Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux remercier nos collègues du groupe Union Centriste de nous proposer l’examen de cette proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant et saluer la qualité du travail de notre rapporteur.
J’ai d’abord accueilli plutôt favorablement la perspective offerte par ce texte. En effet, les étudiants n’ont pas tous accès à la restauration universitaire. Cette proposition de loi peut donc paraître frappée au coin du bon sens, car l’utilisation d’un ticket restaurant est simple, souple et peut sembler correspondre aux habitudes des jeunes.
Cependant, plus nous avons travaillé sur le sujet et moins nous avons été convaincus. Les travaux menés en commission la semaine dernière ont encore affermi notre conviction. Beaucoup d’étudiants, par la voix de leurs représentants, s’opposent à cette proposition de loi, évoquant même une « fausse bonne idée » – expression que je peux faire mienne.
Même si les questions budgétaires sont très peu évoquées dans ce texte, l’instauration de ces titres restaurant représenterait un investissement important, dépassant le milliard d’euros par an. Où va aller l’argent ainsi investi ? Le texte est très flou, mais il est à craindre que ce soit dans les enseignes de restauration rapide. Il s’agit donc, manifestement, autant – sinon plus – d’un soutien au secteur privé que d’une aide aux étudiants, conduisant à terme à un affaiblissement du service public des Crous, ce qui pénaliserait les étudiantes et les étudiants les plus précaires.
Quitte à faire un investissement important en direction des étudiants, pourquoi ne pas les soutenir directement à travers une aide financière de 1, 5 milliard d’euros qu’ils réclament ? Elle permettrait de lutter plus efficacement contre la pauvreté étudiante qui s’accroît. Je rappelle que les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à l’extension du RSA aux 18-25 ans, en particulier en ces périodes très difficiles de crise sanitaire.
Les tickets restaurant peuvent également être le vecteur d’une certaine « malbouffe », la solution étant d’avoir recours à la restauration rapide et à ses qualités nutritionnelles souvent discutables…
Cette proposition de loi fait aussi l’impasse sur les enjeux budgétaires, renvoyant presque tout au pouvoir réglementaire. L’exposé des motifs évoque une valeur du ticket restaurant de 6, 60 euros, avec une prise en charge pour les étudiants de 3, 30 euros. Qui de l’État ou des collectivités territoriales prendra en charge le complément ? C’est le grand flou ; un flou qui peut faire craindre aux collectivités territoriales un nouvel alourdissement de leurs charges.
En outre, 3, 30 euros à la charge des étudiants, c’est beaucoup. Les plus précaires ne pourront s’acquitter de cette somme. Et pourquoi paieraient-ils 3, 30 euros, alors que le prix du restaurant universitaire est actuellement de 1 euro, sauf à présupposer que cette mesure bienvenue s’arrête ? Or il faudrait au contraire aider à la pérenniser.
Durant encore de très longs mois, les étudiants vont subir de plein fouet les conséquences économiques de cette crise sanitaire sans précédent, notamment en termes de logement et d’emplois étudiants. Leurs difficultés ne se limitent malheureusement pas à la nourriture, elles sont protéiformes et nécessitent – je le répète – une aide financière directe.
Je crains que l’éventuelle création de tickets restaurant pour les étudiants n’affaiblisse, au bénéfice du privé, les restaurants universitaires, dont la mission n’est pas seulement de nourrir les étudiants de manière équilibrée, ce qu’ils font plutôt bien d’ailleurs. Ils ont aussi une importante mission de socialisation et de repérage des élèves en difficultés ou en décrochage.
La restauration représente environ 30 % du chiffre d’affaires des Crous. Les priver d’une part de cette activité risque de mettre à mal leurs autres missions : logement, aides sociales, culture…
Je veux rappeler que la dotation budgétaire annuelle des Crous s’élève à seulement 10 % du coût prévisionnel de la création des tickets restaurant pour les étudiants : 367 millions d’euros pour 2021, hors crédits supplémentaires du plan de relance pour compenser la baisse à 1 euro du ticket de resto U. Les risques de fermeture de sites, de licenciement de personnels et de baisse de prestations sont donc très importants.
Cette proposition de loi met en avant des solutions inspirées par l’ultralibéralisme économique, l’individualisme et le repli sur la sphère privée. L’alternative consisterait à augmenter les moyens du réseau des œuvres, ce qui permettrait de multiplier les conventions et les partenariats avec les collectivités pour généraliser, à terme, l’accès à la restauration de tous les étudiants sur tous les territoires.
Les modifications apportées par la commission la semaine dernière, sur l’initiative de notre rapporteur, ne nous rassurent malheureusement pas. La restriction du bénéfice du dispositif aux seuls étudiants éloignés des restaurants universitaires introduit un critère uniquement géographique et non social et n’apporte pas davantage de garanties sur les financeurs, les conditions d’entrée dans le dispositif et le tarif du ticket.
Certes, ces nouvelles dispositions diminuent le coût de la mesure, mais les risques d’une prise en charge, par des financements publics, d’une alternative privée non accessible à tous perdurent, au détriment du service public de restauration universitaire et au risque d’un manque à gagner pour ce dernier.
Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, notamment le flou qui entoure la rédaction de ce texte, les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposeront à cette proposition de loi.