Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la détresse dans laquelle se trouvent plongés bon nombre d’étudiants depuis le début de la crise sanitaire que nous traversons s’est singulièrement illustrée par les images de longues files d’attente occasionnées par la distribution de repas gratuits.
Ce phénomène, certes largement conjoncturel, a mis en exergue les difficultés matérielles rencontrées par les étudiants, dont la vie est loin d’être un long fleuve tranquille. Se nourrir, au même titre que se loger, ressemble pour certains à un véritable parcours du combattant, dans lequel on cherche plus des mesures palliatives qu’un confort idéal. C’est une situation dans laquelle on se satisfait de conditions juste acceptables pour poursuivre ses études.
Au travers de la proposition de loi déposée au Sénat par Pierre-Antoine Levi et à l’Assemblée nationale par ma collègue du Maine-et-Loire Anne-Laure Blin, il s’agit de prendre en considération la précarité alimentaire, dont souffrent certains étudiants, et de proposer, pour l’estomper, une mesure de ticket restaurant, dont chacun connaît le fonctionnement pour les salariés du secteur privé.
Comment adapter un tel dispositif au public estudiantin ? La question n’est pas si simple, et je veux saluer le travail de M. le rapporteur, Jean Hingray, qui, tout au long des auditions qu’il a menées, a bien mesuré les écueils, les difficultés d’application et les impacts d’une telle mesure.
Une instauration généralisée des tickets restaurant pour tous les étudiants, quel que soit le campus fréquenté, comportait à mon sens un potentiel risque de déstabilisation du réseau des Crous qui, rappelons-le, a la charge à la fois des restaurants et des résidences universitaires.
Mon dernier rapport budgétaire mettait en lumière les pertes financières des Crous, qui sont concentrées sur la partie restauration. De plus, de nouvelles exigences en matière d’approvisionnements locaux et en aliments bio, liées notamment à l’application de la loi Égalim, engendreront un surcoût non négligeable. Il me semble par conséquent délicat de les solliciter davantage sans une augmentation de la subvention pour charges de service public. Nous pourrons avoir ce débat lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Cependant, il reste les fameuses zones blanches évoquées par M. le rapporteur, soit, pour l’essentiel, les antennes universitaires non pourvues de resto U, où chacun doit se débrouiller pour accéder à une alimentation à un tarif raisonnable et, si possible, équilibrée.
Je félicite M. le rapporteur d’avoir trouvé, via un amendement largement adopté par la commission, une nouvelle rédaction de l’article 1er qui introduit une judicieuse territorialisation de la mesure. Le décret d’application devra préciser les modalités de mise en œuvre de ce ticket restaurant étudiant, notamment son périmètre et son usage.
Il subsiste toutefois, semble-t-il, quelques interrogations, voire certains griefs contre cette initiative législative. C’est bien connu, quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu’il a la rage…
J’estime ainsi que le coût de la mesure est largement surévalué. La subvention de 3, 30 euros par repas ne saurait être multipliée par le nombre d’étudiants – quasiment 2, 8 millions – et le nombre de repas que compte une année universitaire. D’une part, la territorialisation évoquée précédemment réduit considérablement « l’assiette », si je puis dire. D’autre part, les habitudes des étudiants sont diverses, et une étude montre que moins d’un étudiant sur deux fréquente les restaurants universitaires. Rappelons-le également, comme pour les salariés du secteur privé, il s’agit d’une possibilité que chaque étudiant exercera à sa guise – il n’y a donc rien de systématique.
Par ailleurs, la mesure est considérée par certains comme une faveur, dont il conviendrait de faire le procès, accordée aux chaînes de restauration rapide, comme si chaque étudiant, muni de son ticket restaurant dûment acquis, achètera et avalera, jour après jour, son hamburger favori, sans aucune considération diététique. Curieusement, il n’a pas été mis en avant que ces tickets pourraient aussi être utilisés chez les restaurateurs, qui souffrent depuis maintenant dix-huit mois.
Je rappelle que nous parlons ici de jeunes adultes, régulièrement sensibilisés à la problématique de l’alimentation et de ses conséquences sur leur santé, de jeunes gens dotés d’une certaine capacité à avoir une attitude responsable.
Si je reprends cet argument, faudrait-il envisager que toute mesure d’aide sociale, des allocations logement au RSA, en passant par les indemnités chômage, soit accompagnée d’un mode d’emploi, d’un règlement pour son usage, voire d’un conseiller délivrant les autorisations de décaissement ? Je ne souscris évidemment pas à une telle vision de mise sous tutelle.
Pour les raisons que je viens d’invoquer, les sénateurs du groupe Les Républicains ont choisi de faire confiance à ce dispositif novateur et aux étudiants pour son usage. Par conséquent, ils voteront pour l’adoption de ce texte.