Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à première vue, le débat qui nous réunit aujourd’hui sur l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances pourrait surprendre, puisque, en vertu de la Constitution et contrairement aux lois ordinaires, les lois de finances résultent nécessairement d’une initiative gouvernementale.
En outre, les initiatives parlementaires sont fortement contraintes par les règles de recevabilité financière issues de l’article 40 de la Constitution, même si cet article n’a en moyenne d’incidence que sur 4 % des amendements proposés dans le cadre des lois de finances. À titre d’illustration, en vertu de l’article 7 de la LOLF, seule une disposition d’initiative gouvernementale peut créer une mission budgétaire.
La procédure elle-même est strictement encadrée par l’article 47 de la Constitution, en particulier en termes de délais, par rapport à l’importance de ces textes. Le Sénat ne dispose que de vingt jours en séance publique, contre quarante pour l’Assemblée nationale. En l’état, cela ne peut que conduire à une rationalisation du débat parlementaire toujours mal vécue par le Sénat.
Étendre l’influence du Parlement dans l’élaboration des lois de finances nécessiterait de lui donner des moyens constitutionnels et organiques dont il ne dispose pas aujourd’hui, notamment en ce qui concerne la recevabilité financière et organique de ses initiatives. C’est le premier constat.
Au-delà, la question qui nous est posée est celle de la prise en compte des initiatives parlementaires par le Gouvernement dans les textes financiers qu’il présente et dans leur version définitivement adoptée.
Pour ce qui concerne le domaine fiscal, les parlementaires interviennent régulièrement par voie d’amendements et ceux-ci peuvent très directement inspirer le projet du Gouvernement ou le texte définitivement adopté. Le rapporteur général a pris l’exemple récent du carry back pour les entreprises. Ce dispositif, proposé par la majorité sénatoriale, a initialement été refusé par le Gouvernement au cours de l’année 2020, avant qu’il ne nous propose désormais de le prolonger dans le projet de loi de finances rectificative.
Il en va de l’intervention du Parlement dans ce domaine comme dans les autres : sa prise en compte dépend avant tout de l’adhésion de la majorité gouvernementale. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a, à cet égard, déposé de nombreuses propositions de loi ces dernières années. Il appartient dès lors au Gouvernement de s’en saisir et de les faire siennes s’il le souhaite !
Pour ce qui concerne les dépenses, en raison des règles de recevabilité financière sur lesquelles je pense qu’il faudra revenir, il est indiscutable que l’intervention du Parlement est plus strictement encadrée, voire entravée, cela a été souligné. Il n’en reste pas moins que, tout au long de l’année – et pas seulement au printemps –, les parlementaires, en particulier les rapporteurs spéciaux, formulent de nombreuses recommandations. Philippe Dallier vient par exemple de publier un rapport d’information dénonçant les insuffisances des crédits de l’hébergement d’urgence et le Gouvernement a décidé d’abonder ces crédits de 700 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Récemment, Bernard Delcros a souligné le manque d’ambition du plan de lutte contre les algues vertes, Thierry Cozic et Frédérique Espagnac ont analysé l’évolution du réseau de la direction générale du Trésor à l’étranger. Je pourrais multiplier les exemples.
Au-delà de ce que le Gouvernement pourra reprendre de sa propre initiative, il nous appartient de déposer les amendements correspondants sur les missions budgétaires concernées. Le nombre d’amendements déposés sur le projet de loi de finances ou sur les collectifs de l’année passée en témoigne, même si nous pouvons tous ensemble regretter de ne pas être davantage entendus.
L’organisation du débat d’orientation des finances publiques à une date tardive et l’absence d’informations sur le détail des crédits par mission budgétaire montrent que le Gouvernement ne peut, ou ne veut pas, dévoiler trop tôt ses propres arbitrages.
Malgré ses faiblesses, l’amendement relatif aux crédits reste le seul outil permettant de soumettre réellement au débat et au vote démocratique un choix budgétaire. Il est à cet égard bien plus pertinent que la procédure récemment utilisée du décret d’avance, qui ne laisse au Parlement que la possibilité d’émettre un avis, non contraignant pour le Gouvernement.