Intervention de Colette Giudicelli

Réunion du 25 octobre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Colette GiudicelliColette Giudicelli :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son intervention de 1847 sur les prisons à la Chambre des pairs, c'est-à-dire ici même, Victor Hugo affirmait : « Tout homme coupable est une éducation manquée qu’il faut refaire. La prison doit être une école. »

Cette phrase, sur laquelle au moins, j’en suis sûre, nous pouvons nous rassembler, prend tout son sens lorsque l’on évoque la question de la délinquance des mineurs.

La délinquance juvénile dans notre pays est un vrai sujet d’inquiétude. Elle est le résultat de la conjonction de plusieurs phénomènes.

Tout d’abord, la progression significative, depuis plusieurs années, du nombre de délinquants mineurs n’est pas contestable. Il faut tout de même rappeler que la part des mineurs dans la délinquance globale a été de 18, 8 % en 2010.

Au total, le nombre de mineurs délinquants confiés à la Protection judiciaire de la jeunesse n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années ; son taux de croissance a été de 44 % entre 2002 et 2010.

Dans mon département, les Alpes-Maritimes, si l’on constate une baisse assez forte – près de 19 % – de la délinquance générale entre 2002 et 2010, la délinquance des mineurs se maintient, elle, à un niveau très élevé.

Ces éléments ne tiennent bien sûr pas compte de l’explosion des incivilités, qui restent trop souvent impunies et sont très mal vécues au quotidien par nos concitoyens.

Cette augmentation du nombre de délinquants mineurs est associée à un rajeunissement des auteurs des infractions et à une aggravation des actes de délinquance.

Les actes de violence des mineurs sont passés de 16 % à 22 % des mises en cause entre 2002 et 2010.

Il faut absolument arrêter ces processus avant que certains mineurs ne deviennent violents et, peut-être, irrécupérables.

Face aux jeunes primo-délinquants désocialisées, en échec scolaire, parfois confrontés à la démission totale des parents, nous devons apporter de manière urgente des réponses spécifiques.

Bien évidemment, nous devons continuer de privilégier les mesures éducatives plutôt que les dispositifs répressifs, comme l’impose l’ordonnance du 2 février 1945. Cela exige de mettre de nombreux outils à la disposition de l’autorité judiciaire.

C’est une erreur de penser que l’autorité judiciaire disposerait aujourd’hui d’un éventail formidable de solutions suffisamment larges pour répondre à toutes les situations : en dépit des différents dispositifs existants, les solutions apportées restent finalement peu variées.

Le contrat de service citoyen n’est pas seulement une alternative à la prison. Le texte tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale complète utilement l’ensemble des dispositifs existants entre, d’une part, les foyers classiques et, d’autre part, les centres éducatifs fermés, que nous avons créés en 2002.

Le contrat de service citoyen, que je défends, est effectivement le chaînon qui manquait à notre réponse pénale. Il participera au processus de resocialisation des mineurs primo-délinquants.

Il sera prononcé par le magistrat au titre de la composition pénale ou dans le cadre d’un ajournement de peine, voire d’une peine d’emprisonnement avec sursis accompagné d’une mise à l’épreuve.

Certes, plusieurs questions se posent.

Pour mettre en œuvre le contrat de service citoyen, était-il souhaitable de créer un nouveau type de centre de discipline et de réinsertion à côté des foyers, des autres structures d’accueil et des centres éducatifs fermés ?

À cet égard, je partage totalement les points de vue du député Éric Ciotti et du Gouvernement : il fallait tirer parti de l’existence et de l’expérience des centres gérés par l’Établissement public d’insertion de la défense, créé en 2005.

Ces établissements assurent déjà l’insertion sociale et professionnelle de jeunes adultes en difficulté, en risque de marginalisation et volontaires.

S’appuyant sur le programme dispensé au sein des centres EPIDE, le contrat de service citoyen a trois objectifs : assurer une mise à niveau en français, orthographe et mathématiques ; dispenser une formation civique et comportementale ; offrir une préformation professionnelle.

Ce programme a démontré son efficacité, puisque le taux de réussite dans les centres EPIDE est de plus de 80 % pour ceux qui ont eu le courage d’aller jusqu’au bout du parcours.

Seconde question, peut-on mélanger des publics très différents ? Aurait-on d’un côté des jeunes volontaires décidés à s’en sortir et, de l’autre, des jeunes délinquants irrécupérables qui ne le seraient pas ?

Le contrat de service citoyen ne s’adressera qu’à des mineurs âgés de plus de seize ans primo-délinquants ou ayant commis des faits d’une faible gravité et, surtout, ayant exprimé leur consentement.

La caractéristique essentielle du dispositif est, effectivement, qu’il repose sur le volontariat. Il n’y a pas de réinsertion, pas d’insertion possible sans adhésion de l’intéressé.

Dans ce cadre, il est essentiel que le juge s’assure de la réelle adhésion des jeunes concernés. Faisons donc confiance à la justice pour apprécier leur degré de motivation.

Contrairement à ce que nous avons pu entendre, la proposition de loi d’Éric Ciotti ne dénature nullement la vocation initiale des centres EPIDE, et cela pour deux raisons.

D’une part, il a toujours été prévu que les jeunes délinquants restent minoritaires dans les EPIDE. En réalité, ils ne dépasseront pas plus de 10 % des effectifs de chaque centre. Cela a été dit, 200 jeunes par an seront concernés dans un premier temps ; dès février 2012, les premiers d’entre eux seront accueillis.

D’autre part, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, « l’EPIDE et la Protection judiciaire de la jeunesse travaillent déjà ensemble à la réinsertion de jeunes qui, ayant purgé leur peine, souhaitent s’engager dans un projet de formation professionnelle ».

Pour l’ensemble de ces raisons, je suis favorable au service citoyen, ainsi qu’aux diverses dispositions contenues dans la présente proposition de loi.

Nous ne devons négliger aucune solution qui puisse faire régresser la délinquance, laquelle mine nombre de quartiers et de nos villes.

Pour ce qui est du présent débat, je regrette que la commission des lois se soit contentée de proposer au Sénat l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable.

D’abord, recourir à cette procédure, c’est considérer qu’il est inutile de délibérer au fond. Vous empêchez donc par là même le Sénat, chers collègues, de jouer son rôle de réflexion sur un sujet important et vous le privez de la possibilité d’amender et d’enrichir le texte.

Vous auriez pu proposer un autre texte, un contre-projet, qui réponde à la question qui nous est posée aujourd’hui : quelles solutions proposons-nous pour répondre à la délinquance des mineurs ?

Enfin et surtout, je constate que vous ne formulez aucune proposition. Je le regrette vivement.

Pour l’ensemble de ces raisons, je ne voterai pas la motion tendant à opposer la question préalable.

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