à emporter.
C’est tout à l’honneur de ce service public, qui a été au rendez-vous de cette crise. À ce jour, plus de 10 millions de repas à 1 euro ont été servis, ce qui est inédit. Aucun autre pays européen ne s’est à ce point engagé au service de ses étudiants.
Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. À l’heure où la vie revient partout sur notre territoire, il est plus que jamais nécessaire de tirer collectivement toutes les leçons de l’année écoulée, pour améliorer durablement les conditions de vie étudiante, consubstantielles à la réussite académique et, finalement, à l’émancipation de chacun.
Mon ministère porte ce dossier depuis le début de ce quinquennat, mais cette crise a permis à de nombreux acteurs de considérer l’étudiant dans sa globalité : cette approche globale du jeune et d’un parcours étudiant coordonné est bien le maître mot de la politique d’accompagnement que nous menons. À chaque instant, nous devons considérer l’étudiant comme un jeune adulte.
Les actions de soutien aux étudiants mises en œuvre par le Gouvernement, les établissements d’enseignement supérieur, les Crous, les collectivités territoriales ou le tissu associatif témoignent que la vie étudiante n’est pas un supplément d’âme. Le bien-être étudiant est un objet politique de premier plan, au cœur de l’action de mon ministère.
C’est pourquoi je salue l’initiative du Sénat, qui a su s’emparer, depuis quelques mois, de la question de la précarité étudiante. Il l’a fait au travers de la proposition de loi dont nous débattons ce matin, mais également par la mission d’information sénatoriale sur les conditions de vie étudiante, qui mène ses travaux depuis plus de six mois et qui, j’en suis vaincue, nourrira utilement les réflexions que nous menons sur ce sujet.
C’est bien cette démarche globale, qui envisage la vie étudiante sous l’ensemble de ses facettes, avant, pendant comme après la crise sanitaire, que nous devons mener ensemble.
Par la proposition de loi que nous examinons ce matin, vous avez souhaité, je crois, répondre à un double enjeu.
Le premier est celui de l’adaptation de la restauration à la vie étudiante. Nous partageons tous, ici, la conviction que ce dont nos étudiants ont aujourd’hui besoin, c’est d’une alimentation de qualité, dans un cadre en phase avec leurs habitudes, leurs contraintes et leurs aspirations.
En somme, une offre de restauration qui soit gage de santé, de bien-être et de réussite. Cette approche globale est précisément celle qui est portée par les Crous, lesquels ont fait des efforts considérables, ces dernières années, pour moderniser, adapter et diversifier leur offre. Les étudiants ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils sont 80 % à la plébisciter et que, avant la crise, l’activité des restaurants universitaires augmentait en moyenne de 5 % chaque année.
Aujourd’hui, prendre son repas dans un restaurant universitaire signifie avoir accès à un repas complet et équilibré, confectionné avec des produits de qualité dans une démarche de développement durable.
C’est également avoir le choix entre des menus végétariens et une cuisine plus traditionnelle, entre s’attabler ou se restaurer plus rapidement.
C’est surtout retrouver ce lien social qui a fait si cruellement défaut à nos étudiants cette année. Autrement dit, l’offre des Crous va bien au-delà de la simple restauration, pour se prolonger en un véritable accompagnement social, en un lieu faiseur de lien, qui constitue, à part entière, un facteur de réussite dans le parcours de formation.
Je sais – cela a d’ailleurs été rappelé – que vous reconnaissez pleinement la valeur ajoutée des Crous et que vous êtes soucieux de ne pas déséquilibrer un service public de qualité, qui mobilise des agents très investis.
Le véritable enjeu, et c’est un point qui est revenu lors de l’examen du texte en commission, est bien celui de l’égalité d’accès à une restauration universitaire.
Avec plus de 750 implantations réparties dans 221 villes, les Crous maillent déjà l’essentiel du territoire. Sur les 2, 8 millions d’étudiants accueillis dans l’enseignement supérieur, quelque 2, 3 millions ont au moins un restaurant universitaire dans leur environnement immédiat.
La restauration universitaire n’est pas le privilège des grands sites universitaires : dans 190 sites supplémentaires, le réseau des œuvres a noué des partenariats avec les collectivités et les associations, pour apporter une offre de restauration dédiée aux étudiants.
C’est considérable et, pourtant, il est nécessaire d’en faire plus, car, comme vous le soulignez, il subsiste encore des zones blanches, notamment dans certains territoires isolés. Ne négligeons pas non plus la pression étudiante dans certaines grandes villes ou certaines régions, qui peut susciter des problèmes.
Je tiens à être tout à fait claire s’agissant de la position du Gouvernement. Cette proposition de loi pose des questions centrales, et je salue le travail réalisé par la commission et le rapporteur. La commission a souhaité mieux cibler le dispositif, mais il nous faut poursuivre le travail pour construire une solution globale aux disparités territoriales très justement pointées par votre proposition de loi, monsieur le sénateur Levi.
Pour gommer ces disparités, sans pour autant renoncer à la garantie d’une restauration de qualité, je crois qu’il nous faut mobiliser tous les leviers disponibles, en fonction des réalités locales, avec pour boussole la nécessité de construire une offre accessible de repas équilibré ouverte à l’ensemble des étudiants, quel que soit leur lieu d’études.
En l’état, je ne suis pas convaincue que le ticket restaurant étudiant constitue, à lui seul, une réponse suffisante, mais il doit pouvoir s’inscrire comme un outil envisageable dans le cadre d’une solution plus globale, lorsqu’il n’est pas possible de construire une offre sociale assumée directement par l’État ou assurée avec le soutien des collectivités et des associations.
En premier lieu, il n’existe pas, à ce jour, d’offre de titre de paiements réglementés permettant d’ajouter au forfait de 6, 60 euros le complément indispensable pour s’offrir un repas complet et équilibré. Ce sera peut-être le cas si les entreprises se positionnent clairement, mais il faudra du temps pour cela.
Par ailleurs, bien que le dispositif issu des travaux de la commission permette déjà de mieux cibler la mesure, son coût resterait considérable, sans, pour autant, garantir l’équité sociale entre les étudiants pouvant s’offrir un repas complet au-delà du forfait et ceux qui ne peuvent se le permettre.
Pour moi, la réponse doit s’écrire prioritairement au travers de partenariats construits localement avec les collectivités. Elle se trouve dans des dispositifs qui existent déjà et qui ont fait leurs preuves.
Dans les zones dépourvues de restaurants universitaires, les Crous ont mis en place des politiques d’agrément et de conventionnement, qui permettent aux étudiants de bénéficier des structures de restauration, telles que les cantines administratives, scolaires ou hospitalières, soumises aux mêmes exigences de qualité de service public.
Accompagnons ce développement : Dieppe, Draguignan, Guéret, Mende, Morlaix, Saint-Lô, Vienne sont des villes pour lesquelles le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le Cnous, et l’ensemble des Crous sont prêts à engager les discussions avec les collectivités, en vue de solutions concrètes à l’horizon des prochains mois.
Avant la rentrée de 2022, nous pouvons réussir à répondre aux attentes de l’ensemble des territoires encore trop éloignés de la restauration universitaire, et je suis prête à m’y engager avec vous. En novembre dernier, le Sénat a adopté, sur l’initiative de la sénatrice Laure Darcos, le principe, dans le cadre de la loi de la programmation de la recherche, d’une contractualisation entre les sites universitaires et les collectivités, qui, d’ores et déjà, associe les Crous.
En engageant cette nouvelle vague de contractualisation, nous permettrons aux acteurs territoriaux de répondre à l’exigence d’équité territoriale.
Comme je vous l’ai rappelé, ces partenariats permettent aujourd’hui d’apporter des solutions dans près de 190 sites universitaires isolés. À ce jour, près d’une quinzaine relève encore de ces zones blanches, mais je suis convaincue que nous disposons déjà des leviers permettant de répondre à leurs attentes.
Pour faciliter cette démarche, il pourrait être utile de déverrouiller, au bénéfice des collectivités et des associations, l’accès de ces partenaires à la centrale d’achat nationale du Cnous, qui est la clé de l’offre de produits alimentaires, à la fois qualitative et à tarif attractif, des restaurants universitaires. Nous le ferons bien évidemment, partout où c’est nécessaire.
J’ajoute que ce sujet demande un grand renfort de concertation avec les organisations représentatives des étudiants. Les deux principales, que sont la Fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, et l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, ont pris position clairement, mais je ne doute pas qu’il soit possible de trouver un point d’équilibre à travers la définition d’un objectif de couverture complète de l’ensemble des sites universitaires, en renforçant les outils dont nous disposons déjà à cette fin.
Ce que nous visons, au fond, c’est non pas seulement que nos étudiants mangent à leur faim, mais qu’ils gagnent en autonomie et en pouvoir d’agir. Ce que nous voulons leur offrir n’est pas seulement un quotidien digne, mais bien des conditions de vie favorables à leur réussite et à leur émancipation.
C’est pourquoi cette question de la lutte contre la précarité alimentaire doit être intégrée dans une vision globale de l’accompagnement social des étudiants et articulée à la réforme des bourses sur critères sociaux sur laquelle nous sommes en train de travailler.
La précarité étudiante est l’un des grands défis des mois à venir. Elle est aussi une opportunité pour changer notre regard sur les étudiants et penser enfin la singularité de ce statut. J’ai toute confiance en notre capacité à la saisir ensemble.
Nous aurons l’occasion de prolonger le débat lors de l’examen des amendements. Toujours est-il que le travail reste devant nous, à la fois parce que ce texte est perfectible et parce que nous disposons d’ores et déjà des outils permettant de couvrir les dernières zones blanches de notre territoire à l’horizon des prochains mois.