Notre commission a effectivement été saisie d'une proposition de résolution européenne (PPRE), déposée le 7 mai dernier par notre collègue Cyril Pellevat, visant à rendre pérenne l'augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs frontaliers.
Cette proposition de résolution met en évidence une vraie problématique de fond et d'actualité ; elle soulève le sujet de l'adaptation de notre droit, et notamment de celui de l'Union européenne, aux nouvelles méthodes de travail, expérimentées à la faveur de la pandémie.
Les mesures de confinement prises par les différents États membres ont, en effet, conduit un certain nombre de salariés à exercer leur activité professionnelle à distance depuis la France pour le compte d'un employeur établi dans un État frontalier. Les travailleurs frontaliers - qui sont définis, en matière de protection sociale, comme des personnes exerçant une activité dans un État et résidant dans un autre État où elles retournent au moins une fois par semaine - ont ainsi été largement concernés.
Pour mémoire, selon une étude de l'INSEE datant de 2019, plus de 360 000 habitants des zones frontalières françaises travaillaient dans un pays limitrophe en 2015. Ce nombre ne s'est pas réduit depuis.
Ce recours accru au télétravail, encouragé par les mesures de confinement, aurait dû modifier le régime fiscal et social applicable aux travailleurs frontaliers, au regard des règles existantes en la matière. C'est pourquoi la France, dès mars 2020, a engagé des discussions avec ses voisins frontaliers pour trouver des accords permettant le maintien des régimes existants, en raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie.
L'objet de la proposition de résolution est donc de pérenniser, en partie, les accords temporaires conclus pendant cette crise. Cette proposition appelle ainsi à une modification de la législation de l'Union européenne et des conventions fiscales bilatérales, afin que les travailleurs frontaliers puissent exercer jusqu'à deux jours de télétravail par semaine, sans changer d'État d'affiliation au régime de sécurité sociale ni d'État d'imposition.
Pour mieux comprendre l'objet de ce texte et nos propositions d'amendement, je reviens quelques instants sur le droit existant en la matière.
Concernant le volet « sécurité sociale », ce sont les règlements européens de coordination de sécurité sociale - à savoir un règlement de base datant de 2004 et son règlement d'application de 2009 - qui déterminent la législation applicable en matière de sécurité sociale au travailleur mobile. Ces règlements s'appliquent aux États membres de l'Union européenne et de l'Espace Économique Européen (EEE) et à la Suisse. Le principe posé par ces règlements est celui de la lex loci labori, c'est-à-dire de l'affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de l'État dans lequel il exerce son activité. Par dérogation à ce principe général, les règlements de coordination déterminent la législation applicable en cas de détachement et d'exercice d'activités dans deux ou plusieurs États membres.
En cas de pluri-activité - cas qui englobe les travailleurs frontaliers en télétravail -, la détermination de la législation applicable se fonde sur la notion d'activité substantielle, dont le seuil a été fixé à 25 % du temps de travail ou de la rémunération annuels.
Les règlements ne prévoyant pas de dispositions spécifiques à la situation de télétravail, si un travailleur, résidant en France et travaillant au Luxembourg, télétravaille depuis son domicile, il demeurera affilié au régime de sécurité sociale luxembourgeois tant que son télétravail depuis son domicile n'excède pas 25% de son temps de travail. Si ce taux est dépassé, il sera alors affilié au régime français pour l'ensemble de son activité.
Il s'agit donc là des règles existantes. La révision des deux règlements européens précités est d'ailleurs en cours de négociation depuis plusieurs années. Le 16e trilogue qui s'est tenu, sous présidence portugaise, n'a malheureusement pas permis d'aboutir à un accord. Les points d'achoppement principaux demeurent la notification préalable avant l'envoi d'un travailleur aux autorités compétentes de l'État membre d'accueil, ainsi que le régime d'indemnisation chômage des travailleurs transfrontaliers.
Pour revenir au droit en vigueur, l'application des règlements existants a en tout cas dû être assouplie pendant cette crise, puisque les mesures de confinement ont conduit les frontaliers à dépasser ce seuil de 25 %.
Concernant le droit existant en matière fiscale, des régimes spécifiques d'imposition pour les travailleurs résidant et travaillant dans une zone frontalière sont prévus dans les conventions fiscales conclues par la France avec l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse. Afin de simplifier leurs démarches administratives, ces régimes permettent l'imposition exclusive de leurs salaires dans l'État de résidence, soit la France pour les frontaliers qui y résident, à condition de ne pas dépasser un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État.
Par ailleurs, la convention conclue par la France et le Luxembourg ne prévoit pas de régime spécifique pour les travailleurs frontaliers. C'est la règle générale d'imposition des salaires au lieu d'activité qui prévaut, soit au Luxembourg pour les travailleurs frontaliers résidents de France. Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise en mars 2018, les frontaliers français peuvent néanmoins télétravailler depuis la France au profit de leur employeur luxembourgeois, jusqu'à 29 jours, sans que la rémunération afférente ne soit imposée en France.