Intervention de Joël Barre

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 avril 2021 : 1ère réunion
Audition de M. Joël Barre délégué général pour l'armement

Joël Barre, délégué général pour l'armement :

Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci tout d'abord de m'accueillir au Sénat et merci également pour les propos chaleureux que vous avez tenus sur la DGA, qui a fêté effectivement avant-hier son soixantième anniversaire. Je vous remercie également pour le témoignage vidéo que vous avez bien voulu enregistrer à cette occasion.

Pour cette audition, je vous propose un rapide survol sur les résultats de notre gestion 2020, avant de rappeler les enjeux 2021 sur les programmes 146 et 144, et enfin de dresser un bilan des exercices 2019 et 2020 de la LPM et de tracer des perspectives.

Commençons par quelques chiffres clés. Sur le programme 146, les paiements intervenus en 2020 s'élèvent à 12,6 milliards d'euros, soit une consommation intégrale des ressources allouées avec un report de charges arrêté en fin d'année à hauteur de 2,5 milliards d'euros, conformément aux prévisions.

Les annulations de crédits ont été limitées à 124 millions d'euros. Ces 124 millions d'euros, liés aux OPEX, sont sans impact opérationnel majeur car nous procédons à une gestion dynamique de notre réserve de précaution pour limiter au maximum l'impact capacitaire de ces réductions et de ces annulations de crédits de fin d'année.

Le bilan d'engagement a été moins favorable. Nous avions initialement prévu plus de 22 milliards d'euros d'engagements ; en réalité, nous en avons fait un peu moins de 14 milliards d'euros. Ces retards d'engagements sont essentiellement liés au programme en coopération, en particulier franco-allemand et au lancement du programme SNLE 3G lancé début 2021. Toutefois, ce dernier retard est sans conséquence sur les rendez-vous opérationnels que nous avons sur ce programme.

La crise sanitaire 2020 s'est traduite par des moindres besoins de paiements liés à quelques retards qui ont été pris sur les programmes en cours, mais j'y reviendrai dans un instant. Ceci étant, nous avons compensé ces moindres besoins de paiements sur les projets en cours par des redéploiements de crédits au profit de notre industrie de défense avec un plan de rebond interne, dédié à notre base industrielle et technologique de défense (BITD), et qui consiste à accélérer les paiements programmés pour garantir la pérennité de nos entreprises, notamment les PME et PMI fragilisées sur l'ensemble de notre territoire par la crise sanitaire.

En ce qui concerne les livraisons réalisées en 2020, certaines n'ont pas pu éviter un certain retard imputable à la pandémie. Je pense en particulier aux véhicules du programme Scorpion, comme les Griffon qui sont en cours de production depuis 2019. Cependant, nous avons mis en place les actions nécessaires auprès de nos industriels pour que ces retards soient rattrapés au plus tard fin 2021. Le programme Jaguar doit aussi commencer à être livré dès 2021.

Sur l'aspect industriel, nous avons mis en place une task force de suivi de l'ensemble du tissu industriel de notre BITD. Nous avons pris contact avec près de 1 200 entreprises que nous avons eu l'occasion de visiter pour voir avec elles quelles étaient leurs difficultés. Nous avons mis en place 140 actions de soutien (accélération de commandes, accélération de paiements, aides à l'obtention des prêts garantis par l'État, etc.). Nous poursuivrons cette task force car la crise n'est malheureusement pas terminée mais aussi parce que c'est un outil extrêmement utile pour continuer notre action de soutien à la BITD. Une centaine d'agents de la DGA sont mobilisés autour de cette action, essentiellement en province. Ces agents sont issus de notre direction technique ou du service de la qualité avec un échelon central à Paris, le service des affaires industrielles qui m'est directement rattaché.

Sur le programme 144, c'est-à-dire le programme des études amont et des innovations, nous avons payé 805 millions d'euros en 2020, soit une consommation intégrale des ressources allouées. Le niveau d'engagement a atteint 992 millions d'euros, en augmentation de presque 20 % par rapport à 2019 sur la trajectoire prévue d'atteinte du milliard d'euros de crédits de paiements prévus en 2022 au titre de la loi de programmation militaire 2019-2025. En particulier, ces études ont porté sur les composantes de la dissuasion. Le programme SNLE 3G a été lancé début 2021. Nous poursuivons les travaux sur le missile M51. La version M51.3 est en développement et nous étudions la version M51.4. Nous poursuivons la préparation du renouvellement du missile ASMPA, dit ASN 4G, pour lequel nous avons un rendez-vous important fin 2021.

Nous poursuivons aussi toutes nos actions de soutien à l'innovation, en particulier sur l'ouverture aux technologies issues du domaine civil avec des innovations sur les technologies transverses comme les composants et matériaux. Notre fonds Definvest est dédié au soutien des PME stratégiques. Avec l'agence de l'innovation de défense (AID), nous sommes aussi en train de mettre en place un fonds d'innovation de défense qui visera à soutenir des entreprises duales dont les technologies pourraient un jour nous intéresser pour nos programmes de défense. Les études relevant du programme 144 ont également permis de continuer la préparation de nos grands programmes de coopération avec nos amis allemands, mais aussi avec les Britanniques dans le cadre des futurs missiles.

2020 sera une année hors norme en matière d'exportation. En raison de la pandémie de Covid-19, des retards ont été pris dans les négociations commerciales. Des gels d'investissement ont été décidés par nos clients potentiels. Le résultat d'exportation pour 2020 ne sera donc pas à la hauteur de celui de 2019 ou de 2018. Nous espérons retrouver en 2021 un niveau de prise de commande comparable à celui que nous avions connu en 2018 et 2019.

Concernant 2021, les prévisions budgétaires du programme 146 s'établissent à 13,7 milliards d'euros en prévision de paiements. Cette année, nous avons prévu la poursuite des livraisons d'avions A400M. Nous venons d'ailleurs d'en livrer le dix-huitième. 2021 sera aussi une année importante en matière de satellites. Le deuxième satellite d'observation militaire de la composante spatiale optique (CSO2) a été mis en orbite fin 2020 et donne d'ores et déjà des résultats extrêmement prometteurs. Nous prévoyons de lancer en septembre prochain le système de satellites d'écoute électromagnétique CERES qui va prendre la suite des démonstrateurs. Nous poursuivons la fourniture des avions de transport MRTT Phénix et la livraison d'une frégate multi-missions FREMM est prévue cette année.

La prévision d'engagements pour 2021 s'élève à environ 24 milliards d'euros. Elle intègre le rattrapage de l'année 2020. En fin d'année, nous aurons le lancement de la réalisation de l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard.

Sur le programme 144, les paiements prévus en 2021 s'élèvent à 900 millions d'euros, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2020. Les engagements se montent à 1,17 milliard d'euros, soit une augmentation de près de 20 % par rapport à 2020 et à notre trajectoire.

Je vous propose maintenant de dresser le bilan des deux premières années de la LPM. Pendant ces deux exercices, les crédits de paiements ont été correctement exécutés et les annulations de crédits destinées à compenser les surcoûts OPEX ont été minimisées sur le plan de l'impact opérationnel. Elles ont représenté au total moins de 1 % de la ressource pour 2019 et 2020, soit 221 millions d'euros sur 23,4 milliards d'euros.

Certains ajustements ont déjà pu être intégrés, notamment le renforcement de la politique spatiale avec la création du programme ARES (Action et Résilience Spatiale) qui consiste à renforcer nos capacités nationales en matière de surveillance de l'espace. Il consiste aussi à se doter de moyens d'autoprotection de nos satellites et à étudier la mise au point de moyens d'action qui nous seront ultérieurement nécessaires pour affirmer notre souveraineté dans l'espace.

À enveloppe constante, nous avons pu intégrer de nouveaux programmes initialement non prévus, comme le programme Artémis, qui vise à doter le ministère d'une « infostructure » sécurisée et souveraine en matière de traitement de données et d'intelligence artificielle, ou encore le programme de lutte anti-drone. Nous avons également procédé au lancement du programme de porte-avions de nouvelle génération à propulsion nucléaire, qui a été annoncé fin 2020 et nous avons passé commande de la tranche « 4T+ » du Rafale. Un plan de soutien aéronautique a été mis en place pour faire face à la situation de crise que cette industrie rencontre et nous avons accéléré le programme des frégates de défense et d'intervention (FDI) en vue de la livraison anticipée de la troisième frégate pour soutenir le plan de charge de Lorient et permettre un éventuel prélèvement sur chaîne si le marché d'exportation des frégates vers la Grèce se concrétise comme nous l'espérons.

En complément, nous avons poursuivi le projet de transformation de la DGA. Nous avons modifié notre organisation centrale en supprimant la direction de la stratégie. Nous avons créé l'agence d'innovation de défense. Nous sommes en train de préparer la création de l'agence numérique de défense. Nous avons rapproché nos équipes de la DGA avec celles de l'État-major des armées dans le cadre de la démarche capacitaire. Nous avons mis en place un plateau collaboratif commun à Balard entre ces deux équipes. Nous avons introduit dans la préparation et la gestion des programmes une plus grande cohérence entre le maintien en conditions opérationnelles et les infrastructures. Nous avons revu notre processus de préparation et de conduite des programmes. Nous avons renforcé nos exigences de contrôle, de pénalités et d'autofinancement vis-à-vis de nos industriels pour mieux équilibrer les relations entre l'État et les industriels. Nous avons enfin continué à ajuster notre capacité en matière d'effectifs et de compétences aux missions qui sont les nôtres dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025.

En ce qui concerne l'ajustement annuel de la programmation militaire 2021 (A2PM), celui-ci est actuellement en cours afin d'intégrer l'actualisation de la revue stratégique, d'une part, et de procéder à l'ajustement annuel, d'autre part. Cet ajustement permettra aussi d'améliorer notre capacité à détecter les menaces et à attribuer les agressions dans les nouveaux espaces de conflictualité (cyberespace, espace exo-atmosphérique, fonds sous-marins). C'est le premier axe de la revue stratégique. Il permettra aussi de consolider les domaines de protection, en particulier dans le domaine NRBC (c'est-à-dire biologique et chimique essentiellement) et de la lutte anti-drone.

Cet A2PM pour 2021 intégrera les conclusions de l'actualisation de la revue stratégique. Il doit se faire à « iso-enveloppe ». Il est en cours et doit se terminer d'ici fin avril 2021.

Enfin, nous avons un certain nombre de défis à continuer à relever en matière de programmes capacitaires de coopération. Avec nos amis allemands, nous avons l'espoir désormais consolidé de pouvoir conclure d'ici juin 2021 l'engagement de la phase de démonstration en vol dite « 1B2 ». Nous avons également l'objectif d'engager la première phase des études technologiques du char de combat du futur (MGCS) dans le même calendrier. Dans le même temps, les programmes franco-allemands tels qu'ils figuraient dans la feuille de route 2017 sont également à l'ordre du jour d'ici le mois de juin, à savoir l'Eurodrone, le Tigre standard 3 et les premières études préparatoires sur le système futur de patrouille maritime (MAWS).

Avec nos amis britanniques, nous avons réussi en 2020 le passage en phase de réalisation des systèmes de détection des mines à base de drone. Nous préparons maintenant l'engagement de la phase d'assessment des futurs missiles de croisière et des futurs missiles anti-navires. J'ai bon espoir qu'il puisse démarrer dans les jours qui viennent de manière intérimaire puis définitivement d'ici l'été prochain.

Avec les Italiens, nous venons de signer les accords de coopération sur le missile sol-air moyenne portée de nouvelle génération. En 2020, nous avons créé la joint-venture Naviris entre Naval Group et Ficantieri.

Avec les Belges, la coopération sur le programme de coopération en capacité motorisée (CaMo) se déroule particulièrement bien et présente d'ores et déjà des perspectives d'élargissement sur un certain nombre de véhicules à venir dans le cadre des moyens terrestres.

L'Espagne participe aux programmes Eurodrone, Tigre et SCAF. Nous avons également une perspective de coopération avec l'industriel Thalès dans le domaine des radiocommunications.

Enfin je souligne la poursuite du champ de coopération européenne - un peu nouveau - que j'appelle l'Europe communautaire. Nous avons des propositions sur le programme préparatoire 2020. Le fonds européen de défense prendra ensuite le relais à partir de 2021.

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