Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 25 mars 2021 à 9h35
Questions diverses

Cédric Villani, député, président de l'Office :

Je suis complètement d'accord. On voit se dégager, en vous écoutant, les sujets importants sur lesquels il faudra se concentrer.

Il existe tout d'abord un sujet européen. Trois grands pays, les États-Unis, Israël et le Royaume-Uni, devancent aujourd'hui tous les autres en matière de vaccination, chacun pour une raison particulière.

Ainsi, la Grande-Bretagne a joué très clairement une carte nationale avec AstraZeneca Oxford : dans le contrat passé entre le laboratoire de recherche d'Oxford et AstraZeneca, figurait de façon explicite une préférence nationale dans la mise à disposition du vaccin, ce qui n'avait pas été possible avec le laboratoire Merck, qui avait a priori la préférence des équipes d'Oxford. Ce vaccin national a ainsi été utilisé pour vacciner massivement la population britannique.

L'avantage des États-Unis tient au fait qu'ils ont investi très tôt eux-mêmes, par milliards, dans la R&D des vaccins et pris des commandes prévisionnelles bien avant que les mécanismes d'autorisation soient enclenchés. Ils ont fait un pari sur l'avenir, avec prise de participation. Ceci soulève des questions quant au modèle de financement. Nous l'avions évoqué dans notre rapport de décembre dernier et suggéré que l'Europe évolue vers le modèle de la BARDA américaine (Biomedical Advanced Research and Development Authority), avec un système de R&D industrielle en matière de santé bien plus proactif et poussé qu'il ne l'est actuellement. Les États-Unis considèrent ainsi que le succès de leur campagne de vaccination est la juste récompense de leur prise de risque.

La situation d'Israël est encore différente. Elle est le fruit d'un contrat très avantageux passé avec Pfizer BioNTech, dans lequel la préférence vaccinale a été monnayée contre la transmission des données personnelles de sa population, informations extrêmement précieuses pour les laboratoires, qui restent généralement confidentielles. Ceci n'est possible que parce que le rapport de confiance de la population israélienne à l'égard de la technologie et de l'innovation n'est pas du tout le même qu'en Europe continentale. Cette solution aurait été radicalement écartée au pays de la CNIL.

Au-delà de ces trois pays, si l'on compare l'Europe au reste du monde, on observe que son rythme de vaccination est deux fois supérieur au rythme mondial.

On ne peut dire si l'Europe vaccine trop lentement ou pas que si l'on s'accorde préalablement sur ce que l'on souhaite en termes d'égalité ou ce que l'on accepte comme inégalité face à la vaccination dans le monde. Par exemple, toute dose supplémentaire du vaccin Spoutnik utilisée en Europe sera une dose non disponible pour vacciner un habitant d'un pays qui, ailleurs dans le monde, n'a pour l'instant pas accès au vaccin. Jean-Louis Bourlanges a expliqué dans la presse qu'il s'agissait d'un jeu à somme nulle : si nous vaccinons plus vite, ceci signifie que d'autres, ailleurs, vaccineront moins vite. Cette vision peut tout à fait être envisagée. J'y souscris assez volontiers.

Cette approche peut toutefois être nuancée, considérant que si l'Europe avait passé plus tôt des commandes fermes et demandé aux laboratoires de se mettre en ordre de marche, d'investir, peut-être existerait-il aujourd'hui des capacités de production supérieures à celles actuellement observées.

Ceci renvoie à la question, soulevée par Gérard Longuet, de l'organisation de la production des vaccins, en lien avec la notion de souveraineté.

Un débat porte également sur les licences et la mise des droits en libre accès dans le monde, ce à quoi d'aucuns ont rétorqué que le vrai débat était ailleurs, dans la mesure où peu de laboratoires étaient capables de produire les vaccins. J'avoue ne pas avoir de position arrêtée sur le sujet. Il serait bien que nous puissions aborder la question de la propriété intellectuelle dans nos travaux à venir.

Évidemment, un laboratoire de production ne se mobilise pas en un mois s'il n'est pas prêt à effectuer les délicates transformations nécessitées par le vaccin. Il faut que nous travaillions ce point.

La construction européenne, la recherche européenne et la façon qu'à l'Europe d'investir dans la recherche sont un sujet d'intérêt. La production, en lien avec la souveraineté et la propriété intellectuelle en est un autre. Il est de notre devoir d'approfondir ces différents aspects, en pensant à l'avenir.

Je pense que les propos de Thierry Breton selon lesquels nous n'avions pas besoin du vaccin Spoutnik étaient malvenus et méprisants. Il ne faut pas dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau ». Le vaccin Spoutnik est actuellement en rolling review par l'Agence européenne du médicament : s'il obtient un avis positif, il n'y a aucune raison de le placer dans une catégorie distincte des autres vaccins disponibles.

Je vous rappelle la situation actuelle. Sont autorisés les vaccins à ARN Pfizer BioNTech et Moderna et les vaccins à vecteur viral AstraZeneca et Janssen. Il est intéressant de constater qu'aucun des quatre premiers vaccins autorisés n'est un vaccin classique. Trois autres vaccins sont en review : il s'agit du Spoutnik, du vaccin à ARN Curevac et du vaccin à protéine Novavax.

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