Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 10 juin 2021 à 10h30
Nommer les enfants nés sans vie — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est le fruit de rencontres et d’échanges avec des familles durement éprouvées par la perte d’un enfant né sans vie. Je salue celles qui sont présentes ce matin en tribune.

Ce texte vise à donner un nom de famille à ces enfants afin d’accompagner le deuil des parents et de figer ainsi dans la loi les premiers éléments d’une reconnaissance sociale. La disposition proposée n’emporte pas de droits supplémentaires, mais elle permet aux familles comme à tous les professionnels qui les accompagnent dans ces moments si pénibles, les sages-femmes, le personnel médical et les agents de l’état civil, des services funéraires, mais aussi des caisses d’allocations familiales ou de la Mutualité sociale agricole, de s’appuyer sur un cadre juridique à même – je l’espère – de faire évoluer les pratiques et de résorber les trop nombreuses inégalités territoriales constatées.

Je voudrais ici remercier les juristes et les sociologues que j’ai sollicités pour qu’ils m’éclairent dans la compréhension de ce dossier. Je salue le travail d’analyse et de sensibilisation qu’ils réalisent sur ce sujet délicat. J’attire d’ailleurs l’attention de ceux qui ne le connaîtraient pas sur le rapport Périsens (périnatalité, statuts, enregistrement, statistiques), publié en juin 2019 dans le cadre de la mission de recherche « Droit et justice ».

En matière de reconnaissance des enfants sans vie, la situation est bel et bien préoccupante. Leur nombre est estimé à 8 000 par an, mais leur recensement est difficilement fiable puisque certains parents choisissent, semble-t-il, de ne pas faire enregistrer leurs enfants.

En l’absence de personnalité juridique, la loi ne reconnaît pas socialement ces enfants, pas plus qu’elle ne reconnaît le deuil périnatal.

Nous entendons franchir ce pas, en permettant aux parents qui le souhaitent d’attribuer un nom de famille à ces enfants et en inscrivant dans la loi la possibilité de choisir un prénom. Cette dernière faculté est reconnue aux parents par un texte normatif, la circulaire du 19 juin 2009, aux termes de laquelle « un ou des prénoms peuvent être donnés à l’enfant sans vie, si les parents en expriment le désir », mais elle n’est jusqu’à présent pas prévue à l’article 79-1, alinéa 2, du code civil. J’ajoute que l’ouverture d’une telle possibilité se ferait sans créer de personnalité juridique ni de lien de filiation.

La disposition que nous soumettons au débat a été formulée sous forme de recommandation, dès 2005, par le Médiateur de la République.

La situation des enfants nés sans vie pose de nombreuses questions qui restent en suspens d’un point de vue juridique : au motif qu’il n’a pas de personnalité juridique, l’enfant né sans vie doit-il être juridiquement considéré comme l’enfant de personne ? Pourquoi ne pas attribuer un nom et un lien de filiation à un enfant né sans vie, alors qu’il peut être inscrit sur le livret de famille et se voir attribuer un prénom ? Qui porte un prénom sans avoir de nom ?

Inversement, malgré la non-reconnaissance d’un lien de filiation, l’acte d’enfant sans vie doit énoncer l’identité des père et mère en application de l’article 79-1 du code civil.

Il y a là autant de questions auxquelles cette proposition de loi ne répond que partiellement.

En ce sens, elle constitue à mes yeux une étape dans la prise de conscience juridique de ces situations, mais également dans l’organisation d’un accompagnement des familles qui reste à construire.

Je remercie notre rapporteur, Marie Mercier, pour le travail d’ajustement qu’elle a accompli, ainsi que mes collègues pour leurs propositions, en particulier l’amendement visant à ce que soit remis chaque année au Parlement un rapport sur la protection sociale à laquelle ont droit les parents d’enfants nés sans vie.

Ces dispositions constituent de réelles avancées sur le chemin de la reconnaissance des enfants nés sans vie et de l’accompagnement social du deuil des familles.

Ces nom et prénom individualisent l’enfant, lui accordent une place « officielle » dans la famille et dans son histoire, l’affirment aux yeux de l’administration, des services publics et des différents acteurs qui accompagnent la famille. Supports mémoriels et de deuil essentiels pour la famille, ils représentent un pas supplémentaire vers la reconnaissance sociétale de cette épreuve.

Ils permettront, je l’espère, d’avancer encore, à l’avenir, vers une plus grande considération sociale et surtout, monsieur le garde des sceaux, vers une meilleure uniformisation du traitement de ces situations et de l’accompagnement des familles sur l’ensemble du territoire.

Tels sont les objets de cette proposition de loi que vous me permettrez de qualifier d’humaniste et que je vous invite à voter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion