Nous examinons ce matin une proposition de résolution européenne déposée par un membre de notre commission, Cyril Pellevat. Il s'agit de permettre aux salariés frontaliers de pouvoir continuer à télétravailler comme ils le font en raison de la pandémie sans que cela n'ait d'incidence sur leur régime d'imposition ou de cotisations sociales. C'est un texte intéressant car il pose la question de la pérennisation des nouveaux modes de travail qui se sont mis en place en réponse à la pandémie.
Nous en avons confié l'instruction à nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey, que je remercie d'avoir travaillé dans les délais courts que le Règlement du Sénat impose à notre commission pour examiner les propositions de résolution européenne qui lui sont soumises.
Notre commission a effectivement été saisie d'une proposition de résolution européenne (PPRE), déposée le 7 mai dernier par notre collègue Cyril Pellevat, visant à rendre pérenne l'augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs frontaliers.
Cette proposition de résolution met en évidence une vraie problématique de fond et d'actualité ; elle soulève le sujet de l'adaptation de notre droit, et notamment de celui de l'Union européenne, aux nouvelles méthodes de travail, expérimentées à la faveur de la pandémie.
Les mesures de confinement prises par les différents États membres ont, en effet, conduit un certain nombre de salariés à exercer leur activité professionnelle à distance depuis la France pour le compte d'un employeur établi dans un État frontalier. Les travailleurs frontaliers - qui sont définis, en matière de protection sociale, comme des personnes exerçant une activité dans un État et résidant dans un autre État où elles retournent au moins une fois par semaine - ont ainsi été largement concernés.
Pour mémoire, selon une étude de l'INSEE datant de 2019, plus de 360 000 habitants des zones frontalières françaises travaillaient dans un pays limitrophe en 2015. Ce nombre ne s'est pas réduit depuis.
Ce recours accru au télétravail, encouragé par les mesures de confinement, aurait dû modifier le régime fiscal et social applicable aux travailleurs frontaliers, au regard des règles existantes en la matière. C'est pourquoi la France, dès mars 2020, a engagé des discussions avec ses voisins frontaliers pour trouver des accords permettant le maintien des régimes existants, en raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie.
L'objet de la proposition de résolution est donc de pérenniser, en partie, les accords temporaires conclus pendant cette crise. Cette proposition appelle ainsi à une modification de la législation de l'Union européenne et des conventions fiscales bilatérales, afin que les travailleurs frontaliers puissent exercer jusqu'à deux jours de télétravail par semaine, sans changer d'État d'affiliation au régime de sécurité sociale ni d'État d'imposition.
Pour mieux comprendre l'objet de ce texte et nos propositions d'amendement, je reviens quelques instants sur le droit existant en la matière.
Concernant le volet « sécurité sociale », ce sont les règlements européens de coordination de sécurité sociale - à savoir un règlement de base datant de 2004 et son règlement d'application de 2009 - qui déterminent la législation applicable en matière de sécurité sociale au travailleur mobile. Ces règlements s'appliquent aux États membres de l'Union européenne et de l'Espace Économique Européen (EEE) et à la Suisse. Le principe posé par ces règlements est celui de la lex loci labori, c'est-à-dire de l'affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de l'État dans lequel il exerce son activité. Par dérogation à ce principe général, les règlements de coordination déterminent la législation applicable en cas de détachement et d'exercice d'activités dans deux ou plusieurs États membres.
En cas de pluri-activité - cas qui englobe les travailleurs frontaliers en télétravail -, la détermination de la législation applicable se fonde sur la notion d'activité substantielle, dont le seuil a été fixé à 25 % du temps de travail ou de la rémunération annuels.
Les règlements ne prévoyant pas de dispositions spécifiques à la situation de télétravail, si un travailleur, résidant en France et travaillant au Luxembourg, télétravaille depuis son domicile, il demeurera affilié au régime de sécurité sociale luxembourgeois tant que son télétravail depuis son domicile n'excède pas 25% de son temps de travail. Si ce taux est dépassé, il sera alors affilié au régime français pour l'ensemble de son activité.
Il s'agit donc là des règles existantes. La révision des deux règlements européens précités est d'ailleurs en cours de négociation depuis plusieurs années. Le 16e trilogue qui s'est tenu, sous présidence portugaise, n'a malheureusement pas permis d'aboutir à un accord. Les points d'achoppement principaux demeurent la notification préalable avant l'envoi d'un travailleur aux autorités compétentes de l'État membre d'accueil, ainsi que le régime d'indemnisation chômage des travailleurs transfrontaliers.
Pour revenir au droit en vigueur, l'application des règlements existants a en tout cas dû être assouplie pendant cette crise, puisque les mesures de confinement ont conduit les frontaliers à dépasser ce seuil de 25 %.
Concernant le droit existant en matière fiscale, des régimes spécifiques d'imposition pour les travailleurs résidant et travaillant dans une zone frontalière sont prévus dans les conventions fiscales conclues par la France avec l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse. Afin de simplifier leurs démarches administratives, ces régimes permettent l'imposition exclusive de leurs salaires dans l'État de résidence, soit la France pour les frontaliers qui y résident, à condition de ne pas dépasser un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État.
Par ailleurs, la convention conclue par la France et le Luxembourg ne prévoit pas de régime spécifique pour les travailleurs frontaliers. C'est la règle générale d'imposition des salaires au lieu d'activité qui prévaut, soit au Luxembourg pour les travailleurs frontaliers résidents de France. Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise en mars 2018, les frontaliers français peuvent néanmoins télétravailler depuis la France au profit de leur employeur luxembourgeois, jusqu'à 29 jours, sans que la rémunération afférente ne soit imposée en France.
Ma collègue vous a dressé un panorama de la législation existante en matière de régime fiscal et social des travailleurs transfrontaliers. Mais celle-ci a été bouleversée par la crise sanitaire et a dû être adaptée en raison de l'impossibilité pour les frontaliers de se rendre sur le lieu de leur travail.
Afin de neutraliser les effets de ces réglementations sur la situation des frontaliers, des accords ont été trouvés par la France et les pays voisins pour maintenir les régimes existants des frontaliers s'agissant de leur État d'affiliation au régime de sécurité sociale et leur État d'imposition.
Sur le volet social, cette entente entre les États, dans un souci d'efficacité et de souplesse, n'a pas fait l'objet d'accord formel ; à l'inverse, sur le volet fiscal, les conventions bilatérales ont dû être adaptées par le biais d'accords amiables. Des communiqués de presse à destination des travailleurs et employeurs concernés ont donc été diffusés sur le site des autorités compétentes en matière de sécurité sociale, notamment ceux du ministère et du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS) côté français, que nous avons auditionné.
Nous saluons ainsi la réactivité des services, ainsi que le choix qui a été fait de ne prévoir aucun formalisme particulier pour régulariser ces situations, afin de ne pas alourdir la charge administrative des employeurs comme des travailleurs concernés.
Au regard de l'évolution de la situation sanitaire, une première échéance de cette flexibilité avait été fixée au 31 août 2020, prolongée jusqu'au 31 décembre dernier, puis à nouveau étendue jusqu'au 30 juin 2021. Il semblerait, d'après les informations qui nous ont été communiquées lors des auditions, que cette échéance soit prolongée jusqu'au 30 septembre 2021 du fait du contexte de confinement et de déconfinement partiel.
Il en serait de même pour les accords amiables intervenus pour les conventions fiscales liant la France aux pays frontaliers. Ces accords amiables avaient également été renouvelés plusieurs fois durant la crise, en cohérence avec le volet relatif à la sécurité sociale.
La question qui se pose maintenant est celle de la sortie de crise, et donc de la pérennisation de tels dispositifs, eu égard au possible maintien dans le temps de cette nouvelle méthode de travail qu'est le télétravail.
Si la problématique concernant le volet « sécurité sociale » relève du droit de l'Union européenne, la question fiscale ressort quant à elle de conventions bilatérales, qui n'entrent normalement pas dans le champ de compétence de notre commission. Nous nous permettrons toutefois quelques observations puisque la proposition de résolution traite des deux volets et que le volet fiscal demeure étroitement lié à la question de l'affiliation au régime de sécurité sociale pour les travailleurs frontaliers.
Sur le volet social, nous considérons ainsi, comme notre collègue Cyril Pellevat, qu'il est nécessaire d'encourager, tout en l'encadrant, l'évolution de l'organisation du travail permise dans le contexte de la pandémie. Il nous semble toutefois raisonnable, d'une part, de ne pas aller au-delà de deux jours de télétravail par semaine et, d'autre part, de limiter ce dispositif aux frontaliers, pour éviter des effets d'aubaine ou d'optimisation qui risqueraient de conduire à des formes d'ubérisation du travail. Les frontaliers pourraient ainsi télétravailler jusqu'à deux jours par semaine dans leur État de résidence sans que cela n'ait d'incidence sur la détermination de l'État auquel leurs cotisations sociales doivent être versées. On passerait donc de 25 % à 40 %. Ce dispositif spécifique serait toutefois à dissocier des règles générales déjà complexes, liées à la pluriactivité, qu'il convient de ne pas remettre en question.
Il faut, par ailleurs, garder à l'esprit que le travail frontalier peut constituer une charge pour l'État français. Ma collègue et moi avions déjà travaillé sur ce sujet il y a deux ans dans le cadre d'une mission d'information. L'indemnisation du chômage des frontaliers coûte environ 600 millions d'euros par an à l'Unédic, et elle est en grande partie due aux frontaliers travaillant en Suisse.
Mais il nous semble que la France pourrait retirer d'un recours accru des frontaliers au télétravail, des avantages économiques certains, en évitant notamment des investissements coûteux en termes d'infrastructures, et en bénéficiant du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire. Cela permettrait également de retenir des frontaliers qui souhaiteraient déménager dans leur État d'emploi si le télétravail devenait problématique. Par ailleurs, une telle réglementation pourrait inciter à une contractualisation des travailleurs indépendants, et constituer une forme de garantie contre le phénomène d'ubérisation.
Nous sommes donc favorables au dispositif proposé par la PPRE sur le volet social et nous encourageons le Gouvernement à porter ce sujet dans les négociations au sein du Conseil. Toutefois, nous nous interrogeons sur le fait de savoir si ce sujet devrait être discuté dès à présent dans les négociations en cours - qui sont déjà difficiles - des règlements de coordination de sécurité sociale, au risque d'introduire de la complexité supplémentaire. Des travaux préparatoires sont notamment engagés au sujet d'une initiative européenne sur une facilitation du recours au télétravail et le droit à la déconnexion. De fait, seront envisagés, dans ce texte, des aménagements pour les frontaliers.
Concernant le sujet des conventions fiscales bilatérales, relativement sensible, et normalement hors de notre champ de compétences, nous proposons de laisser figurer les dispositions prévues par notre collègue. D'abord, parce que nous considérons comme cohérent de lier les volets social et fiscal, et ensuite parce que nous estimons que la France aurait des intérêts à voir se développer le télétravail, et notamment celui des frontaliers.
Nous vous proposons ainsi d'adopter cette propositions de résolution de Cyril Pellevat, légèrement amendée au vu des éléments qui sont ressortis de nos auditions et que nous venons de vous exposer. Elle sera renvoyée pour examen au fond à la commission des affaires sociales.
Je vais revenir sur les propositions d'amendements qui sont faites par les rapporteurs, même si le fond du texte est largement préservé :
- à l'alinéa 5, il est proposé après « sur le revenu et sur la fortune », d'ajouter « et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales » ;
- à l'alinéa 9, après « juridique », il est proposé d'ajouter « réciproque » ;
- à l'alinéa 19, il est proposé, après « 25 % de leur temps de travail », de préciser « soit à peine plus d'un jour de télétravail par semaine », à la place de « soit un jour de télétravail par semaine »;
- à l'alinéa 20, il est proposé d'ajouter « notamment » après « à l'exception » ainsi qu'une réécriture de la fin de l'alinéa qui serait ainsi rédigé : « considérant que les conventions et les accords fiscaux conclus par la France avec les États avec lesquels elle partage une frontière, à l'exception notamment de la convention conclue avec le Luxembourg, prévoient qu'un salarié est imposé dans son pays de résidence à condition qu'il travaille dans l'État frontalier mais qu'il rentre au moins une fois par semaine dans son pays de résidence, et qu'il travaille ou réside dans la zone transfrontalière définie conventionnellement, en ne dépassant pas un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État »;
- à l'alinéa 22, il est proposé de procéder à une modification rédactionnelle puisqu'il s'agit de remplacer « s'est » par « a été » ;
- après l'alinéa 23, il est proposé d'ajouter un considérant ainsi rédigé : « considérant qu'à condition de mener, en parallèle, un contrôle plus strict sur les adresses de domiciliation des entreprises, notamment au Luxembourg, pour éviter tout phénomène de fraude, la France pourrait retirer d'un recours accru au télétravail des frontaliers des avantages économiques certains, notamment en évitant des investissements coûteux en termes d'infrastructures, en encourageant les frontaliers à ne pas quitter la France pour emménager dans l'État d'emploi, et en bénéficiant du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire » ;
- à l'alinéa 27, il s'agit de remplacer « plus d'un jour » par « jusqu'à deux jours » ;
- enfin, à l'alinéa 28, il est proposé de procéder à une modification rédactionnelle.
Je voudrais préciser que, concernant certains régimes d'imposition spécifiques aux frontaliers qui payent leurs impôts en France, la France verse une compensation aux pays d'emploi pour leur perte de recettes fiscales. Sur ce point, nous ne disposons pas d'éléments chiffrés mais nous allons essayer d'en avoir prochainement car cette compensation représente aussi un coût certain. Nous sommes conscients des réticences de Bercy comme de la commission des finances du Sénat, qui ne sont pas très favorables à l'adoption de cette proposition de résolution. Je pense qu'il serait utile de mener une étude complète sur le sujet, et notamment sur les départs des cadres à haut revenu dans les pays frontaliers et notamment au Luxembourg. J'ai pu en discuter longuement avec un membre du cabinet PWC, qui a rédigé une étude sur le sujet.
Les travailleurs frontaliers - dont le pouvoir d'achat est 20 à 30 % plus élevé que les personnes travaillant en France - pourraient davantage consommer en France si le télétravail était plus largement autorisé, d'ailleurs ils dépensent déjà une partie de leurs revenus dans la région de Thionville-Metz plutôt qu'au Luxembourg.
Un recours accru au télétravail de la part des frontaliers permettrait également de décongestionner les flux routiers et de faire, par la même occasion, des économies en termes d'infrastructures routières et immobilières. Aujourd'hui, un projet d'aménagement autoroutier est actuellement en cours dans la région de Thionville dont le coût s'élèverait à 1,4 milliard d'euros.
Merci Monsieur le Président. Je voudrais remercier Pascale Gruny et Laurence Harribey pour leur travail. La crise sanitaire a effectivement conduit de nombreux frontaliers à recourir au télétravail, c'est le cas encore aujourd'hui. Les travailleurs frontaliers souhaiteraient continuer de bénéficier de ce mode d'organisation de travail de façon pérenne. L'autorisation de recourir au télétravail, dans les conditions prévues par la proposition de résolution, constitue, par ailleurs, une question d'équité par rapport aux travailleurs français. Cette proposition de résolution concernerait 500 000 personnes essentiellement sur des emplois de bureaux ; elle est donc réellement attendue.
Concernant les sujets fiscaux, je me demande si porter le seuil de 25 % à 40 % aurait un sérieux impact financier pour la France. Concernant la Suisse, le régime fiscal est un peu différent selon les cantons : pour les travailleurs frontaliers des cantons hors celui de Genève, il y a une compensation financière de la France équivalant à 4,5 % de la masse salariale. Cette somme est souvent reversée avec beaucoup de retard. L'inverse est, en revanche, observable dans le canton de Genève où il existe un prélèvement à la source et où la Suisse reverse 3,5 % du montant de la masse salariale correspondante à la France.
J'espère que la commission des affaires sociales du Sénat accueillera favorablement cette proposition de résolution, qui est attendue. Elle répond aux enjeux soulevés par la crise sanitaire et à des problématiques de déplacements, d'environnement, d'infrastructures, ou de qualité de vie des personnels.
Je suis désolé du peu de temps laissé aux rapporteures pour étudier cette proposition de résolution, qui mériterait effectivement d'être affinée. Mais j'ai souhaité la déposer rapidement, l'échéance du 30 juin de fin des accords temporaires se rapprochant.
Merci. Je précise que les délais d'examen d'une proposition de résolution européenne relèvent du Règlement du Sénat et ne sont pas le fait des auteurs du texte.
Sur le sujet de l'équité soulevé par cette proposition de résolution, il y a effectivement une question d'égalité de traitement entre les travailleurs frontaliers et ceux employés en France, mais également par rapport aux personnes travaillant et résidant dans les pays frontaliers. En comparaison des travailleurs du Luxembourg, pour lesquels le télétravail pourrait être systématisé, les travailleurs français ne pourraient faire que 25 % de télétravail. Cette distinction poserait de vraies difficultés en termes d'égalité de traitement au sein d'une même entreprise, et pourrait être jugée discriminatoire au vu de la règlementation européenne.
Je remercie les deux rapporteures pour leur travail et je partage très largement l'analyse exposée par Laurence Harribey dans sa présentation. Le sujet est complexe et n'est pas délaissé par les autorités françaises puisqu'il a été mis sur la table pendant la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne. Nous n'avions alors pas eu de soutien sur ce sujet. Toutefois, cette proposition de résolution pose deux difficultés selon moi : d'abord, le choix de la PPRE puisqu'une partie de son contenu relève du domaine fiscal et entre donc dans le champ des conventions bilatérales. Pour avoir passé un peu de temps à la commission des finances, qui est compétente en la matière, j'aurais préféré le recours à une proposition de résolution sur le fondement de l'article 34-1 de la Constitution. En effet, si nous commençons à utiliser les PPRE pour des enjeux mixtes, relevant des affaires européennes et d'autres sujets, cela pourrait s'avérer délicat. Il est, en effet, plus facile de déposer et de faire examiner une proposition de résolution européenne qu'une résolution fondée sur l'article 34-1 de la Constitution. Or, nous tendons vers une inflation de propositions de résolution européennes qu'il ne faudrait pas encourager.
Ensuite, sur l'augmentation du seuil de télétravail de 25 à 40 %, nous sommes tous d'accord en théorie sur ce principe, mais comme cela a été expliqué par les deux rapporteures, cette évolution engendre un certain nombre de complexités et de difficultés de calcul. Il s'agit donc, selon moi, d'une « PPRE d'appel » à une autorité gouvernementale, qui est très concernée par le sujet car c'est la France qui a abordé ce point pendant la présidence allemande. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce sujet du travail frontalier recouvre un certain nombre de problématiques difficiles, dont notamment l'indemnisation du chômage de ces travailleurs.
Je rejoins les propos de ma collègue rapporteure sur le risque de traitement différencié entre les emplois occupés par des frontaliers et par des nationaux. Certains travailleurs frontaliers pourraient ainsi être conduits à revenir complètement en France car ils n'auraient plus accès à la souplesse permise par le télétravail, et c'est finalement la France qui devrait alors payer leurs indemnités chômage, le cas échéant. Les enjeux fiscaux et sociaux, sur ce sujet, sont donc liés, même s'ils ne relèvent effectivement pas des mêmes bases juridiques. Je ne suis pas convaincue que la France y gagne vraiment à rester rigide sur le sujet fiscal. La pandémie a certes accéléré le recours au télétravail, mais il constituait déjà une demande des salariés ou de certaines entreprises. Aujourd'hui, on observe qu'un certain nombre de personnes apprécient le télétravail, qui est à lier aux enjeux environnementaux que nous connaissons et dont nous aurons notamment à débattre dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience ».
Les auditions menées vous ont-elles permis de savoir si les organisations syndicales des travailleurs transfrontaliers étaient favorables au dispositif proposé dans la PPRE ?
Malheureusement, les délais contraints ne nous ont pas permis d'auditionner ces organisations. Une étude approfondie serait probablement nécessaire pour étudier les incidences financières d'un tel dispositif de part et d'autre de la frontière. La question de la fraude doit également ne pas être oubliée. Avec ma collègue rapporteure, lors de nos travaux précédents, nous avions pu constater que les adresses de domiciliation, particulièrement au Luxembourg, étaient nombreuses...
Je suis ravie que vous disiez cela car j'ai entendu un ministre luxembourgeois récemment à la radio qui affirmait qu'il n'y avait pas de société « boîte aux lettres » au Luxembourg.
Je confirme, la pratique des adresses de domiciliation existe bel et bien au Luxembourg.
Je souhaitais répondre au point soulevé par notre collègue André Gattolin. L'objet principal de cette PPRE est bien sûr le volet social qui entre pleinement dans le champ de compétence de l'Union européenne et donc de notre commission. Toutefois, il est vrai que j'ai souhaité également aborder le volet fiscal, en étant conscient de la nature hybride du texte. C'est la raison pour laquelle la PPRE ne fait qu'inviter « le Gouvernement à essayer d'harmoniser les conventions fiscales ». Les volets social et fiscal sont étroitement liés. Or, lors de la crise, à un moment, les accords temporaires avaient été prolongés pour le volet social, mais pas encore pour le volet fiscal. Il y a donc eu une incertitude pendant deux ou trois semaines, pour les travailleurs et entreprises. Par conséquent, en tant que parlementaires de Haute-Savoie, nous avons dû solliciter le Ministre Clément Beaune pour obtenir une clarification, qui est intervenue peu de temps après.
Pour répondre à notre collègue Jacques Fernique, le groupement transfrontalier européen - avec qui j'ai discuté de cette PPRE - est clairement favorable à ce texte.
Je voudrais compléter ce que vient de dire mon collègue, Cyril Pellevat. Il s'agit effectivement d'un dossier complexe, face auquel il faut avoir l'humilité de ne pas vouloir tout traiter d'un coup. Effectivement, l'urgence aujourd'hui, est de passer d'un à deux jours de télétravail tout en s'assurant qu'une telle mesure n'ait pas d'incidence fiscale. Je travaille beaucoup avec les entreprises transfrontalières qui voient cela d'un bon oeil, le télétravail permettant de libérer des locaux par une rotation des salariés face à la tension immobilière également présente de l'autre côté du Rhin.
En France, tous les salariés ne sont pas éligibles au télétravail, il en est de même pour les travailleurs frontaliers et transfrontaliers. Selon moi, l'augmentation de 25 à 40 % n'a pas d'incidence. La question des reversions fiscales entre la Suisse et la France, évoquée par Cyril Pellevat, est un sujet connu des agences de défense des transfrontaliers avec lesquelles nous sommes en contact. Je pense que ces organismes pourraient nous fournir des informations complémentaires sur ces différents sujets, si besoin.
Merci à tous pour vos interventions. La commission des affaires sociales pourra se saisir de la PPRE et approfondir la réflexion.
Il faudrait envisager des études et un travail de fond un peu plus larges.
Le travail sur les conventions fiscales prend des années. Pour la convention fiscale avec Andorre, nous avons négocié pendant plus de dix ans pour arriver, excusez-moi, à une « coquille de noix ». Andorre a accepté de mettre en place un impôt sur le revenu de 5 % alors que Bercy nous avait présenté cette convention comme une grande victoire. Or, Andorre est une co-principauté, dont le Président de la République française est le co-souverain. Les conventions fiscales sont le fruit de négociations interminables à la suite desquelles il faut passer à la signature puis à la ratification par le Parlement. On dit que la procédure en matière de législation européenne est longue, mais elle est beaucoup plus rapide que celle sur les conventions fiscales.
Merci à tous pour ce débat intéressant. Je vais mettre aux voix la PPRE.
La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.
Merci Monsieur le Président et merci aux rapporteures pour leur travail.
La commission a conclu à l'adoption de la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.
Nous allons maintenant entendre notre collègue Alain Milon nous rendre compte de la récente session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) qui s'est tenue fin avril.
Alain Milon est le premier vice-président de la délégation française à l'APCE. Il a participé à cette partie de session à distance quand d'autres de nos collègues y ont participé physiquement à Strasbourg. Je souhaite la bienvenue à nos collègues membres de la délégation française qui ont pu se joindre à nous ce matin. Cette session, une fois encore, s'est tenue dans un contexte de regain de tensions entre l'Occident et la Russie. En mars, l'Union européenne avait décidé de sanctions contre Moscou. La semaine qui a suivi cette session de l'APCE a vu en retour la Russie interdire d'entrée sur son territoire huit responsables européens. Parmi eux, on compte non seulement le Président du Parlement européen, mais aussi notre collègue Jacques Maire, député, rapporteur à l'APCE sur l'affaire Navalny. Cette décision inacceptable a eu au moins un mérite : celui de souligner le rôle central de l'APCE et d'accroître sa visibilité médiatique.
Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir convié devant la commission des affaires européennes pour évoquer la deuxième partie de session de l'APCE au titre de l'année 2021, qui s'est déroulée du 19 au 22 avril dernier.
Il s'agissait d'une partie de session symboliquement importante, notamment lors des échanges avec Angela Merkel, la chancelière allemande, et David Sassoli, le Président du Parlement européen, mais aussi marquée par des tensions. J'y reviendrai.
Je vous rappelle en préambule que la délégation française à l'APCE est composée de 24 députés et de 12 sénateurs, répartis par moitié entre titulaires et suppléants.
Comme au mois de janvier, cette partie de session s'est déroulée de manière hybride, sur trois jours et demi au lieu de quatre jours et demi. Un peu plus de 100 parlementaires étaient présents à Strasbourg, soit plus qu'en janvier, même si l'absence de la délégation russe, connectée à distance, créait un vide important.
Trois de nos collègues se sont rendus à Strasbourg : Bernard Fournier, Claude Kern et André Gattolin. Ils pourront compléter ma perception de la session par leur appréciation de la situation au Palais de l'Europe. Avec André Vallini, nous avons pour notre part participé à distance.
D'un point de vue pratique, je veux souligner que les mesures draconiennes qui avaient été mises en place en janvier pour accéder au Palais de l'Europe avaient été reconduites, tout en améliorant l'accueil. Toutes les personnes devaient réaliser un test antigénique avant de pénétrer pour la première fois dans le bâtiment.
Cette session hybride s'est donc bien déroulée, semble-t-il. Les votes en commission passaient uniquement par l'application Kudo. Les votes en séance plénière étaient eux-mêmes hybrides : les parlementaires présents dans l'hémicycle pouvaient voter directement depuis leur place tandis que les parlementaires connectés votaient via l'application Kudo.
Comme en janvier, nous avons procédé à l'élection d'un juge à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) au titre de la Belgique, en utilisant exclusivement une plateforme sécurisée. Nous aurions également dû désigner un juge au titre de la Pologne mais, lors de son examen par la commission sur l'élection des juges à la CEDH, la liste présentée par les autorités polonaises n'a pas été jugée conforme aux normes requises par l'Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres. La Pologne devra donc présenter une nouvelle liste. Cela n'est pas anodin compte tenu des débats que nous tenons régulièrement sur l'indépendance de la justice dans ce pays.
La bonne tenue de cette session était symboliquement importante et constituait en tant que telle un message à l'attention du Président du Parlement européen, qui a échangé avec nous en se connectant depuis Bruxelles. Le Président de l'APCE a mis en avant les mesures prises pour permettre la tenue de sessions hybrides et notre collègue députée Nicole Trisse a très directement interpellé David Sassoli sur le retour du Parlement européen à Strasbourg.
On ne peut pas dire que David Sassoli ait manifesté un grand enthousiasme, même s'il a loué les qualités de la ville de Strasbourg et le symbole qu'elle représente. Il a surtout mis en avant les « problèmes objectifs » que représente « le transfert de plusieurs milliers de membres du personnel du Parlement et leur retour dans leur pays de résidence », la nécessité de préserver la santé des députés européens et du personnel du Parlement, ainsi que les conditions sanitaires de la région du Bas-Rhin et de la ville de Strasbourg - pourtant bien meilleures que celles de Bruxelles. Ce débat a eu le mérite de constituer une pression supplémentaire. Heureusement, nous sortons désormais de cette période et le Parlement européen va enfin retrouver son siège lors de la session de juin.
Cette session a permis à l'APCE d'échanger avec d'autres personnalités, en particulier avec la nouvelle présidente de la République de Moldavie, Maïa Sandu, qui a mis l'accent sur la lutte contre la corruption et l'indépendance de la justice, ainsi qu'avec la Chancelière Angela Merkel.
Cette séquence était évidemment forte, au moment où celle-ci s'apprête à quitter ses fonctions. Elle a rappelé que le Conseil de l'Europe avait été la première organisation internationale à accueillir à nouveau l'Allemagne dans la communauté des Nations, à l'issue de la Seconde guerre mondiale. Elle a souligné l'importance du respect des droits fondamentaux, qui sont le socle du projet démocratique européen, et regretté les restrictions ou les violations de ces droits observées dans un certain nombre d'États.
Angela Merkel a ensuite répondu à des questions parfois très directes, notamment sur le scandale de corruption ayant impliqué il y a quelques années des parlementaires allemands membres de l'APCE, ou encore le dossier Nord Stream 2, sur lequel votre commission a travaillé. Angela Merkel a défendu la position allemande et estimé qu'il fallait définir « jusqu'où nous voulons commercer avec la Russie, notamment dans le secteur de l'énergie ». Elle a également fait valoir que ce choix énergétique n'avait pas empêché l'Allemagne de soutenir les sanctions de l'Union européenne à l'égard de la Russie, notamment dans le cas Navalny et celui de la Crimée.
Ces restrictions et ces violations ont justement formé le coeur du débat de cette partie de session, au cours de laquelle trois sujets trouvant un fort écho dans l'actualité ont été abordés : l'affaire Navalny, la situation des Arméniens prisonniers de guerre et la situation politique en Turquie, à la suite notamment de son retrait annoncé de la Convention d'Istanbul, mais aussi des pressions observées sur la justice et les parlementaires.
J'évoquerai uniquement les deux premiers car une procédure de suivi de la Turquie est en cours. Je ne doute donc pas que nous y reviendrons lors des prochaines sessions.
S'agissant de l'affaire Navalny, je serai rapide car nous en avions déjà parlé la dernière fois. Mes collègues pourront compléter mes propos, d'autant qu'André Gattolin a pris une part active au débat à Strasbourg. Je voudrais néanmoins souligner l'importance que la Russie accorde aux travaux du Conseil de l'Europe en la matière.
Peu après la partie de session, notre collègue député Jacques Maire, qui est le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme sur l'arrestation et les conditions de détention d'Alexeï Navalny, a été déclaré persona non grata par les autorités russes, en même temps que le Président Sassoli ou la Commissaire Jourova.
Le Président de l'APCE a alors rappelé à l'ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Conseil de l'Europe les obligations des États membres, en particulier concernant la libre circulation des membres de l'Assemblée en vue d'activités liées à ses travaux. L'Ambassadeur a alors confirmé que la Fédération de Russie ne remettrait pas en cause ses engagements, mais cela témoigne bien de l'émotion que suscite ce dossier et de la volonté de la Russie de tester nos limites.
Un deuxième sujet a contribué à électriser les débats au cours de cette partie de session : la situation des Arméniens prisonniers de guerre, détenus en captivité et personnes disparues. J'ai moi-même introduit le débat d'actualité sur ce sujet, juste avant que le Président Larcher ne se rende en Arménie avec les présidents des groupes. Cela a permis d'assurer une correspondance entre les messages portés par les sénateurs au sein de l'APCE et ceux portés par le Sénat. L'APCE y reviendra dans les mois qui viennent, puisqu'un rapport est en cours d'élaboration sur les conséquences humanitaires du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Cette partie de session a également permis à l'Assemblée de donner sa vision des priorités du Conseil de l'Europe et d'évoquer d'autres dossiers sensibles en matière de droits de l'Homme. Je veux en évoquer plus particulièrement un qui a depuis connu des rebondissements : celui de la Biélorussie. Notre collègue députée Alexandra Louis a présenté un rapport défendant la nécessité d'une enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme en Biélorussie. Le récent détournement de l'avion de Ryanair pour capturer un opposant ne fait que donner du crédit à cette demande.
Enfin, cette partie de session a donné lieu à plusieurs autres débats, notamment un débat d'actualité concernant les passeports ou certificats Covid et leur utilisation. C'est un sujet que nous ré-évoquerons au mois de juin. Nous avons également tenu des débats concernant les minorités nationales, l'imposition du numérique et les discriminations à l'encontre des personnes atteintes de maladies chroniques et de longue durée.
Cette partie de session a aussi été marquée par une prise de responsabilité nouvelle de notre collègue Bernard Fournier qui a été élu premier vice-président de la commission de suivi. Notre collègue Claude Kern s'est également vu confier la présidence de la commission ad hoc chargée d'observer les élections législatives en Palestine ; celles-ci devaient avoir lieu le 22 mai dernier mais elles ont été reportées. Je laisse le soin à mes collègues membres de la délégation de compléter mon propos s'ils le souhaitent.
Merci Monsieur le Président, merci cher collègue de cet exposé. Il est important de nous réunir physiquement à Strasbourg, même en jauge réduite. Pour ma part, je suis quelque peu choqué de la désinvolture de grands témoins, dont Angela Merkel et David Sassoli, qui ne se sont pas déplacés. C'est la première fois que je vois un chef d'État dont le pays préside le Comité des ministres du Conseil de l'Europe ne pas venir. Angela Merkel a justifié son absence par des raisons sanitaires. Elle avait une réunion politique interne un peu plus tard le soir... David Sassoli a fait un très beau discours, dans lequel il a sévèrement critiqué la Fédération de Russie. Je crois que cela explique les sanctions dont il a fait l'objet.
J'ai beaucoup insisté auprès du président de l'Assemblée parlementaire, Rik Daems, sur l'utilisation du français. Je rappelle que les présidents de l'Assemblée parlementaire sont élus tous les ans et changent tous les deux ans en général. Un accord trans-partisan prévoit que tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée puissent proposer un président à tour de rôle. La prochaine présidence devrait revenir à Tiny Kox, qui préside le groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE). Cela avait été décidé en 2007 mais fait l'objet de débats aujourd'hui en raison de la taille de son groupe et de ses positions.
J'en suis arrivé à obtenir tout de même que Rik Daems, qui avait déclaré que sa langue de travail serait l'anglais, parle également en français. En effet, il y a deux langues de travail officielles : l'anglais et le français. C'est regrettable mais il suffit que le président de l'Assemblée dise que sa langue de travail est l'anglais pour que nous nous retrouvions avec des « tunnels » de langue anglaise. Or, nous sommes à Strasbourg et je rappelle que la France est le premier contributeur financier du Conseil de l'Europe et encore plus de l'APCE.
À l'occasion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) la semaine dernière, j'ai été agréablement surpris d'entendre que Antonio Tajani, président de la commission des affaires constitutionnelles au Parlement européen, a tenu à faire son exposé en français.
C'est vrai, Antonio Tajani parle très bien le français. S'agissant de la session de l'APCE à Strasbourg, je vous rapporte quelques éléments d'ambiance, notamment une très forte tension entre les délégations russe et ukrainienne. Des sanctions vont être prises par le Bureau à l'encontre d'un membre en raison d'injures personnelles : un drapeau ukrainien taché de sang a été exhibé. Je connais la sensibilité des parlementaires ukrainiens mais on a parfois l'impression, et de plus en plus dans cette Assemblée, d'être pris en otage par des conflits - tel celui qui oppose les Azéris et les Arméniens -, qui monopolisent très largement les débats. Pour n'importe quel texte présenté dans la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, nos amis ukrainiens ajoutent dix amendements qui contournent le texte pour parler spécifiquement de la situation ukrainienne. Tout cela montre la difficulté à travailler sereinement dans cette Assemblée.
En outre, comme nous l'avons vu hier lors de l'audition au Sénat par la délégation française du Secrétaire d'État chargé des affaires européennes, M. Clément Beaune, tout le monde veut étendre le domaine d'action de l'Assemblée à de nouveaux droits, comme les droits environnementaux. Pour ma part, je suis partisan que nous nous concentrions sur l'État de droit et les droits de l'homme. Or, nous avons plutôt tendance en tant que parlementaires, y compris en France, à essayer de faire entrer aux forceps tout sujet de prédilection dans le cadre du Conseil de l'Europe. Lors de la présidence française du Comité des ministres il y a deux ans, il avait été dit spécifiquement que nous devions nous recentrer sur nos sujets.
Nous faisons face à un problème de financement - même si les Russes ont réintégré le Conseil de l'Europe, ils sont loin d'avoir payé leurs cotisations en retard - d'où une gestion de plus en plus serrée de cette Assemblée pourtant ô combien essentielle. L'APCE doit également mettre en avant ses travaux face au Parlement européen avec qui il existe une complicité néanmoins doublée d'une concurrence de plus en plus forte. En effet, le Parlement européen traite de plus en plus la question de l'État de droit et des libertés publiques. Nous pouvons parfois avoir l'impression d'un doublon, ce qu'a affirmé hier le Secrétaire d'État aux affaires européennes. Nous préférerions qu'il y ait une collaboration et une complémentarité pour éviter le risque de dégrader et d'user cette institution.
Les Russes ont réagi violemment d'autant que, lors de la première partie de session en janvier, nous avions évité tout débat d'urgence sur la situation de M. Navalny. Le rapporteur Jacques Maire, extrêmement diplomate dans ses relations avec les Russes, a été obligé de porter une résolution tant il devenait difficile de proroger sur trois ou six mois le traitement de la question - comme il comptait le faire initialement -, alors qu'Alexeï Navalny était en grève de la faim.
La réaction russe montre qu'aujourd'hui, les autorités ne sont pas nécessairement en train de se rapprocher de l'Europe. Il faut y aller doucement. Jacques Maire est aujourd'hui incriminé en raison de sa participation à une réunion du Parlement européen avec l'ambassadeur lituanien, en visioconférence. J'ai également participé à cette réunion. Jacques Maire a été sanctionné au prétexte de sa participation, mais non sur les propos particulièrement diplomates et modérés qu'il a tenus lors de cette réunion et dont je peux témoigner. Étant rapporteur des deux rapports en cours sur l'affaire Navalny (mais aussi du groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe - ALDE), Jacques Maire a été mis en cause. C'est un moyen de faire passer un message à l'institution.
L'autre question réside dans l'observation et le contrôle des élections. Dans quelques mois, des élections générales importantes auront lieu en Fédération de Russie. Il semblerait que nous ne soyons pas autorisés à former une délégation de contrôle de ces élections. Pourtant, nous allons bien contrôler les élections aux États-Unis, en France et absolument partout. Certes, dans certains pays, nous renonçons à ces contrôles en considérant qu'il n'y a pas de problème, comme en Islande, mais il me semblerait quelque peu inquiétant que ces élections se passent sous huis clos international.
Il est bon que vous ayez eu l'occasion de ce temps d'échange et de débat sur la question de Strasbourg. Même si le contrat triennal a été signé et si la session plénière hybride du Parlement européen aura lieu la semaine prochaine à Strasbourg, on sent un enthousiasme assez pondéré de David Sassoli sur une véritable implantation du Parlement européen à Strasbourg et un retour à des sessions régulières. C'est pourquoi nous avions bien besoin de cette pression supplémentaire. Malgré la tenue des sessions de l'APCE et tous les efforts des acteurs locaux pour garantir des conditions de sécurité sanitaire optimales, c'est encore un long effort qui sera nécessaire.
Pour ma part, j'ai participé à la commission sur l'égalité et la non-discrimination en préparation d'une résolution qui sera présentée lors de la prochaine partie de session sur les crimes d'honneur. J'ai déposé quelques amendements et j'ai d'ailleurs été le seul à le faire. Ils ont été adoptés sans souci particulier.
Notre collègue Gisèle Jourda et plusieurs de nos collègues ont déposé une proposition de résolution européenne visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et sols pollués en France. Ce texte fait suite au travail de la commission d'enquête qui a adopté en septembre 2020 le rapport que lui a présenté Gisèle Jourda sur ce sujet ; il appelle à un véritable droit européen de la protection des sols. Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, notre commission dispose d'un mois pour statuer, soit jusqu'au 17 juin prochain.
Je vous propose de désigner rapporteurs sur cette proposition nos collègues Gisèle Jourda et Cyril Pellevat, qui a également participé à la commission d'enquête et figure d'ailleurs parmi les signataires de cette PPRE.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 9 h35.