Bonjour à toutes et tous. J'ai le plaisir de vous accueillir virtuellement à cette réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée à une audition de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2). La CNE2 est un interlocuteur régulier de l'Office sur des questions fondamentales, placées de façon récurrentes sous les feux de l'actualité.
Nous allons aujourd'hui discuter de la note établie par la CNE2 à la demande de l'Office sur « l'impact de la crise de la Covid-19 sur les études et recherches portant sur la gestion des matières et déchets radioactifs ». Ceci intervient dans un contexte où l'Office travaille activement sur la question nucléaire : il y a d'une part une étude menée par Thomas Gassilloud et Stéphane Piednoir sur les conséquences de l'arrêt du projet de réacteur nucléaire Astrid, autour de sujets tels que les réacteurs à neutrons rapides ou le nucléaire de quatrième génération ; il y a d'autre part une étude conduite par Bruno Sido et Émilie Cariou portant sur les matières et déchets nucléaires, qui a plus précisément vocation à évaluer le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) 2019-2021 lorsqu'il sera enfin publié. Les quatre rapporteurs cités assistent d'ailleurs à cette audition, qui les concerne tout particulièrement. Il s'agit d'un sujet que l'Office suit de façon très régulière.
Nous sommes ici aujourd'hui pour vous présenter le bilan provisoire, daté de fin 2020, des travaux conduits par la Commission sur l'impact de la crise de la Covid-19 sur les études et recherches portant sur la gestion des matières et déchets radioactifs.
Je vais tout d'abord vous présenter un bref rappel du contexte, de la méthode de travail et des calendriers que nous avons adoptés. Je vous ferai part de nos premiers constats et conclurai sur les points qui selon nous mériteraient a minima un suivi et éventuellement une analyse complémentaire.
Lorsque nous vous avions présenté notre rapport annuel n°14, en juillet 2020, entre deux confinements, la CNE2 avait attiré l'attention de l'Office sur les conséquences probables de la crise sanitaire. En effet, nous avions d'ores et déjà anticipé le fait que l'épidémie que nous connaissions depuis plusieurs mois aurait des répercussions à court et moyen terme sur les activités de la recherche et développement (R&D). L'Office nous a par la suite saisis de ce sujet, le 6 août 2020.
Nous avons dans un premier temps réalisé des entretiens avec la direction générale de l'énergie et du climat, ainsi qu'avec l'Autorité de sûreté nucléaire, de façon à recueillir leurs diagnostics. Nous avons ensuite organisé des auditions privées, que nous avons veillé à placer aussi tard que possible dans l'année, de façon à laisser à chacun le temps d'analyser la situation et d'en tirer les conséquences les plus pertinentes. Nous avons ainsi entendu successivement, le 9 décembre 2020, des représentants du CEA, de l'ANDRA, du CNRS, d'EDF, du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) et d'Orano. Nous avons ensuite procédé à quelques entretiens complémentaires, orientés principalement vers les problématiques d'assainissement et démantèlement (A&D) et focalisés sur les relations entre les grands donneurs d'ordres et les prestataires ; il s'agissait de voir comment la filière avait résisté et quelles difficultés elle avait pu rencontrer pendant cette période. Nous avons ainsi échangé avec des entreprises engagées sur les chantiers, mais aussi avec le pôle de compétitivité Nuclear Valley, qui fédère un grand nombre de PME et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) : c'était un bon moyen d'accéder aux informations concernant ces entreprises.
Nous avons tout d'abord observé que le confinement décidé en mars 2020 a été très rapidement mis en oeuvre par les acteurs. Les activités essentielles ont été préservées, conformément aux instructions gouvernementales. Ceci signifie que l'ensemble des activités expérimentales menées dans les laboratoires et les activités jugées non essentielles pour le développement des projets ont été conduites autant que possible en télétravail. Dès l'été, un retour d'expérience a été réalisé sur cet arrêt particulièrement brutal et les conséquences qu'il a pu avoir. Des plans de continuité d'activité plus gradués ont été conçus dès le mois de juillet et mis en place conformément aux directives nationales, afin de minimiser les conséquences des restrictions. Les activités de R&D se sont donc poursuivies, avec un retour progressif à un rythme normal, grâce au déploiement du télétravail.
Tous les acteurs de la filière s'accordaient à dire, en décembre 2020, que les conséquences de cette période en termes de résultats financiers, de coûts à terminaison des projets et de valorisation des fonds dédiés étaient très modérées. Ces données restent bien entendu à consolider.
Au plan calendaire, certains projets de recherche ont été suspendus. Les retards pris sont toutefois généralement de l'ordre d'un à deux mois, pouvant parfois aller jusqu'à six mois, hors aléas non imputables à la crise sanitaire. Ces retards sont donc très modérés, surtout au regard de projets dont le déroulement s'effectue à une échelle de dix ans et pour lesquels chacun s'accorde à penser qu'un délai, même de six mois, n'est pas trop grave. La seule interrogation qui subsiste est relative à un projet de R&D sur le multirecyclage en réacteur à eau sous pression (REP), qui nécessite l'irradiation d'un combustible MOX, initialement prévue pour se dérouler en Russie. Or il n'est pas sûr, du fait du retard pris, que l'aiguille puisse être irradiée en Russie, car le réacteur nécessaire risque de fermer. Des mesures de correction ont été prises par EDF et insérées dans le plan correspondant. Les conséquences calendaires sont donc finalement limitées.
Nous avions toutefois souligné dans notre rapport n°14 que le calendrier de déploiement des projets venant en soutien de la politique pluriannuelle de l'énergie était déjà particulièrement serré, si bien que le peu de marge disponible aura été consommé en partie par la crise sanitaire. Il est important d'avoir ceci à l'esprit.
Selon l'Autorité de sûreté nucléaire, la plupart des retards ne sont en outre pas nécessairement imputables à la crise sanitaire. Certains, en particulier dans le domaine de l'assainissement et du démantèlement, sont liés à la vie des projets eux-mêmes. Il importe néanmoins de garder un oeil attentif sur l'enchaînement calendaire des projets de R&D prévus en appui à la PPE.
S'agissant de la filière, les grands donneurs d'ordres ont besoin de prestataires. Dès le printemps 2020, ils ont donc agi auprès de ces derniers pour les accompagner, y compris en matière de trésorerie. La plupart des acteurs se sont engagés dans ce type de soutien, en organisant des réunions et en informant le mieux possible les sous-traitants.
Les chantiers de démantèlement ont été interrompus, dans la mesure où ils ne faisaient pas partie des activités jugées essentielles. Ceci a produit un décalage préjudiciable aux interventions des prestataires, qu'il sera difficile de compenser. Compte tenu des précautions sanitaires en vigueur actuellement, il n'est en effet pas imaginable de mettre davantage de personnes sur un chantier. Il ressort de notre analyse que le secteur de l'assainissement et démantèlement est relativement fragile. Sa rentabilité n'est pas prouvée et la situation est d'autant moins favorable du fait des décalages et retards constatés. Nous observons, indépendamment de la crise sanitaire, que certains prestataires sont en train de se dégager de ce marché ou envisagent de le faire. Deux ont déjà pris cette décision. Un autre s'interroge sur sa position dans le marché de l'assainissement et démantèlement, qu'il pourrait quitter, se plaçant ainsi en situation de ne plus être en mesure de répondre aux besoins des donneurs d'ordres.
Pourriez-vous préciser quelles sont les activités concernées ?
Ceci concerne des activités de génie civil et de déconstruction.
Les deux prestataires qui ont quitté le domaine nucléaire sont Lhotellier-Daher et Derichebourg. Je me suis en outre entretenu avec le directeur de Nuvia, filiale de Vinci, qui m'a expliqué que les problèmes de rentabilité rencontrés par l'entreprise étaient directement liés au calendrier : en effet, lorsque la durée des projets croît, les coûts fixes explosent et la rentabilité diminue. Ces difficultés conduisent aujourd'hui cet acteur à s'interroger sur l'opportunité de réduire son exposition à ce risque, voire à envisager à terme un départ du domaine.
Si je comprends bien, ce secteur est régulièrement soumis à des retards, dépassements et autres contraintes calendaires, indépendamment de la crise sanitaire, si bien que les prestataires en viennent à considérer le secteur nucléaire comme peu rentable.
Ceci, en effet, n'est pas une conséquence directe de la crise, mais une spécificité de l'assainissement et démantèlement. Soumis à un régime strict d'autorisation ainsi qu'aux contraintes budgétaires du CEA, les projets dans ce domaine sont régulièrement sujets à des étalements, dont chacun réduit fortement la rentabilité en raison de l'accroissement des coûts fixes. Les prestataires concernés interviennent dans le secteur de la gestion des déchets en général et considèrent que les déchets nucléaires ne sont finalement pas un segment très intéressant pour eux.
Tiennent-ils ce discours sur d'autres questions d'assainissement et démantèlement industriels ?
Sans doute moins. Le problème du nucléaire tient au fait que le carcan des autorisations est beaucoup plus pesant que dans d'autres secteurs d'activité. En l'occurrence, tout s'est arrêté pendant trois mois en raison de la crise Covid. Même si l'activité repart, ce retard sera très préjudiciable aux prestataires, et ce d'autant plus que l'activité nucléaire est caractérisée par un régime strict d'autorisations et les contraintes budgétaires du CEA.
Un élément important a été pris en compte dans notre analyse : il s'agit de l'adoption du plan de relance. Celui-ci consacre 470 millions d'euros au volet nucléaire, dont 200 millions à des opérations venant directement en soutien à la R&D et 270 millions consacrés au développement de la vivacité de la filière et aux investissements.
Les axes de recherche ciblés par le plan de relance sont divers. Un premier volet est lié au développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs et des alternatives à l'installation Cigéo. Un deuxième concerne le développement des usines du futur, en particulier des « jumeaux numériques », c'est-à-dire des installations à la fois réelles et virtuelles permettant d'avancer plus rapidement dans le prototypage. Un volet concerne le multirecyclage en réacteur à eau pressurisé, qui constitue l'un des éléments de la PPE et un autre renvoie au déploiement de plateformes expérimentales en soutien à l'innovation, avec par exemple un investissement sur la plateforme Tamaris, qui permet d'étudier la résistance aux séismes des ouvrages de production d'énergie.
Ces axes de recherche sont déployés selon deux modalités. La première modalité, qui s'appliquera aux usines du futur, au multirecyclage en REP et au déploiement de plateformes expérimentales, consiste à confier la coordination d'un projet à l'un des acteurs, charge à lui de s'entourer d'un consortium pour mettre en oeuvre le programme de recherche. La seconde modalité, qui sera choisie pour le développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs, consiste à procéder par appels à projets, ce qui témoigne de la volonté à la fois de mobiliser les acteurs historiques de la R&D en matière de gestion des déchets radioactifs, mais aussi de permettre au tissu global de la recherche de s'exprimer et d'apporter sa pierre à l'édifice.
Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, les divers acteurs nous ont présenté, bien que de façon parcellaire, leurs projets et les éléments qu'ils souhaitaient mettre en exergue. Nous avons ainsi pu constater non seulement une mobilisation assez forte, mais aussi une très grande diversité de projets, certains étant à horizon court, par exemple sur les procédés de décontamination ou de vitrification des déchets FA-VL, d'autres engageant des recherches à long terme, sur plus de dix ans, à l'image des projets relatifs aux réacteurs à sels fondus brûleurs d'actinides. Ceci donne un sentiment d'hétérogénéité, pour ne pas dire de désordre. Peut-être est-ce le fruit d'une volonté ; il est en tout cas certain que ces projets ne convergent pas vers un objectif partagé. Il est difficile de percevoir leur enchaînement et de concevoir leur insertion dans une stratégie globale.
Nous avons essayé de catégoriser ces projets et de les classer en deux groupes.
Le premier concerne les projets visant à rattraper le retard pris dans le déploiement des opérations de recherche, voire à aller plus vite que prévu, ce qui est l'essence même du plan de relance.
Le deuxième regroupe des projets de nature à donner de nouvelles impulsions, qui devront ensuite être prises en charge par les acteurs. Citons par exemple les projets relatifs aux études sur les réacteurs à sels fondus : les deux ans du plan de relance ne suffiront assurément pas à clore le sujet. Cette étude prendra énormément de temps et nécessitera des moyens très importants. Les montants apportés par le plan de relance vont servir à amorcer le processus de recherche, qui devra ensuite être pris à sa charge par les acteurs. Force est de constater que nous n'avons pas toujours perçu comment les acteurs avaient prévu de prendre en charge la poursuite de ces projets.
Les modalités de déploiement du plan par appels à projets introduisent dans la procédure des délais incompressibles : il faut laisser le temps aux chercheurs de proposer des projets, de rédiger les dossiers correspondants. Même en procédant par déclarations d'intérêt, avec des dossiers très courts comme dans le cas des PIA 3 et 4 ces dernières années, il faut néanmoins du temps pour les élaborer, les instruire et faire des choix, ce qui est susceptible de ralentir le déploiement du plan de relance. Il faut tenir compte de cette dimension temporelle : prendre six mois de retard sur un projet censé durer deux ans n'est pas anodin, puisque ceci correspond à une consommation de 25 % du temps alloué.
Le deuxième point d'analyse de la commission est relativement simple et s'appuie sur un constat : dans nos rapports n°13 et n°14, nous avions appelé de nos voeux la mise en place d'un nouveau programme de R&D, soutenu par une recherche fondamentale forte. Ceci ne correspond pas au contenu du plan de relance ; ce n'en était d'ailleurs pas l'objet. Nous avons néanmoins souhaité examiner cet aspect, afin d'avoir une continuité dans nos avis.
Ceci nous a conduits à soulever quelques points d'attention. Le premier est relatif à l'axe de recherche sur le développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs et les « alternatives à l'installation de Cigéo », formule que nous entendons de façon récurrente depuis un an et qui suscite des questions. En effet, les études scientifiques montrent que, quelle que soit l'alternative envisagée, il y aura toujours des déchets ultimes à placer en stockage géologique, et ce même si les pistes esquissées réduisent la nocivité des déchets et leur thermicité, permettant d'augmenter la densité de matière stockée. Les alternatives qui nous ont été présentées, dont les réacteurs brûleurs d'actinides ou la transmutation, sont des objets qu'il n'est guère possible d'envisager, à échelle industrielle, avant la fin du siècle, voire le début du siècle prochain. D'ici là, il faudra bien agir. Or quelle que soit la solution proposée, elle génèrera des déchets ultimes à stocker.
Notre deuxième point d'attention est lié, d'une part, à la volonté affichée de mobiliser un surcroît de forces de recherche, via la procédure d'appel à projets, d'autre part, au constat qui nous a été présenté par le CNRS. Le CNRS mène chaque année auprès de ses laboratoires, qui regroupent, dans le domaine des sciences et technologies, l'immense majorité des chercheurs de la recherche académique française, une enquête visant en particulier à évaluer le nombre de chercheurs impliqués dans le domaine de l'énergie, notamment nucléaire. Or les chiffres qui nous ont été présentés montrent une diminution de 30 % en cinq ans. Il y a donc là une contradiction entre l'observation que de moins en moins de chercheurs travaillent sur ces projets et la volonté affichée de les mobiliser par des procédures d'appel à projets ouvertes. Nous avons ressenti qu'il n'existait pas de volonté particulière de la part des acteurs historiques d'ouvrir les portes ou d'élargir leurs collaborations. On voit ainsi émerger un certain paradoxe, qui n'est d'ailleurs pas propre au déploiement du plan de relance, mais concerne plus globalement la situation de la R&D sur les matières et déchets radioactifs : le sujet mobilise de moins en moins de chercheurs dans la sphère académique, alors même que le monde académique est en train de se structurer autour d'initiatives d'excellence, dans la gouvernance desquelles figurent les acteurs de la recherche (ANDRA, CEA, etc.). Ceci reflète, de notre point de vue, un problème de stratégie de la part des acteurs et une absence de mobilisation.
Notre dernier constat est que, quand bien même davantage de personnes seraient impliquées, il faudrait donner un sens sociétal fort à leur mobilisation, en lien avec les enjeux de la recherche, et proposer une vision à long terme. Lorsqu'un chercheur décide de s'engager dans des projets comme ceux-ci, il s'engage sur plus de dix ans : il est donc impératif que son engagement soit sous-tendu par une vision et un sens mobilisateurs à long terme. Or ceci n'est pas perceptible aujourd'hui.
À l'issue de ce point d'étape, nous estimons qu'il sera nécessaire que la Commission suive, dans les deux années qui viennent au moins, la mise en oeuvre effective du plan de relance et analyse son insertion dans une stratégie nationale à long terme et sa déclinaison. Ceci entre dans le périmètre de la CNE2, puisqu'elle a pour mission d'évaluer les études et recherches relatives aux matières et déchets radioactifs, donc a priori les travaux de recherche dans ce domaine inclus dans le plan de relance.
Nous pensons qu'il faut engager une réflexion sur les mesures et initiatives spécifiques permettant d'attirer les jeunes talents et d'impliquer davantage la recherche académique. Ce ne sont pas les deux prochaines générations qui verront éventuellement la transmutation à l'échelle industrielle, mais la suivante. Il est important d'avoir cette échelle de temps en tête et d'envisager les moyens d'intéresser les futures générations à la discipline, afin de disposer des ingénieurs, techniciens et chercheurs nécessaires.
Outre ces deux éléments de réflexion centraux, il est évident que la crise aura des conséquences à plus long terme. J'avoue regarder avec une certaine suspicion les bilans financiers des acteurs. La crise n'est pas terminée et nous aurons l'occasion de nous exprimer sur ces sujets, probablement dans le rapport 2022 de la CNE2.
Merci beaucoup, monsieur le président, pour la clarté, la pédagogie et la franchise de votre intervention. Il est précieux, lors de telles auditions, de pouvoir entendre des constats clairs venant d'interlocuteurs qui parlent sans détour.
Je partage totalement l'observation formulée par le président de la CNE2 sur les problèmes de société. Les questions scientifiques n'appartiennent plus aux seuls scientifiques, mais à l'opinion nationale : il faut l'accepter. Notre rôle est d'expliquer à nos concitoyens ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est probable, certain ou discutable. J'ai beaucoup apprécié votre intervention, notamment sa conclusion, qui met l'accent sur le fait que le calendrier commande : nous sommes en présence de déchets ultimes, qu'il faut gérer pour la quasi éternité à l'échelle humaine, et ne disposons pas de solution industrielle alternative, même si nous avons le devoir absolu d'explorer toutes les voies. Ceci demande un effort qui, pour être efficace et effectif, doit être soutenu par un comportement social allant dans le sens d'une acceptation de la diversité, de la complexité, de l'anticipation de long terme. Il faut continuer à investir, y compris intellectuellement, même si les modes ne vont pas nécessairement dans ce sens. C'est assurément le rôle de l'Office que de rappeler à des hommes et femmes politiques, parlementaires, un certain nombre d'évidences, et je remercie le président Pijaudier-Cabot de les avoir soulignées dans son exposé. À chacun de nous, ensuite, de prendre ses responsabilités.
Je salue les membres de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactif qui participent à cette audition de l'Office.
Le sénateur Bruno Sido et moi avons été nommés rapporteurs sur l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et nous menons depuis un an des auditions pour tenter d'apprécier la situation. Comme vous le savez, le PNGMDR a deux ans de retard et n'a toujours pas été publié par le gouvernement, ce qui signifie que nous ne sommes pas en mesure d'en mener une quelconque analyse. Or si nous ne pouvons pas mener à bien notre travail d'ici les échéances électorales de l'année prochaine, nous aurons passé un quinquennat entier sans examen parlementaire du PNGMDR. C'est vraiment inacceptable.
Vous avez mentionné des points d'alerte, notamment l'absence de prévisibilité en termes de ressources humaines. Il m'apparaît qu'un plan national de gestion des déchets radioactifs devrait servir à élaborer une stratégie dans ce domaine, intégrant la dimension de la formation. Or nous ne disposons pas, aujourd'hui, de cette vision, même si un travail a été engagé.
Le gouvernement a repoussé de deux ans le délai de dépôt du PNGMDR dans la loi dite « ASAP » (« Accélération et simplification de l'action publique »). Il faut savoir toutefois qu'il était déjà en violation de la loi et que nous ne disposons d'aucun moyen de sanction. Cette situation est extrêmement désagréable, d'autant que les éléments auxquels vous faites référence devraient faire partie de la stratégie découlant de ce plan.
Vous avez indiqué que l'impact du confinement sur le projet Cigéo avait été relativement limité. La déclaration d'utilité publique (DUP) a été déposée avec peu de retard. Il est cependant plus important pour la demande d'autorisation de création (DAC). Pourriez-vous nous expliquer les sources de ce retard ?
Vous exprimez une crainte quant au fait que le plan de relance fasse mention de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs, dont des « alternatives à l'installation de Cigéo ». Je suis surprise de votre étonnement. En effet, les trois options existent depuis 1991. Je vois Gérard Longuet sourire, car il s'agit d'une discussion récurrente entre nous.
Ces options me conviennent très bien, mais les gouvernements successifs ont oublié de les poursuivre.
Je conserve l'objectif d'inscrire dans la loi de finances des éléments permettant que ces trois voies soient exploitées. J'entends bien que la transmutation n'est envisageable au plan industriel qu'à un horizon très lointain, mais il est possible d'envisager d'autres solutions, telles que l'entreposage de long terme, en subsurface. Or la loi de 2006 ne mentionne aucunement l'abandon de ces possibilités, même si l'enfouissement en couche géologique profonde a été désigné comme option prioritaire. Pourquoi n'évoquez-vous pas cela ? Rien, me semble-t-il, ne fait obstacle à ce qu'il existe deux établissements pilotes, l'un dédié au stockage en couche géologique profonde, l'autre consacré à l'entreposage de long terme. Non seulement je ne pense pas que ceci poserait de problèmes, mais il m'apparaît qu'en termes de gestion du risque industriel il serait assez sain de disposer d'un plan B au cas où l'on rencontrerait un problème par ailleurs. Bruno Sido et moi sommes par exemple en train de travailler sur des sujets comme le dégagement d'hydrogène. Peut-être serait-il utile de rappeler qu'une troisième option avait été envisagée, qui mériterait d'être explorée. Pourriez-vous nous éclairer sur ces différents points ?
Merci beaucoup pour cet exposé. Vous n'avez pas mâché vos mots et vos propos étaient extrêmement clairs. Je partage par ailleurs tout à fait vos analyses.
Je souhaite revenir sur la « solution alternative à Cigéo » évoquée dans le cadre du plan de relance. Est-ce une nouvelle manoeuvre dilatoire ? Chacun sait que le problème des déchets radioactifs à haute et moyenne activité et à vie longue est une « patate chaude » que tous les gouvernements se transmettent faute de parvenir à y apporter une solution. Émilie Cariou a rappelé que la loi dite « Bataille » comportait trois axes ; il ne faut pas l'oublier. La transmutation notamment est un élément très intéressant sur un plan scientifique. En attendant le XXIIe siècle et l'exploitation industrielle de cette technique, il ne faut pas se priver de mettre en oeuvre les moyens de procéder aux recherches qui permettront d'y parvenir. Or il n'existe plus en France aucune centrale à neutrons rapides opérationnelle. Par conséquent, il n'est plus possible de travailler sur la transmutation aujourd'hui dans notre pays. Il faut désormais se rendre en Sibérie et collaborer avec les Russes ; j'imagine que les relations diplomatiques entre nos deux pays ne vont pas les encourager à nous aider. J'aperçois le président Duplessy, que j'apprécie beaucoup, que je respecte infiniment et avec lequel nous travaillons depuis longtemps, mais nous commençons à être fatigués de ces histoires.
Beaucoup d'argent a déjà été dépensé à Bure et chacun, au niveau international, a admis que le stockage géologique profond est la solution de référence. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas d'autres solutions, en particulier la transmutation ou l'entreposage en subsurface ; mais les déchets qui ont une vie hélas longue de plusieurs centaines de milliers d'années ne pourront être maintenus durablement en subsurface. Il faudra donc trouver d'autres solutions, soit sous forme de stockage « réversible » en couche géologique profonde, soit grâce à la transmutation. J'ajoute que les produits issus de la transmutation devront à leur tour être stockés.
Vous avez souligné à juste titre, monsieur le président, que tant que la filière nucléaire sera active, il existera des déchets dont on ne saura que faire et qu'il faudra entreposer quelque part. Il est donc impératif de trouver une solution. Je ne comprends absolument pas le souhait du gouvernement actuel de lancer une solution alternative à Cigéo : est-ce sérieux ? J'aimerais beaucoup connaître votre point de vue sur cette question.
Je vous remercie pour vos propos introductifs. Comme l'a indiqué le président Cédric Villani, je conduis avec le sénateur Stéphane Piednoir une étude sur les réacteurs de quatrième génération, notamment les réacteurs à neutrons rapides, au travers du projet Astrid ; nous pensons pouvoir en présenter les conclusions en juin 2021. Bien entendu, cette quatrième génération n'a de sens que si nous maintenons une ambition nucléaire après 2050. Or en matière de nucléaire civil, deux objections sont souvent posées, à savoir le risque d'accident et les déchets. Je suis donc particulièrement heureux de pouvoir m'entretenir de cette question aujourd'hui avec vous.
Concernant le court terme et les effets de la crise Covid, il est intéressant de constater que la gestion des déchets est résiliente en pareille situation, même si vous avez noté certains impacts.
Je souhaite plutôt évoquer le long, voire le très long terme, puisque vous avez indiqué qu'il faudrait attendre certainement 2100, soit trois générations, avant que la transmutation, permettant de réduire la durée de vie ou la nocivité des éléments radioactifs les plus dangereux, puisse être effectuée à l'échelle industrielle. Je m'interroge sur le flux de déchets ultimes que nous aurons à traiter alors. Si nous avons encore à ce moment une filière nucléaire, ce qui me semble souhaitable, les réacteurs de quatrième génération devraient produire moins de déchets ultimes, ne serait-ce que parce qu'ils sont en capacité de consommer du plutonium, sans parler de la fusion qui ne produirait plus de déchets ultimes. J'aimerais avoir votre avis sur ce que sera le flux de production de déchets ultimes en 2100, en fonction d'hypothèses telles que la quatrième génération et la fusion.
Ma question porte également sur les déchets et le long terme. Thomas Gassilloud a évoqué le flux ; je souhaiterais aborder la question du stock actuel, même si ce sujet nous éloigne quelque peu des conséquences de la crise Covid sur la filière nucléaire. Nous avons eu l'occasion de visiter la semaine dernière le site de Tricastin consacré à l'entreposage des stocks d'uranium appauvri. L'idée a émergé récemment de reclasser cet uranium appauvri en déchet, ce qui aurait des conséquences très lourdes en termes non plus d'entreposage, mais de stockage. Je rappelle que quelque 320 000 tonnes d'uranium appauvri ont été produites en France depuis l'origine de la filière nucléaire. Sachant que cet uranium a une densité de 19 tonnes par mètre cube environ, notre stock d'uranium appauvri représente l'équivalent de 5 piscines olympiques, d'une profondeur comprise entre 2,5 et 3 mètres. Considérez-vous qu'il faille le reclasser en déchet, ce qui nécessiterait un stockage de ces matières, alors même que ces volumes sont commercialisables ? D'autres pays disposent en effet de réacteurs à neutrons rapides et peuvent utiliser cet uranium appauvri comme combustible.
Permettez-moi d'ajouter une question relative au plan de relance. Vous avez insisté sur les buts disparates et le manque de cohésion, mais peu évoqué l'enveloppe globale. Que fait-on avec les 200 millions d'euros répartis sur les différents axes ? Je m'interroge aussi sur la signification de l'intitulé « usine nouvelle ». Pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?
Vous avez indiqué par ailleurs que l'enquête du CNRS recensait de moins en moins de chercheurs travaillant sur ces questions. Serait-il possible de savoir où est localisée la recherche, en matière de transmutation, de stockage, etc. ? Après Astrid, existe-t-il en France des équipes qui continuent à travailler sur ces thèmes ?
J'essaie de replacer le démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim dans les propos qui ont été tenus. Il ne s'agit pas d'évoquer ici la question du combustible, mais l'enveloppe du réacteur. Des annonces d'EDF ont laissé entendre qu'il existait un projet d'installation à Fessenheim d'une usine de retraitement. Est-ce à mettre en lien avec les « usines du futur » auxquelles vous avez fait allusion ? Serait-ce une première étape de retraitement des matériaux faiblement irradiés ou un projet à horizon du XXIIe siècle ?
J'ai été très gêné d'entendre que la rentabilité des activités d'assainissement et démantèlement était incertaine. Mon ressenti personnel est celui d'une filière de démantèlement portant un double enjeu, à la fois économique et stratégique. Que l'on soit pour ou contre l'énergie nucléaire, une évidence économique s'impose : le nombre de sites va s'accroître, ce qui va constituer un gisement de chantiers pour les entreprises travaillant dans ce domaine. L'enjeu stratégique tient au fait qu'avec l'EPR, on perçoit bien aujourd'hui les effets négatifs d'une perte de compétences dans le domaine nucléaire. Je trouve important de maîtriser les technologies du démantèlement. Il s'agit selon moi d'un enjeu de souveraineté : je trouve en effet préférable de pouvoir effectuer soi-même le démantèlement de ses centrales, plutôt que de dépendre d'autres puissances, comme la Chine. Comment corriger cette baisse d'attractivité de l'activité de démantèlement ? N'y a-t-il pas un lien à établir avec le démantèlement de la centrale de Fessenheim, qui pourrait devenir un laboratoire permettant à l'économie française de monter en puissance, afin de nous rendre souverains sur ce sujet et de pouvoir travailler ensuite à l'international ?
Merci beaucoup pour votre très intéressante présentation, que je trouve toutefois quelque peu inquiétante à certains égards.
Comme Philippe Bolo, je souhaite réagir sur la filière assainissement et démantèlement, dont la rentabilité est incertaine et dont certains acteurs se désengagent. Ceci me semble très inquiétant. Il faut absolument réagir, au regard notamment des nombreux démantèlements qui vont devoir être réalisés, et faire en sorte qu'il existe une filière française dans ce domaine.
Je trouve que, d'une manière générale, les appels à projets sont de nature à générer ce que vous avez qualifié de paradoxe. Vous avez indiqué que le nombre de chercheurs mobilisés dans le domaine nucléaire avait diminué de 30 %. Les chercheurs ne sont peut-être pas les responsables de cette baisse : celle-ci peut résulter de la nature des appels à projets qui leur sont proposés. Qu'en pensez-vous ? Je partage avec vous l'idée qu'il faut donner un sens sociétal très fort à ces enjeux de recherche.
Je souhaite enfin insister sur le fait qu'il est aujourd'hui absolument nécessaire que nous stockions les déchets. Je ne comprends pas que l'on tergiverse tant. J'ignore si ceci tient au fait que les décideurs ne connaissent pas suffisamment le sujet ou n'ont pas assez conscience de l'importance de s'y attaquer dès à présent.
Je vais laisser Maurice Leroy répondre aux questions relatives aux flux et aux stocks de déchets, ainsi qu'à la quatrième génération de réacteurs. Christophe Fournier évoquera quant à lui les problématiques de rentabilité de la filière. Je vais pour ma part reprendre les autres questions dans l'ordre.
Nous avons interrogé l'ANDRA sur la cause du retard de la DAC du projet Cigéo ; l'Agence nous a répondu que le dossier de demande d'autorisation de création du stockage Cigéo devrait être déposé fin 2021 - début 2022. Il semble qu'il n'y ait pas réellement de délai pour le déposer et que s'il apparaît opportun de retarder l'échéance de quelques mois pour élaborer un meilleur dossier, cette option sera privilégiée. L'ANDRA n'est pas contrainte par une date limite : même s'il existe des échéances, notamment électorales, qui font que des décisions pourraient être repoussées, je trouve louable de la part de l'ANDRA d'indiquer que ce dossier sera déposé lorsqu'ils l'estimeront prêt.
Votre analyse sur le PNGMDR, qui doit effectivement comporter un volet relatif aux moyens et aux ressources humaines, ainsi qu'une articulation avec le plan de relance, correspond à la nôtre.
S'agissant des solutions alternatives au stockage géologique, nos craintes sont liées au fait qu'il ne nous semble pas utile de faire des promesses qui ne pourront être tenues, ni de laisser penser aux gens des choses qui seraient erronées. En tant que scientifique, il me paraît clair qu'il ne faut écarter aucune solution. Par contre, l'honnêteté nous commande de dire que certaines options peuvent être déployées aujourd'hui, tandis que d'autres ne pourront l'être que demain, et d'autres encore après-demain seulement. Là réside l'essentiel des difficultés du discours à tenir. Un grand scientifique qui se présenterait à nous en indiquant qu'il a peut-être une solution pour résoudre le problème de la nocivité de ces déchets doit être encouragé ; mais il est important de préciser à quel horizon la solution qu'il propose pourra être déployée. Présenter avec honnêteté les solutions alternatives, tout en soulignant qu'elles n'interviendront pas dans un futur proche, contrairement au stockage profond ou à l'entreposage de longue durée, fait partie du travail du scientifique.
Nous avons essayé de nous exprimer, dans notre dernier rapport, sur l'entreposage de longue durée, qui soulève des questions assez fondamentales, liées en particulier à la durabilité des ouvrages de stockage et au vieillissement des combustibles qui y seraient entreposés. Le panorama international des études et recherches que nous avons effectué nous commande de dire que ce sujet suscite beaucoup de questions et peu de réponses. Il faut donc étudier les questions et réponses, notamment en termes de risques, concernant, d'une part, une solution de stockage géologique, d'autre part, un entreposage de longue durée. Partant de là, l'affaire n'est plus dans nos mains et devient une décision d'ordre politique. Il n'appartient pas à la CNE2 de s'exprimer à ce propos : notre travail est de pointer les difficultés et d'analyser l'avancement des dossiers. Or clairement aujourd'hui, le dossier relatif au stockage géologique est à notre sens suffisamment avancé pour que l'on puisse commencer à le construire.
Pourriez-vous nous rappeler, afin de faciliter la mise en perspective, quelques-unes de ces questions aiguës relatives à l'entreposage de longue durée ?
S'il devait s'agir d'un entreposage à sec, il n'est pas certain, dans la mesure où les combustibles vont vieillir, que l'on soit en capacité de les récupérer, soit pour les utiliser dans le cadre de solutions futures de gestion de ces déchets, soit pour les placer ailleurs.
Le deuxième point tient au fait que la durée de vie d'un ouvrage de génie civil de surface est au mieux de 150 ou 200 ans. Or nous disposons de peu de recul en la matière.
La dernière interrogation, plus philosophique, est de savoir s'il convient ou non de confier la surveillance de cet entreposage aux générations futures. Chacun doit prendre sa décision et l'assumer. Je n'ai pas d'avis personnel à vous communiquer à ce sujet.
Ceci me conduit à essayer d'apporter quelques éléments de réponse à monsieur Sido. S'agit-il de mesures dilatoires ? Très honnêtement, il n'appartient pas à la Commission de répondre à cette question. Nous pouvons seulement apporter des éléments d'information sur l'état de l'art au niveau des études et recherches, qui nous permettent en l'occurrence d'indiquer que le pays dispose aujourd'hui de toutes les capacités lui permettant de commencer à construire un site de stockage géologique. Par contre, les résultats scientifiques ne nous permettent pas d'affirmer que nous serions capables de faire de même à brève échéance pour d'autres possibilités. La science nous commande aujourd'hui de répondre ceci ; elle est toutefois toujours susceptible d'évoluer. En tant que chercheur, c'est d'ailleurs mon travail que d'essayer de la faire évoluer.
Je laisse la parole à Maurice Leroy pour répondre aux questions concernant les flux et stocks de déchets et la quatrième génération de réacteurs.
Je vais tenter d'être clair. La question est vaste. J'insiste tout d'abord sur le fait que nous savons aujourd'hui que l'entreposage à longue durée va dégrader la gaine du combustible, que nous ne serons pas capables de reprendre. C'est là l'un des éléments scientifiques qui doit être pris en compte pour d'éventuelles décisions.
Concernant les réacteurs de génération IV et les réacteurs à neutrons rapides, je pense important de rappeler un calcul qui figure, me semble-t-il, dans l'un de nos rapports. Nous avions imaginé une situation dans laquelle l'électricité nucléaire ne serait produite que par des RNR et calculé les quantités de matière nécessaires. Ceci aboutissait au chiffre de 1 000 tonnes de plutonium, réparties globalement en trois segments : 300 tonnes dans les réacteurs sous forme de combustible, 300 tonnes dans les combustibles usés qu'il faudrait retraiter et 300 tonnes en retraitement. Je rappelle que l'une des propriétés des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium est que le plutonium introduit dans le réacteur est consommé, mais se régénère. À partir du moment où l'on dispose d'une flotte de RNR en fonctionnement, ces 1 000 tonnes de plutonium suffisent, puisqu'elles se régénèrent.
Les déchets produits seront des actinides mineurs et des MA-VL. Les quantités seront fonction de la mise en place ou non d'une transmutation. Il faudra dans tous les cas gérer les produits de fission : toutes les études démontrent en effet que la transmutation des produits de fission serait extrêmement compliquée, voire potentiellement impossible. En revanche, il a été démontré, au moins sur des cibles, que ceci était possible pour les actinides mineurs. Il faut garder en tête que la mise en oeuvre d'une transmutation avec les moyens que nous connaissons ou anticipons aujourd'hui conduira à utiliser par exemple de l'américium et à l'irradier. Ceci s'effectuera en plusieurs fois, en reprenant la cible et en la retraitant. Le restant de l'américium sera alors placé dans une nouvelle cible. Ceci prendra quatre ou cinq cycles. Ce processus n'est donc pas une opération immédiate, quelle que soit la méthode utilisée, qu'il s'agisse de systèmes mettant en oeuvre un accélérateur, de réacteurs à sels fondus ou du dispositif proposé par Gérard Mourou, à base d'un laser et d'un réacteur à sels fondus. On en revient ainsi à une gestion des déchets qui s'apparente fortement à celle qui nous incombe aujourd'hui, sauf à avoir transmuté et s'être ainsi débarrassé des actinides mineurs. Dans tous les cas, sont produits des déchets ultimes, dont il faut disposer.
Les RNR utilisent du plutonium et de l'uranium appauvri. Le problème est que nous disposons aujourd'hui de quelque 330 000 ou 350 000 tonnes de cet uranium et qu'il faudrait des millénaires pour les utiliser dans les RNR. En revanche, cet uranium appauvri pourrait parfaitement repasser dans l'usine d'enrichissement et être appauvri encore une fois. Ceci est tout à fait concevable et permettrait d'économiser des importations d'uranium naturel. Cet uranium peut aussi être une denrée à vendre le cas échéant à l'étranger, lorsque l'énergie nucléaire se développera, ce que je crois tout à fait plausible dans le siècle à venir.
La question a également été soulevée de la répartition de l'enveloppe des 200 millions d'euros du plan de relance. Je n'ai pas en mémoire les chiffres précis et vous propose de vous les envoyer par écrit. Je crois me souvenir que 70 millions étaient dédiés au développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs, dont les alternatives à l'installation de Cigéo.
Concernant les « usines du futur », il s'agit typiquement du développement de jumeaux numériques permettant de procéder beaucoup plus rapidement qu'aujourd'hui à du prototypage. Il existe par exemple des procédés d'impression 3D qui connectent à l'environnement industriel un environnement numérique virtuel pour le développement des pièces et procédés, avec leurs déclinaisons pratiques et le volet production. Ce sujet est porté par le CEA.
Il peut, sur ce dernier point, y avoir confusion : quelle que soit l'approche que l'on adoptera en matière de déchets, il y aura de toute manière une séparation. On peut regarder l'usine telle que Gilles Pijaudier-Cabot vient de la décrire, mais aussi la nouvelle usine qu'il faudra de toute façon construire. Des recherches menées actuellement tendent à modifier le traitement du combustible. Ceci doit être pris en considération : il faudra séparer les deux segments. On ne peut faire de transmutation sans séparer. De plus, le procédé le plus simple et le plus efficace pour gérer ces déchets très radioactifs reste celui utilisé aujourd'hui, à savoir isoler les actinides mineurs et les produits de fission et les conditionner pour stockage. Il convient aussi d'envisager une nouvelle usine de La Hague, l'usine actuelle devant s'arrêter aux alentours de 2040.
Si j'ai bien compris, quelles que soient les directions dans lesquelles on décidera de s'engager, il faudra procéder à de la séparation et l'on se trouvera en présence de déchets ultimes demandant une réflexion en termes de stockage.
L'une de vos questions concernait la répartition des forces de recherche académiques dans le domaine de la gestion des matières et déchets radioactifs. Bien entendu, ces forces sont présentes dans les centres du CEA, mais aussi au sein du programme interdisciplinaire NEEDS, qui réunit dans le cadre d'une unité mixte des chercheurs de diverses structures, répartis sur le territoire. Il existe néanmoins des pôles plus spécifiquement dédiés à ces questions, notamment en région parisienne, autour des centres du CEA, et dans l'Est et le Nord de la France, à Nancy et à Lille notamment, autour du laboratoire souterrain. Il est certain que l'organisation du monde académique autour des acteurs que sont le CEA et l'ANDRA est très différente. L'ANDRA travaille avec des groupes de laboratoires et serait donc capable de nous fournir une cartographie complète de ceux qui travaillent avec eux. Tous les projets et objectifs de recherche menés dans ce cadre sont identifiés, dans des laboratoires ayant une vocation relativement pérenne : tout chercheur qui intègre l'un de ces laboratoires y est pour au moins cinq ans. Le CNRS travaille quant à lui dans le cadre d'un programme interdisciplinaire et les équipes sont moins facilement identifiables. Le système fonctionne en effet par appels à projets, si bien que tout chercheur n'ayant jamais travaillé sur le sujet concerné mais ayant des choses intéressantes à dire peut trouver du soutien au travers de ces actions. Les modalités d'intervention sont donc différentes d'un organisme à l'autre.
Un point sur Fessenheim : figure dans le plan de relance un soutien à des projets particuliers sur les « small and modular reactors » (SMR) et sur le technocentre qui devrait être construit sur le site de Fessenheim. Ceci relève moins de la recherche que d'études technico-économiques, ce qui explique que nous ne l'ayons pas mentionné. Une vingtaine de millions d'euros sont ainsi prévus dans le plan de relance pour le technocentre de Fessenheim, dont l'objectif est de développer une installation permettant de recycler les métaux issus du démantèlement à la fois des installations de purification d'uranium et des réacteurs futurs ou en cours de démantèlement. L'idée est de fondre ces aciers, de séparer la matière radioactive de la matière valorisable (ce qui semble relativement simple), afin de disposer de quantités d'acier qu'il serait possible, sous réserve de mesures exceptionnelles prises par les autorités, de recycler dans une filière non nucléaire.
Je laisse la parole à Christophe Fournier au sujet de la rentabilité et des problèmes rencontrés par la filière assainissement-démantèlement.
Je souhaite ajouter une précision à propos du site de Fessenheim : le technocentre n'a absolument pas vocation à effectuer de la transmutation, mais uniquement à fondre des métaux et à en extraire les impuretés radioactives. Or ceci ne nécessite pas de conduire des recherches pendant des décennies et peut être mis en oeuvre dans les toutes prochaines années. La difficulté relativement à Fessenheim est simple : il n'existe pas en France de seuil de libération, si bien que l'on exclut a priori la réutilisation dans le domaine public de tout déchet issu de la filière nucléaire, ce qui n'est pas le cas ailleurs en Europe. Pour que les métaux dépollués qui seront produits par le technocentre de Fessenheim puissent être réutilisés, il faudra une évolution de la réglementation, avec tous les problèmes d'acceptabilité que ceci suppose. Le problème de Fessenheim est donc avant tout une question d'acceptabilité et ne relève pas du champ scientifique.
J'en viens aux questions de rentabilité. Il faut avoir à l'esprit que les démantèlements nucléaires sont des opérations industrielles présentant de nombreux aléas, avec des découvertes de contaminations que l'on n'attendait pas. Le rythme et le calendrier de ces opérations sont donc fluctuants, ce qui est particulièrement néfaste en matière d'organisation industrielle et de coûts induits et menace la rentabilité des projets. Il importe par ailleurs de distinguer la situation d'EDF de celle du CEA. Chez EDF, et plus globalement chez les industriels du nucléaire, le financement des démantèlements fait l'objet de provisions gagées par des actifs dédiés. Ainsi, lorsqu'une opération est engagée, l'argent est disponible. Au CEA, les démantèlements sont gagés par une créance pour l'État : le rythme des démantèlements dépend ainsi de la dotation budgétaire annuelle décidée par chaque loi de finances. En résumé, la situation d'EDF permet d'optimiser le rythme du démantèlement par rapport à la technique et à l'outil industriel, alors que dans le cas du CEA, ce rythme est fonction du flux financier. S'ajoute à cela le fait que le CEA doit démanteler des installations nombreuses et différentes.
Le désintérêt des industriels a concerné en particulier les opérations de démantèlement du CEA. En effet, les contraintes budgétaires induisaient trop d'aléas dans les calendriers et ruinaient la rentabilité de l'activité.
On observe en revanche depuis quelques années une évolution de la stratégie industrielle d'EDF. Auparavant cette stratégie consistait à confier les opérations de démantèlement à de gros intervenants, de manière très globale, en espérant obtenir une forfaitisation des contrats et un transfert de risques. Force est de constater que ceci n'a pas vraiment bien fonctionné, en raison notamment des nombreux imprévus survenant dans le cadre de ces chantiers. Or chacun sait que dans le monde du BTP comme dans celui du démantèlement, un imprévu engendre un contentieux - c'est d'ailleurs ce sur quoi vivent les gros industriels. EDF ayant été confronté à de fortes déconvenues tant sur l'efficacité du montage industriel que sur les coûts est en train d'évoluer vers une réinternalisation des activités de maîtrise d'oeuvre, en particulier au travers de sa filiale Cyclife, en essayant de nouer des partenariats de plus longue durée permettant de maintenir la compétence et de partager les risques et les coûts. Cette évolution de politique industrielle va dans le bon sens. À cet égard, le démantèlement de la centrale de Fessenheim sera certainement une sorte de prototype pour toutes les centrales suivantes. Cette démarche est sans doute favorable au renforcement du secteur.
Il reste en revanche un vrai problème quant au financement des opérations de démantèlement du CEA. Le peu d'intérêt suscité chez les industriels causera sans doute tôt ou tard une difficulté lorsqu'il faudra démanteler ces installations.
Nous n'avons pas répondu à la question de madame Préville sur les appels à projets. Vous sembliez indiquer que la pression n'était peut-être pas suffisante de la part des chercheurs pour générer des appels à projets et faire en sorte que les gens puissent s'enthousiasmer pour les sujets relatifs aux matières et déchets radioactifs. Je suis toujours quelque peu interrogatif face à cette question récurrente, dont je pense qu'elle ne s'applique pas au domaine nucléaire. En effet, il existe aujourd'hui un dispositif permettant à tout chercheur de proposer le sujet de son choix dans le cadre des appels à projets non thématiques de l'Agence nationale de la recherche. Si un chercheur souhaite proposer un sujet dans le domaine nucléaire, il trouvera ainsi toujours un appel à projets lui permettant de le faire, certes peut-être pas au niveau souhaité. Si l'on considère ce que l'ANR qualifie de « pression postale », c'est-à-dire le nombre de projets reçus sur un sujet - qui permet de voir émerger des tendances sur les sujets d'intérêt des chercheurs -, on observe qu'il n'existe pas de « pression » dans le domaine des matières et déchets radioactifs. Je pense donc que l'appel à projets non thématique n'est pas le bon mécanisme. La solution serait selon moi le mécanisme inverse, consistant à créer des appels à projets sur ces sujets, afin de générer un appel d'air et d'attirer les chercheurs dans ce champ.
Merci pour ces précisions.
Lorsque vous évoquez la transmutation et les travaux de Gérard Mourou, ceci est très enthousiasmant, mais ne pourra semble-t-il trouver de débouché à l'échelle industrielle qu'à un horizon très lointain, vers 2100. Sur quels éléments s'appuie-t-on pour affirmer que ceci prendra autant de temps ? L'histoire du nucléaire nous a montré que l'on pouvait être surpris et que des procédés pouvaient être mis au point beaucoup plus rapidement que prévu. Lorsque la bombe atomique a explosé le 6 août 1945, ceci a constitué une immense surprise pour nombre de physiciens allemands qui, bien qu'étant parmi les meilleurs du monde, estimaient qu'il faudrait encore de nombreuses années de développement avant que ce soit possible. La même question se pose sur la fusion nucléaire, dont on entendait dire il y a bien longtemps qu'il s'agissait de l'énergie du futur et dont on considère aujourd'hui qu'elle arrivera beaucoup trop tard pour peser dans le débat. Comment affirmer que la mise en oeuvre industrielle de ces procédés n'interviendra qu'à un horizon aussi lointain ?
Bruno Sido faisait mention d'un stockage réversible dans Cigéo, conformément à ce qui figure dans la loi. On entend néanmoins monter, tant dans le camp des pro-nucléaires que dans celui des opposants, une petite musique disant que la réversibilité sera en fait temporaire et qu'il sera rapidement impossible de compter sur une quelconque réversibilité, en raison de la manière dont l'argile viendra envahir le site. La réversibilité peut donc être un argument trompeur, susceptible de fausser le débat public. Qu'en pensez-vous ?
Je souhaiterais commenter une intervention de Gilles Pijaudier-Cabot, que je partage mais qui n'est pas sans conséquence. Répondant à l'interrogation d'Émilie Cariou sur le dépôt de la DAC, qui sera probablement effectif fin 2021 - début 2022, il a souligné les aspects politiques, le calendrier électoral et la tentation pour tout gouvernement de mettre de côté les sujets qui fâchent et par conséquent de ne pas engager des procédures risquant de susciter commentaires et divisions. Il existe un temps de la recherche, consacré à éprouver les solutions les plus pertinentes : l'ANDRA effectue de ce point de vue un travail remarquable, de façon continue depuis la loi Bataille et sur le terrain depuis 2000. L'ANDRA est toutefois en lien avec une population, qui jusqu'à présent a accepté la perspective de la recherche parce qu'il s'agissait d'un laboratoire, sans présence de déchets, dont le travail débouchait sur le principe d'un stockage réversible. Nous avons fait adopter en 2016 une loi définissant la réversibilité. Comme Cédric Villani vient de le rappeler, cette réversibilité s'avère toutefois temporaire, pour des raisons à la fois techniques et économiques. Ces déchets resteront là s'ils n'ont pas de valeur.
Plus important encore, lorsque l'on fait le choix de confier les déchets à la géologie, je crois qu'il faut en accepter l'immense avantage, qui consiste à libérer l'homme de ce fardeau. Pour être très honnête, je fais plus confiance à la géologie qu'aux hommes politiques. Il faut néanmoins reconnaître, à ma décharge, que je connais beaucoup moins bien la géologie que les hommes politiques, dont je me méfie. La façon dont les populations réagissent aux calendriers peut avoir des répercussions extrêmement fortes : qu'un scientifique ait un doute et inscrive son action dans la durée, l'opinion considèrera que cet atermoiement est synonyme de problème. J'attire l'attention des autorités politiques sur le fait que la rigueur d'un calendrier illustre la rigueur de la démarche scientifique. Si les échéances sont trop élastiques, sans justification scientifique forte et évidente, alors ceci risque de générer un manque de confiance de la part du grand public. Dans la société hyper-émotive que nous connaissons aujourd'hui, la moindre défiance peut créer une situation intenable, pour nos concitoyens comme pour les autorités politiques. Le temps scientifique n'est pas le temps de l'opinion. Or cette dernière joue aujourd'hui un rôle important. C'est la nature même de la démocratie et la grandeur du métier politique que d'accepter d'affronter l'opinion lorsque l'on a des convictions.
Je vais tout d'abord rebondir sur les propos du président Longuet, que je partage : le fait de se conformer à un calendrier signifie que le projet est mené avec rigueur. C'est la raison pour laquelle nous regardons attentivement, s'agissant de la PPE, les calendriers des divers projets, études et recherches menés dans le domaine nucléaire. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à procéder de la sorte : l'Autorité de sûreté nucléaire partage, me semble-t-il, la conviction selon laquelle un calendrier mal tenu est le signe d'un projet qui est en train de déraper.
Ceci dit, la nécessité d'écouter le public et d'ouvrir le débat impose des phases de réponse et d'analyse. Je ne pense pas que l'on puisse affirmer qu'un calendrier serait mal tenu au seul motif que l'on aurait pris davantage de temps pour expliquer le projet au public. Cet argument n'est pas forcément audible aujourd'hui, j'en conviens volontiers. C'est néanmoins celui qui est avancé par l'ANDRA, à laquelle je ne pense pas que l'on puisse reprocher de prendre le temps d'expliquer et de tirer les conséquences des débats publics qui ont lieu autour du dépôt de la demande d'autorisation de création de Cigéo. Il ne faut pas que ceci dérape, mais il me semble important de prendre le temps nécessaire pour répondre correctement aux interrogations de la population. Il y a là un compromis à trouver : quelques mois de délais sont acceptables, trois ans ne le sont pas.
Vous avez évoqué, monsieur Villani, le développement de la bombe nucléaire. Si mes souvenirs sont bons, ceci était alors une priorité nationale et internationale. Je pense que l'on pourrait, de la même manière, connaître des avancées rapides et inattendues si la transmutation et ITER étaient élevés au rang de priorités scientifiques nationales. Lorsque l'on considère, comme c'est aujourd'hui le cas dans le cadre de la PPE, que la transmutation à l'échelle industrielle ne sera pas effective avant quelque 80 ans, le chercheur d'aujourd'hui va très certainement faire le choix de laisser cela à d'autres, à moins d'avoir ce sujet chevillé au corps. Si ce projet, tout comme celui d'ITER, n'est pas désigné comme une priorité, il n'avancera pas. Il faut en avoir conscience.
Concernant le caractère prétendument temporaire de la réversibilité, il faut savoir que cette dernière durera jusqu'au moment où le stockage géologique sera définitivement fermé, et peut-être au-delà. La récupérabilité des produits sera quant à elle temporaire dans des conditions simples. Il ne faut pas confondre réversibilité et récupérabilité. La CNE2 est convaincue que la réversibilité définie par la loi de 2016 est une nécessité pour un projet qui va durer aussi longtemps. Ceci introduit la souplesse permettant d'expliquer à la fois la manière dont le stockage va être effectué aujourd'hui et le fait que dans 50 ans, en fonction des avancées technologiques, la situation pourra évoluer. J'ai coutume d'interroger par exemple l'ANDRA sur le fait que rien ne permet d'affirmer que, dans 80 ans, l'on disposera toujours de l'autorisation de produire du ciment. La flexibilité, l'adaptabilité se traduisent notamment par la possibilité d'utiliser éventuellement d'autres matériaux pour développer les mêmes solutions, de construire selon les progrès effectués. Évoquer la réversibilité en la considérant seulement comme le fait d'enfouir des déchets susceptibles de devenir des matières que l'on pourrait souhaiter récupérer par la suite pour les valoriser suppose d'admettre, d'une part, que nos arrière-petits-enfants décideront que cette démarche est rentable, ce que nous ne sommes pas en capacité de savoir aujourd'hui, d'autre part, qu'ils prennent alors en charge la récupérabilité. Il s'agit d'un tout petit élément de la réversibilité. La Commission s'intéresse davantage à la mise en place des mécanismes permettant de faire mieux demain ce que l'on a prévu aujourd'hui, sans pour autant tout recommencer. Je suis parfaitement conscient que cette définition de la réversibilité ne correspond pas à la vision qu'en a le grand public. Je pense que pour les habitants de Bure, la réversibilité est synonyme de possibilité de récupérer les déchets. Or il ne faut pas se cacher qu'il sera beaucoup plus compliqué de récupérer les colis dans 130 ans que le lendemain de leur stockage dans le site. Exercer cette possibilité restera néanmoins toujours envisageable, à charge pour les générations futures d'en faire le choix, parce que ce sera rentable, économiquement et socialement.
Il faut savoir que les déchets HA-VL sont noyés dans du verre fait à partir de silicium, lequel n'a pas vu ses propriétés changer depuis le big bang et ne les verra pas plus évoluer dans les cent années à venir. Par conséquent, retraiter les déchets vitrifiés est, dans ces conditions, un cauchemar. Il n'y a en outre absolument rien à récupérer. Plaçons-nous dans l'hypothèse où il existe encore une industrie nucléaire : si, lors de la séparation, certains éléments comme le ruthénium, le rhodium ou le palladium vous intéressent, alors au lieu de les couler dans le verre, vous allez les séparer et les récupérer. Or ces éléments étant encore faiblement radioactifs, il faudra modifier la loi pour pouvoir les utiliser. La récupérabilité est un mythe complet. Soit l'on ne conditionne pas, soit, si l'on a conditionné, la récupération ne présentera aucun intérêt.
Je souscris en outre totalement aux propos de Gilles Pijaudier-Cabot sur la transmutation. Prenez l'exemple du vaccin contre la Covid-19 : la science peut produire très rapidement des résultats à condition d'y consacrer les financements suffisants. Aujourd'hui, la France ne dispose plus d'outil d'irradiation pour travailler sur la transmutation. Construire un réacteur implique de mettre d'emblée sur la table 5 à 10 milliards d'euros. Or un réacteur à sels fondus coûte environ cette somme entre le moment où le feu vert est donné et celui où, quinze années plus tard environ, il est pleinement opérationnel pour effectuer de la transmutation. Le coût d'un tel projet est ainsi d'environ 1,5 milliard d'euros par an. La situation actuelle, à laquelle s'ajoute un climat de bashing du nucléaire, ne suscite pas de vocation chez les jeunes. La France peut soit décider de mener son propre programme, ce qui suppose d'y consacrer des moyens financiers et de continuer à former des experts capables de faire face aux nécessités futures, soit s'appuyer sur l'étranger, ce qui constitue une tout autre optique.
Nous arrivons au terme de cette séance. Je remercie, au nom de l'Office, la CNE2 pour cette audition importante, éclairante, qui nous a permis d'aborder non seulement des aspects techniques et économiques, mais aussi des questions sociétales et de ressources humaines, essentielles dans ce domaine.
Je salue le travail efficace et clair que vous avez réalisé sur l'appréciation de l'impact de la Covid-19 et du plan de relance sur les études et recherches portant sur la gestion des matières et déchets radioactifs.
Nous allons rester en contact sur ces sujets, car des échéances se précisent, parmi lesquelles le PNGMDR, dont nous avons le sentiment qu'il va être publié après la période au cours de laquelle il était censé s'appliquer, ce qui ne sera pas une grande réussite en termes de processus démocratique. Les missions en cours, conduites par Émilie Cariou, Bruno Sido, Thomas Gassilloud et Stéphane Piednoir, vont se poursuivre et constituer autant d'occasions de remettre ces sujets sur la table.
Lors de cette audition, vous nous avez fait part de points d'alerte, que nous avons entendus. Ceci porte en particulier sur la lisibilité de l'action de l'État. Vous avez notamment évoqué le rôle du ministère et de la DGEC, que vous avez commencé par auditionner et auxquels nous souhaiterions, en tant que parlementaires, demander des explications.
Au-delà de la stratégie, vous nous avez aussi alertés sur l'attractivité de la filière au niveau des ressources humaines et des programmes de recherche à venir. Il est de notre rôle de parlementaires d'être au rendez-vous. Quelle que sera l'évolution de la place du nucléaire, nous avons besoin d'ingénieurs formés et compétents pour travailler sur les stratégies industrielles et sur les conditions de traitement et de gestion des déchets. Le fait que certains indicateurs témoignent d'une certaine déprime de l'ensemble de la filière n'est bon pour personne. Nous devons, en notre qualité de parlementaires, participer au débat démocratique et interpeller le gouvernement en la matière.
Je rappelle que, lorsqu'elle était députée, Barbara Pompili avait présidé une commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaires, dont j'étais membre. Nous avions mis l'accent sur ce sujet, qui nous avait été signalé par de nombreux acteurs. L'absence de stratégie observée aujourd'hui encore est pour nous source de questionnement. Or le constat est connu au plus haut niveau, puisque la ministre elle-même a produit un rapport à ce propos.
Il est effectivement important de rappeler les prises de position que certaines personnes ont pu avoir au fil de leurs diverses fonctions ; nous n'y manquerons pas.
Mes chers collègues, je vous propose de conclure cette séance et d'adresser encore une fois, au nom de l'Office, nos vifs remerciements et félicitations au président Pijaudier-Cabot et à l'ensemble de la CNE2 pour ce travail.
Nous allons à présent examiner le rapport élaboré par Philippe Bolo, qui présente les conclusions de l'audition publique sur l'impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d'élevage.
L'audition publique sur l'impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d'élevage a eu lieu le 18 février. Avant celle-ci, j'ai procédé à douze entretiens préparatoires avec différentes parties prenantes. L'audition publique s'est tenue sous forme de deux tables rondes : la première, qui a réuni dix participants, s'est penchée sur les constats liés aux effets des ondes électromagnétiques sur les animaux d'élevage, la seconde, à laquelle sept personnes ont participé, a porté sur la prise en compte des difficultés rencontrées.
Peut-être avez-vous entendu dire que les agriculteurs n'étaient pas suffisamment représentés dans le cadre de ces tables rondes et que l'ANAST (Association nationale Animaux sous tension) n'était pas représentative de l'ensemble de la profession et des cas concernés. Je pense qu'il ne faut pas envisager les choses ainsi. Il se trouve que l'ANAST est la seule association représentative des agriculteurs en difficulté sur ce sujet : il fallait donc qu'elle soit présente. Par ailleurs, de nombreux cas d'agriculteurs, faisant ou non partie de l'ANAST, ont été évoqués par les différents intervenants. Au total, près d'une dizaine de situations ont été abordées lors de nos échanges.
Pourquoi avoir organisé ces tables rondes ? Nous sommes face à un sujet mal connu, rarement évoqué par la représentation nationale, et face à des situations dramatiques, parfois sans solution. Un rapport rédigé au nom de l'OPECST par le sénateur Daniel Raoul en 2010 avait évoqué la question. De manière individuelle, hors cadre constitué, certains députés s'y intéressent également ; je pense notamment à Yves Daniel, en Loire-Atlantique.
Afin d'avoir une vision comparative de la situation dans différents pays, j'ai réalisé une enquête auprès des membres de l'EPTA (European Parliamentary Technology Assessment), structure qui fédère les offices semblables au nôtre dans 23 pays. Si l'on enlève l'OPECST, les deux représentations européennes et l'office du Mexique que nous n'avons pas réussi à contacter, ce sont 19 offices qui ont été sollicités pour répondre à trois questions. Douze ont répondu et il apparait que personne ne travaille sur ce sujet, à l'exception de la Suisse où certains députés, en dehors des activités de leur office parlementaire, ont déjà abordé la question de l'impact des antennes de téléphonie et des lignes électriques. Tous nos autres correspondants ont indiqué n'avoir rien fait. Nous sommes donc en avance, ce qui méritait d'être signalé.
Une note de synthèse vous a été transmise avant-hier, qui insiste sur la complexité du sujet. Lors de la table ronde, un physicien spécialiste des champs électromagnétiques en a exposé les grands principes, ce qui a permis de lancer les échanges sur une base sémantique et de connaissances partagée. Il a expliqué qu'il existait des champs électromagnétiques de différentes fréquences, ne produisant pas les mêmes effets, directs et indirects. La téléphonie se situe par exemple dans les hautes fréquences, avec des impacts thermiques. Les lignes haute tension sont au contraire sur de la basse fréquence, avec un phénomène d'induction de courant électrique dans les équipements métalliques.
Le deuxième niveau de complexité, qui s'ajoute à la difficulté du phénomène physique, tient au fait que les symptômes observés aujourd'hui sur les animaux d'élevage ne sont pas forcément révélateurs de troubles liés aux ondes électromagnétiques mais peuvent éventuellement être imputés à d'autres causes.
Il existe néanmoins des observations de terrain laissant penser qu'il se passe quelque chose et qu'il faut vraiment examiner le sujet. Le vétérinaire présent a clairement indiqué que les difficultés d'abreuvement ou les comportements particuliers rencontrés chez les bovins, qui évitent de fréquenter tout ou partie de certains espaces d'une exploitation agricole, pouvaient résulter de perturbations électromagnétiques, parfois directes, mais le plus souvent indirectes, liées aux basses fréquences et à la génération de courants induits.
Les observations de terrain montrent par ailleurs que ces phénomènes apparaissent souvent de façon concomitante à l'installation d'infrastructures de réseau électrique, de production d'énergies renouvelables ou de communication de type 4G ou 5G. Ceci a été mis en évidence lors de la table ronde par M. Crouillebois, qui a expliqué que le déplacement de la ligne enterrée près de son exploitation a coïncidé avec la fin des difficultés rencontrées par son troupeau. L'exemple du parc éolien des Quatre Seigneurs interroge plus encore, car les problèmes sont apparus avant même que les éoliennes soient raccordées au réseau électrique, ce qui suscite de nombreuses questions. Il faut savoir par ailleurs que des problèmes similaires apparaissent également en l'absence d'infrastructures de ce type.
La sensibilité des animaux, très différente de la nôtre, est probablement en cause. Les normes utilisées pour la construction des bâtiments d'élevage sont des normes élaborées pour les humains, visant à éviter l'électrocution. Or les animaux ont une sensibilité très différente, d'une part car ils reposent sur le sol avec quatre pattes, d'autre part parce que leurs pattes ne sont pas isolées du sol et se trouvent parfois dans des milieux humides. Ainsi, dès que des courants induits y circulent, des difficultés apparaissent.
Il existe enfin de réelles inconnues sur les phénomènes qui interviennent dans les sols et sur l'influence de la géologie. Étant ingénieur agronome en génie rural, je puis témoigner du fait que je n'ai jamais entendu parler de ces sujets de circulation d'électricité dans le sol, ce qui montre que le domaine n'est pas vraiment documenté.
Ceci nous conduit au constat d'un besoin de recherche sur les effets des ondes électromagnétiques sur les animaux d'élevage, la mesure de la sensibilité des animaux et la circulation des courants dans le sol et le sous-sol. En préparant la table ronde, notre premier réflexe a été d'aller rechercher des informations auprès de l'INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) : or il n'existe aucun chercheur y travaillant sur ces questions.
Cette absence d'études est-elle due à un manque de financement ou bien au fait que cette thématique n'intéresse pas les chercheurs ? J'avoue ne pas savoir comment appréhender cette boucle.
La seconde table ronde concernait la gestion des situations difficiles rencontrées par les éleveurs. Elle a notamment permis d'évoquer le GPSE (Groupement permanent de sécurité électrique), structure mise en place par le ministère de l'agriculture en 1999, qui a pris la forme d'un groupe de travail jusqu'en 2014, puis d'une association depuis 2014, avec la présence en son sein des grands gestionnaires des infrastructures (RTE, Enedis, etc.), ce qui n'est pas sans poser problème, j'y reviendrai. Depuis sa création, 72 demandes ont été soumises au GPSE par l'intermédiaire des chambres d'agriculture, qui se sont traduites par 49 interventions, avec 35 cas résolus, 18 cas ayant fait l'objet de diagnostics approfondis (vous verrez dans la note qu'il existe deux façons pour le GPSE d'appréhender les sujets, à savoir la réalisation de diagnostics simples ou de diagnostics approfondis) et 5 cas restant aujourd'hui sans solution. Le GPSE est malheureusement l'objet de critiques, dues notamment à la présence de RTE et Enedis. Le fait que les agriculteurs qui s'estiment victimes des aménagements effectués par RTE et Enedis doivent, pour résoudre leurs difficultés, s'adresser à une instance à laquelle participent ces deux grands gestionnaires pose problème. Il importera de trouver des solutions.
La notion de géobiologie a été présente dans cette seconde table ronde, ce qui suscite, je l'imagine, de la curiosité de votre part. Cette discipline, non scientifique, existe bel et bien et permet, dans certains cas, de résoudre les situations, alors même que la science n'y parvient pas. Ceci soulève de nombreuses questions. Lorsque j'ai écouté pour la première fois le discours des géobiologues, je dois vous avouer avoir été, avec le parcours qui est le mien, très dubitatif. Or je crois qu'il faut vraiment faire preuve en la matière d'une grande ouverture d'esprit et considérer que cette discipline existe et a son intérêt. Nous avons tous entendu parler ou vu des sourciers qui parviennent à trouver de l'eau.
Les géobiologues les plus sérieux s'appuient sur une connaissance de la physique et utilisent des équipements permettant de mesurer des paramètres physiques. Ils partent du principe qu'ils vont repérer les veines d'eau et les failles dans le sol, qui sont, pour eux, des voies de circulation préférentielles des ondes et courants à l'origine des problèmes rencontrés par les éleveurs. Cette profession est en train de se structurer, avec des formations, un code de la géobiologie et une charte des bonnes pratiques. J'ai découvert aux éditions de La France agricole des guides de la géobiologie en agriculture qui n'ont rien de farfelu : ils reposent sur des bases scientifiques, expliquent l'électricité, les champs électromagnétiques et comprennent un recueil de témoignages préoccupants sur des situations similaires à celles qui nous ont été rapportées lors de l'audition.
La note que je vous ai transmise se termine par des préconisations de trois ordres.
Le premier volet de ces propositions vise à une meilleure connaissance non seulement des phénomènes électromagnétiques et de leur influence sur les animaux, les sols et les normes, mais aussi à une meilleure connaissance du nombre de cas. Dès que je me suis lancé dans cette mission, des agriculteurs avec lesquels je suis en contact sur le territoire que je représente m'ont indiqué qu'ils avaient été confrontés à des phénomènes de cette nature et avaient heureusement trouvé des solutions. Ce type de situation est beaucoup plus fréquent qu'on ne l'imagine.
La deuxième catégorie de préconisations concerne la prévention des problèmes, avec une amélioration de la gouvernance, du financement et de l'organisation du GPSE. Ceci passe également par la réalisation d'un diagnostic géobiologique dans le cadre des études d'impact, avant la création et la mise en place de nouveaux projets d'aménagement. Ceci est pratiqué en Loire-Atlantique à la demande de la préfecture. Des installateurs d'éoliennes procèdent également de la sorte.
Le dernier ensemble de recommandations a pour objet une meilleure prise en compte du phénomène, en allant plus vite dans sa reconnaissance, en structurant la méthode et la profession de géobiologue et surtout en mettant en oeuvre les préconisations des différents rapports déjà réalisés sur ces questions (rapport de Daniel Raoul au nom de l'OPECST, travaux de l'ANSES, mission du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)).
Merci beaucoup. Ce sujet est riche et va certainement donner lieu à de nombreux commentaires.
Je pense qu'il faut avancer résolument sur ce dossier, tout en étant plus prudents encore qu'à l'accoutumée sur les termes et formules choisis. Il nous faut peaufiner le texte de nos conclusions et être très attentifs. Nous ne manquerons pas de recevoir des commentaires nous alertant sur le fait que ce domaine est peuplé de charlatans et d'imposteurs ; pour autant, ceci ne saurait justifier de ne rien faire.
Concernant la question de représentativité, il est normal que nous interrogions sur ce sujet les associations et les représentants des agriculteurs qui signalent un problème et que nous ne cherchions pas à réunir un panel représentatif de tous les cas de figure possibles. L'ANAST a largement participé aux débats et souvent demandé la parole. Je pense qu'il n'y a en l'occurrence aucun problème de représentativité.
Il faut par ailleurs être attentif à la question de la prévalence. Les cas sont nombreux dans l'absolu, mais très limités en valeur relative, c'est-à-dire proportionnellement à l'ensemble des agriculteurs potentiellement concernés. Attention par conséquent à la signification que l'on accorde aux termes : ce peut être « beaucoup » ou « très peu » selon le point de vue considéré.
Il est intéressant d'évoquer les travaux des autres parlements. Je suis curieux de savoir comment le débat suisse s'est présenté.
Il serait également bienvenu de faire le lien entre ce sujet et les préconisations que nous avons formulées dans le cadre de l'audition sur l'électrohypersensibilité. Voici quelques jours, le suivi de ces recommandations a fait l'objet d'une vérification, qui a permis de constater que les choses bougeaient, même si l'équipe qui mène des travaux sur ce sujet insiste pour qu'il ne soit pas fait de publicité autour de ses recherches, afin qu'elle puisse travailler tranquillement.
La discussion sur le seuil qui devrait être opposable aux champs électromagnétiques me semble un mauvais débat. On pourrait consacrer des années à une réflexion sur l'opportunité d'un abaissement des seuils. Or la question porte moins sur un seuil que sur la configuration des lieux ou l'interaction entre diverses structures. Ne considérer que l'amplitude ou la fréquence des champs ne permet pas de conclure qu'une situation est dangereuse ou inquiétante en soi : tout dépend de la configuration et de sa complexité.
La question traitée renvoie à des sujets techniques, parfois complexes. Il me semble donc important d'effectuer dans le rapport un effort d'explicitation, sous forme de lexique, d'encadrés, de diagrammes...
Les géobiologues, héritiers des anciens sourciers, constituent une profession disparate, dont certaines pratiques s'apparentent manifestement à du charlatanisme. Il n'empêche que certains jouent un rôle important aujourd'hui, conseillent des chambres d'agriculture, et permettent parfois, de façon très pragmatique, de résoudre des problèmes de cette nature. Ce ne sont donc absolument pas des acteurs que l'on peut écarter. Il faut simplement trouver la bonne façon d'en parler, qui traduise à la fois une ouverture d'esprit, de la prudence et une absence de naïveté.
Il me semble enfin important d'insister sur les conditions dans lesquelles les expérimentations doivent se faire. Nous sommes un office parlementaire scientifique et il est de notre rôle de souligner la façon dont la science doit progresser. Il s'agit d'un sujet dans lequel les expériences de laboratoire sont extrêmement limitées : il n'est en effet guère envisageable de reproduire grandeur nature dans un laboratoire toute la complexité d'une situation donnée. Lorsque des cas sont signalés comme problématiques, il est par conséquent important qu'ils se transforment en situations de recherche, avec un protocole, une participation d'organismes d'électricité, de télécom et de recherche et un dialogue avec l'agriculteur.
Je trouve la démarche extrêmement intéressante. Ces sujets sont absolument passionnants et reviennent de façon certes marginale mais récurrente dans notre vie locale. Progresser, évaluer, réfléchir est toujours utile.
Je tiens à rappeler que la question a déjà été abordée par l'Office parlementaire voici quelques années et qu'il s'agit d'un sujet bien réel. Étant moi-même agriculteur d'origine, je sais que ces phénomènes sont une réalité de terrain, qu'il faut traiter même si les scientifiques ne se sont pas emparés du sujet. Je comprends, Monsieur le président, qu'en tant qu'éminent mathématicien vous appréciez les choses rigoureuses. Ceci étant, je ne crois pas que l'on puisse dire que les sourciers sont des charlatans. Ils ont rendu des services immenses à un nombre considérable d'agriculteurs, aussi bien en France qu'ailleurs, y compris au Sahara. Ce sont les sourciers qui y ont trouvé l'eau et non les scientifiques, qui ne s'intéressaient pas à cette question.
Vous avez évoqué la question de la prévalence, en lien avec la notion de probabilité. Or il faut comparer des éléments comparables. A-t-on cherché à savoir si et dans quelle mesure la prévalence changeait selon que l'on était en présence de lignes électriques à haute tension, de lignes enterrées, etc. ? En général, une personne habitant en rase campagne, loin de tout, ne rencontre pas de problème. La situation peut en revanche être différente si elle réside sous une ligne à haute, voire très haute tension. Je pense en particulier à la ligne qui, en Normandie, vient de Flamanville et a généré des problèmes de cette nature. Ne serait-il pas envisageable de préconiser une politique de prévention ? Ne pourrait-on inviter à ce que des études soient effectuées préalablement à la construction d'un nouveau bâtiment, afin d'éviter de construire sur des zones présentant un danger ?
Le sujet est important et je remercie Philippe Bolo pour ce travail. Il faudrait vraiment essayer de faire en sorte que les scientifiques se penchent sur cette problématique. Le fait qu'un sujet soit complexe et géorgique ne doit pas conduire pour autant à ce que les scientifiques s'en désintéressent. De vrais problèmes se posent, qu'il faut régler. Peut-être d'ailleurs ne sont-ils pas dus à des phénomènes électromagnétiques. Il faudrait élucider cela. Nous savons néanmoins que les animaux, qui se déplacent sur quatre pattes, sur des sols parfois humides, sont plus sensibles que les humains à certains éléments de leur environnement. Ils le sont moins sur d'autres : ils supportent par exemple beaucoup mieux le froid et l'humidité que nous. Il est dommage que ce sujet ne soit pas traité et je pense qu'il serait intéressant de suggérer que l'INRAE se penche sur la question et s'attache les meilleurs scientifiques pour y travailler. Ceci n'est pas une question de moyens : je crois que de telles études ne coûteraient pas très cher.
Lorsque j'ai parlé de charlatans, le mot était assurément trop dur. Le terme employé dans la version actuelle du rapport est plutôt celui de « fantaisiste ».
Concernant les sourciers, un travail mené par une équipe de scientifiques, dont faisait partie Georges Charpak, était arrivé à la conclusion pragmatique qu'il existait un réel savoir-faire permettant de détecter de l'eau et des sources, mais celui-ci ne correspondait pas aux discours et théories proposés par les sourciers eux-mêmes pour l'expliquer. Un savoir-faire peut être réel sans s'appuyer sur une théorie solide. Il existe là un travail à effectuer pour changer l'un en l'autre.
Je précise que l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) était à la manoeuvre pour les travaux sur l'électrosensibilité.
Je remercie Philippe Bolo pour son exposé extrêmement clair. J'avais trouvé complexes les échanges tenus lors des tables rondes. Or le résumé qui vient de nous être proposé est très éclairant.
Ce travail s'inscrit effectivement dans la continuité du rapport sur les ondes élaboré par Daniel Raoul et de divers autres travaux de l'Office.
A été évoquée l'importance des observations de terrain par rapport aux études scientifiques. Or pas plus tard qu'hier, en commission des affaires sociales du Sénat, plusieurs collègues, en parlant de médecine et de la situation sanitaire, ont souligné qu'il faudrait que l'on sorte d'une dimension exclusivement scientifique et que l'on tienne compte des observations de terrain. Cette réflexion me semble fondée.
Dans un autre domaine, j'ai vu des reportages et connu des personnes qui « coupent le feu », c'est-à-dire qu'elles sont capables de soigner à distance de grands brûlés ; certaines travaillent avec les hôpitaux. Cette pratique est étonnante, mais fonctionne. Il existe bien un certain nombre de phénomènes que la science n'explique pas.
Il me semble enfin que ce sujet n'intéresse pas uniquement les agriculteurs. Ces phénomènes concernent les animaux d'élevage, mais aussi potentiellement d'autres animaux, notamment de compagnie.
Je souscris totalement à ces propos : il existe des phénomènes que la science n'explique pas, du moins pas encore, qui sont aujourd'hui classés dans la catégorie du paranormal ou du parascientifique et qui entreront peut-être, dans quelques décennies, dans le giron des phénomènes naturels. Ceci nous invite à une grande humilité.
Grâce à son excellent esprit de synthèse et son pragmatisme habituel, Philippe Bolo est parvenu à nous intéresser à ce sujet quelque peu orphelin, mais dont on parle beaucoup.
Je vous rejoins sur le constat que la science n'explique pas tout. C'est la raison pour laquelle je trouve très intéressant que, dans les préconisations, figure l'idée de développer un observatoire national pour inventorier, caractériser et documenter ces situations. Il est important de poser des repères. Peut-être trouvera-t-on dans l'avenir, à plus ou moins long terme, les réelles causes de ces phénomènes ; il sera alors possible de se référer à cette matière collectée pour avancer.
J'ai découvert dans ce rapport l'existence des géobiologues. Alors que je pensais que la sensibilité des animaux était bien plus robuste que la nôtre, il m'est apparu qu'ils présentaient finalement des fragilités que nous n'avons pas, accrues par le fait d'avoir des pattes non isolées dans un environnement humide.
Merci beaucoup pour ces remarques, que je vais pouvoir intégrer au rapport.
La notion de prévalence mérite effectivement d'être explicitée, notamment dans le cadre de la préconisation invitant à identifier précisément le nombre de cas existants.
Concernant le débat suisse, je pourrai vous faire parvenir les documents qui nous ont été adressés.
Etablir le lien avec la table ronde conduite par l'Office sur le thème de l'électrosensibilité me semble pertinent, en prenant toutefois la peine de souligner qu'elle était consacrée à l'électrosensibilité humaine.
La question des seuils a été abordée de façon récurrente lors de l'audition. Je partage tout à fait vos conclusions, Monsieur le président.
Nous insèrerons dans la mesure du possible des illustrations visant à éclairer le propos.
Il importe en effet de faire la part des choses entre des géobiologues qui sont par exemple employés aujourd'hui par la chambre régionale d'agriculture des Pays-de-Loire et interviennent sur le terrain pour essayer de comprendre ces phénomènes, et des charlatans se réclamant de cette discipline et profitant de la misère de certains agriculteurs confrontés à ces situations.
L'un d'entre vous a évoqué la nécessité d'une politique de prévention lors de la construction de nouveaux bâtiments : ceci figure dans les préconisations. Le préfet de Loire-Atlantique demande ainsi déjà que, pour toute installation d'éolienne, un géobiologue soit mobilisé en amont. L'idée serait d'extrapoler cette pratique et de proposer qu'un travail similaire soit effectué lorsque l'on envisage de créer de nouveaux bâtiments agricoles. En effet, le sujet apparaît aussi, souvent de manière amplifiée, lorsque les agriculteurs viennent greffer de nouveaux bâtiments, plus métalliques, électriques et électroniques, sur les anciens.
Recommander que l'INRAE se penche sur la question figure dans le rapport. J'y ajouterai quelques éléments sur les observations de terrain.
Ma remarque et celle de Catherine Procaccia se combinent : il faut insister sur l'importance d'une structure susceptible de jouer un rôle d'observatoire, de mise en contact avec les scientifiques, d'élaboration de protocoles. L'idée sous-jacente est que ces cas ne soient pas seulement considérés comme des problèmes à résoudre, mais aussi comme des sources de connaissance, d'information, de documentation sur le sujet.
C'est noté. Les observations d'Angèle Préville sont à mettre en lien avec le débat d'hier à l'Assemblée nationale consacré à la santé environnementale qui a soulevé de nombreuses questions, de la part de tous les bords politiques, sur la qualité de l'air, les perturbateurs endocriniens, et l'électrosensibilité. Dans les préconisations de mon rapport, j'indiquerai que ce sujet est à mettre en lien avec les problématiques de santé environnementale.
Il conviendrait de bien préciser dans le rapport le statut de Joe Wiart et de mentionner qu'il est titulaire d'une chaire sur ces sujets. Il peut également être de bon conseil sur l'élaboration du lexique et l'illustration des concepts scientifiques.
J'ai omis de préciser que figureront dans le document final non seulement une synthèse, qui à l'heure actuelle ne comporte aucune illustration, mais aussi en annexe toutes les diapositives et supports de présentation utilisés le jour de l'audition. Ainsi, les différents schémas présentés par Joe Wiart et par Laurent Delobel très utiles pour comprendre la problématique, seront accessibles dans le rapport et sur internet.
Cela correspond à la bonne habitude de l'Office de proposer non seulement des synthèses, mais aussi du verbatim ; les deux sont importants lorsque l'on souhaite se documenter sur un sujet.
J'ai été interpellé par la notion de résistance d'un animal. Quelle en est la signification ? En physique, on parle de la résistance d'un dispositif. Qu'en est-il en l'occurrence ? Il me semblerait nécessaire de préciser cela.
Il s'agit de la résistance électrique. Nous allons étayer l'explication afin que le propos soit plus compréhensible.
Mes autres observations sont mineures. Nous pourrons passer en revue ces détails une fois que l'ensemble des remarques qui viennent d'être formulées auront été prises en compte. J'ai vraiment le sentiment que nous sommes en phase, les uns et les autres, sur la direction dans laquelle il convient d'aller.
Permettez-moi de vous lire le commentaire que notre conseillère scientifique vient de nous faire parvenir : « La chargée des relations avec le Parlement de l'Inserm n'a pas encore pu répondre sur le point d'inclusion de sujets électrosensibles dans des cohortes ». Ceci fait écho aux propos exprimés par Yves Lévy, alors président de l'Inserm, qui nous avait expliqué lors de la table ronde sur l'électrohypersensibilité qu'il était convaincu de l'existence de ce phénomène, encore mal connu, plurifactoriel, et de l'importance de constituer des cohortes à ce sujet. Or ceci n'a vraisemblablement pas été mis en oeuvre. Notre conseillère poursuit en indiquant qu'« en revanche, l'équipe lyonnaise, dont les travaux, en partenariat avec une association de patients, ont été mentionnés à plusieurs reprises dans l'audition, a avancé. Le chercheur et son équipe ont commencé à travailler sur des hypothèses de recherche issues de la radiosensibilité et transposables à l'électrosensibilité. Ils se sont notamment demandé si la protéine ATM jouait un rôle ou non après exposition aux ondes. Cette étude est innovante dans le sens où elle est la première à employer des méthodes basées sur la culture de cellules humaines prélevées chez des sujets électrosensibles. Cette étude est une étude clinique dont l'Inserm est le promoteur. Après des retards administratifs et pratiques importants, les prélèvements ont débuté il y a un an et demi. Financée par l'ANSES à hauteur de 200 000 euros, elle a pour objectif de monter une cohorte d'une trentaine de patients. Elle en compte à ce jour 26. Des expériences ont déjà été effectuées sur les prélèvements obtenus et ont permis notamment de prouver que les cellules des sujets électrosensibles montraient un problème d'activité de la protéine ATM et des cassures spontanées au niveau de l'ADN. Un premier modèle d'explication mécanistique est en développement, mais le chercheur n'a pas souhaité communiquer avant l'obtention de toutes les données. Les premiers résultats devraient être publiés d'ici la fin de l'année ». Il est intéressant que ces travaux existent, même s'ils ne sont pas aussi amples que l'on pourrait le souhaiter.
Concernant la résistance, il est bien connu qu'un corps humide a une résistance plus faible qu'un corps sec. Il en va de même pour les animaux. Lorsque j'étais professeure, je faisais mesurer à mes élèves leur résistance électrique interne. Or il apparaissait que les élèves qui avaient les mains moites avaient une résistance plus faible que ceux dont les mains étaient sèches. Ce phénomène est connu. Les personnes ayant les mains moites sont plus sujettes à l'électrocution.
J'utilisais un ohmmètre qui permet de faire des mesures y compris sur le corps humain. Les résultats obtenus étaient très différents d'une personne à l'autre, notamment lorsque des élèves avaient les mains moites.
Dans le cas des animaux, ceci résulte d'un courant ou d'une différence de potentiel entre les pattes de l'animal. Est-ce bien cela ?
Absolument. Cela tient également au fait que les pattes sont humides : ceci compte beaucoup dans la variation de la résistance.
Je suggère enfin de proposer de petits lexiques, des notes de bas de page ou, dans la synthèse, des renvois vers la page correspondante du verbatim, afin de rendre le texte plus accessible et compréhensible.
Donnons-nous « quitus » à Philippe Bolo pour parachever ce travail dans la voie qu'il a indiquée ?
Je vous remercie.
L'Office adopte les conclusions présentées et autorise à l'unanimité la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu de l'audition publique du 18 février 2021 sur l'impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d'élevage.
Yvon Le Maho, membre de l'Académie des sciences, spécialiste de biodiversité et de zoologie, qui a été l'un des chercheurs moteurs des expériences conduites en milieu polaire, m'a alerté sur des échéances à venir, en juin, relatives aux traités qui gèrent les zones polaires et sur l'importance pour la France de maintenir un haut niveau d'engagement dans la recherche qui s'y rapporte.
Nous sommes tombés d'accord sur le fait qu'il serait intéressant que l'Office puisse organiser une audition publique en mai, pour faire un point de la situation et soutenir autant que de besoin les initiatives des chercheurs. Si vous en êtes d'accord, nous pourrions consacrer une matinée à la recherche menée aux pôles, que ce soit en matière de climatologie, de biologie, de géologie ou autre. Il s'agit d'un enjeu stratégique transversal.
J'y suis tout à fait favorable. S'ajoute à cela une autre échéance, puisque doivent se tenir à la fin de l'année le congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ainsi que la COP15 sur la biodiversité. Il y a donc là un sujet à faire monter et des enjeux extrêmement importants.
Je vais donc transmettre à l'ensemble des membres de l'OPECST un point d'information et un appel à candidatures, afin de trouver des rapporteurs pour cette table ronde, qui pourrait être programmée début mai.
Autre sujet : un débat s'est tenu hier à l'Assemblée nationale sur la stratégie relative au Covid, auquel ont assisté plusieurs membres de l'Office, dont Philippe Bolo. J'y ai présenté une communication de 5 minutes au nom de l'Office. Les échanges étaient quelque peu moroses, avec une vingtaine de députés présents dans l'hémicycle. Le débat a néanmoins été émaillé de quelques bons moments et échanges contradictoires, mais force est de constater que la discussion n'a pas vraiment décollé. Un article un peu à charge a d'ailleurs été publié à ce propos aujourd'hui dans Le Monde, qui qualifie ce débat de fiasco.
Au-delà de ce débat, il faut que l'Office poursuive son travail. Sa saisine, qui visait initialement la seule stratégie vaccinale, a d'ailleurs été élargie à l'ensemble des questions scientifiques et techniques relatives à l'épidémie de Covid-19. Nous avons procédé à d'intéressantes auditions, dont une récemment de l'ANSM sur la partie vaccinale. Quelques sujets semblent se dégager, qui demandent que nous y revenions. Il est ainsi apparu que les hésitations et les fausses notes constatées à propos du vaccin AstraZeneca n'étaient pas le résultat d'un dysfonctionnement de l'ANSM ou de la HAS : il semble que toutes les institutions aient joué leur rôle et appliqué les procédures comme elles le devaient. Le problème vient d'un dysfonctionnement de la communication publique, soit que le sujet ait été confus au niveau du gouvernement ou du président, soit que le comité vaccin d'Alain Fischer n'ait pas réussi à faire entendre sa voix.
Parmi les sujets dont nous avons repéré qu'ils nécessiteraient un investissement supplémentaire, figure le fait que Santé Publique France a l'air, y compris au plan pratique, en-dessous du niveau requis. L'audition de ses représentants s'est avérée très difficile à organiser et particulièrement pénible. Cet organisme est de création récente et peine visiblement à trouver sa place et sa voie.
Un autre volet d'interrogation concerne le retard de Sanofi et Pasteur. Il est encore tôt pour en juger, mais il n'est pas possible de se satisfaire de cette situation et de considérer que ceci fait partie des aléas de la recherche. Il faut que nous nous saisissions du sujet et que nous cherchions à savoir s'il y a matière à aller plus en profondeur.
Il existe certainement d'autres sujets sur lesquels il faudrait que nous nous penchions et qui seraient plus intéressants que de commenter le énième revirement sur les vaccinodromes ou autre actualité de ce type. Il faut que nous nous extrayions du débat dans l'urgence, souvent assez hystérique, sur la vaccination, et que nous nous concentrions sur les sujets de fond, qui renvoient à des enjeux stratégiques importants.
Je souhaitais avoir votre avis sur les thèmes qu'il vous semblerait opportun d'aborder dans ce cadre, sur les échéances et les configurations où l'Office pourrait en discuter. Pensez-vous par exemple qu'il faille leur consacrer une séance plénière ou limiter la réflexion au Bureau et aux rapporteurs de l'étude sur la stratégie vaccinale ?
Merci d'évoquer ce sujet. Je pense qu'il faudrait imaginer une réunion du Bureau avec les quatre rapporteurs et vérifier que le fait de retenir ce périmètre ne nous prive pas d'un collègue de l'Office assidu et présent.
Ceci devrait nous permettre de partager des interrogations rétrospectives sur la stratégie. Nous avons toujours une réflexion sur la stratégie prospective, mais je pense qu'il serait intéressant de vérifier entre nous si la stratégie européenne et française d'achat, à laquelle je souscris personnellement et que je perçois comme l'expression d'une force et d'une volonté, ne s'est pas trouvée bloquée prématurément par des problèmes qui n'étaient peut-être pas essentiels. La question des antivax est un aspect certain. Le fait de disposer de vaccins en à peine un an est une performance scientifique et industrielle qui m'épate complètement. Nous imaginions tous que ce serait beaucoup plus long. Le fait de sous-estimer la capacité des grands laboratoires à aller vite n'a-t-il pas constitué une erreur ? Ceci a conduit à adopter un rythme qui est aujourd'hui reproché aux pouvoirs publics, et ce alors que d'autres pays donnent l'exemple d'un choix totalement différent, avec un résultat spectaculaire. Je suis incapable de porter un jugement sur cette question, mais j'aimerais beaucoup que ceux qui ont travaillé sous l'autorité du président, les rapporteurs et tous les membres de l'Office qui s'intéressent aux questions de santé puissent échanger à ce propos, sans toutefois avoir l'objectif d'élaborer un rapport.
Ceci serait en effet prématuré et risquerait, dans la cacophonie ambiante qui affaiblit l'image scientifique, d'être mal interprété : n'y apportons pas notre contribution. En revanche, commençons à nous interroger et à réfléchir. Le vaccin est un bon résultat, sachant que les vaccins ne sont pas des solutions absolues. Tout le monde l'accepte pour les autres vaccins, mais l'exposition médiatique autour du coronavirus est tellement forte que la moindre erreur devient une affaire d'État, alors même que nous savons très bien que les vaccins traditionnels présentent des difficultés et des problèmes d'adaptation.
Je serais plutôt intéressée par la stratégie vaccinale à venir, sur laquelle on se penche relativement peu. La France est actuellement en train de gérer la pénurie de vaccins. Mais lorsque tous les vaccins vont arriver, lorsque nous disposerons de stocks suffisants, comment va-t-on procéder ? Je sais par exemple, pour en avoir discuté avec les représentants de l'Ordre des médecins de mon département, que les centres de vaccination qui ont été ouverts pendant le week-end ne disposaient pas de suffisamment de seringues. Pour ce qui est des médecins, infirmières et autres professionnels de santé qui peuvent venir vacciner, tout fonctionne par l'intermédiaire du réseau. Or nous n'en sommes qu'à une phase de gestion concernant peu de personnes. Comment allons-nous procéder pour vacciner les quelque 40 millions de Français qui ne le sont pas encore et devraient pouvoir l'être à partir du mois de mai ? Rien n'a été anticipé. L'ouverture de vaccinodromes est une chose ; mais les faire fonctionner suppose de disposer de personnels et de matériel. Comment passer d'une vaccination ciblée à une vaccination de masse ?
Quand saura-t-on par ailleurs s'il suffit de se faire vacciner deux fois ou s'il faudra recevoir une troisième injection à l'automne, à l'arrivée du froid, comme on le fait pour la grippe ? Je trouve que ces deux sujets ne sont pas suffisamment évoqués.
Thierry Breton est intervenu pour indiquer que nous n'avons pas besoin du vaccin russe. Les représentants de Sanofi, que nous avons auditionnés la semaine dernière, nous ont quant à eux annoncé un vaccin pour la fin de l'année. Tout ceci mérite d'être examiné. Il ne faudrait pas se retrouver, à l'entrée de l'hiver, face à une pénurie de vaccins faute d'avoir anticipé l'achat des doses nécessaires pour vacciner 60 millions de personnes.
Je partage tout à fait cette analyse : il faut avoir une vision prospective. Le lien entre les deux approches pourrait consister en une cartographie des capacités de production industrielle. Nous découvrons, au-delà des questions de logistique et de distribution, que la production est un système complexe : certains éléments sont produits en Europe et exportés, tandis que des productions américaines viennent en Europe. Il existe par ailleurs en Inde un institut du sérum apparemment tout à fait performant, qui est une entreprise privée. Nous n'avons pas réellement de vision industrielle globale dans ce domaine.
Je suis complètement d'accord. On voit se dégager, en vous écoutant, les sujets importants sur lesquels il faudra se concentrer.
Il existe tout d'abord un sujet européen. Trois grands pays, les États-Unis, Israël et le Royaume-Uni, devancent aujourd'hui tous les autres en matière de vaccination, chacun pour une raison particulière.
Ainsi, la Grande-Bretagne a joué très clairement une carte nationale avec AstraZeneca Oxford : dans le contrat passé entre le laboratoire de recherche d'Oxford et AstraZeneca, figurait de façon explicite une préférence nationale dans la mise à disposition du vaccin, ce qui n'avait pas été possible avec le laboratoire Merck, qui avait a priori la préférence des équipes d'Oxford. Ce vaccin national a ainsi été utilisé pour vacciner massivement la population britannique.
L'avantage des États-Unis tient au fait qu'ils ont investi très tôt eux-mêmes, par milliards, dans la R&D des vaccins et pris des commandes prévisionnelles bien avant que les mécanismes d'autorisation soient enclenchés. Ils ont fait un pari sur l'avenir, avec prise de participation. Ceci soulève des questions quant au modèle de financement. Nous l'avions évoqué dans notre rapport de décembre dernier et suggéré que l'Europe évolue vers le modèle de la BARDA américaine (Biomedical Advanced Research and Development Authority), avec un système de R&D industrielle en matière de santé bien plus proactif et poussé qu'il ne l'est actuellement. Les États-Unis considèrent ainsi que le succès de leur campagne de vaccination est la juste récompense de leur prise de risque.
La situation d'Israël est encore différente. Elle est le fruit d'un contrat très avantageux passé avec Pfizer BioNTech, dans lequel la préférence vaccinale a été monnayée contre la transmission des données personnelles de sa population, informations extrêmement précieuses pour les laboratoires, qui restent généralement confidentielles. Ceci n'est possible que parce que le rapport de confiance de la population israélienne à l'égard de la technologie et de l'innovation n'est pas du tout le même qu'en Europe continentale. Cette solution aurait été radicalement écartée au pays de la CNIL.
Au-delà de ces trois pays, si l'on compare l'Europe au reste du monde, on observe que son rythme de vaccination est deux fois supérieur au rythme mondial.
On ne peut dire si l'Europe vaccine trop lentement ou pas que si l'on s'accorde préalablement sur ce que l'on souhaite en termes d'égalité ou ce que l'on accepte comme inégalité face à la vaccination dans le monde. Par exemple, toute dose supplémentaire du vaccin Spoutnik utilisée en Europe sera une dose non disponible pour vacciner un habitant d'un pays qui, ailleurs dans le monde, n'a pour l'instant pas accès au vaccin. Jean-Louis Bourlanges a expliqué dans la presse qu'il s'agissait d'un jeu à somme nulle : si nous vaccinons plus vite, ceci signifie que d'autres, ailleurs, vaccineront moins vite. Cette vision peut tout à fait être envisagée. J'y souscris assez volontiers.
Cette approche peut toutefois être nuancée, considérant que si l'Europe avait passé plus tôt des commandes fermes et demandé aux laboratoires de se mettre en ordre de marche, d'investir, peut-être existerait-il aujourd'hui des capacités de production supérieures à celles actuellement observées.
Ceci renvoie à la question, soulevée par Gérard Longuet, de l'organisation de la production des vaccins, en lien avec la notion de souveraineté.
Un débat porte également sur les licences et la mise des droits en libre accès dans le monde, ce à quoi d'aucuns ont rétorqué que le vrai débat était ailleurs, dans la mesure où peu de laboratoires étaient capables de produire les vaccins. J'avoue ne pas avoir de position arrêtée sur le sujet. Il serait bien que nous puissions aborder la question de la propriété intellectuelle dans nos travaux à venir.
Évidemment, un laboratoire de production ne se mobilise pas en un mois s'il n'est pas prêt à effectuer les délicates transformations nécessitées par le vaccin. Il faut que nous travaillions ce point.
La construction européenne, la recherche européenne et la façon qu'à l'Europe d'investir dans la recherche sont un sujet d'intérêt. La production, en lien avec la souveraineté et la propriété intellectuelle en est un autre. Il est de notre devoir d'approfondir ces différents aspects, en pensant à l'avenir.
Je pense que les propos de Thierry Breton selon lesquels nous n'avions pas besoin du vaccin Spoutnik étaient malvenus et méprisants. Il ne faut pas dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau ». Le vaccin Spoutnik est actuellement en rolling review par l'Agence européenne du médicament : s'il obtient un avis positif, il n'y a aucune raison de le placer dans une catégorie distincte des autres vaccins disponibles.
Je vous rappelle la situation actuelle. Sont autorisés les vaccins à ARN Pfizer BioNTech et Moderna et les vaccins à vecteur viral AstraZeneca et Janssen. Il est intéressant de constater qu'aucun des quatre premiers vaccins autorisés n'est un vaccin classique. Trois autres vaccins sont en review : il s'agit du Spoutnik, du vaccin à ARN Curevac et du vaccin à protéine Novavax.
Le vaccin Novavax est produit par une entreprise basée à la fois à Nantes et en Écosse.
Je l'ignorais. Cela montre combien il est important de cartographier tout cela. Il est très difficile de se repérer, entre les associations, les consortiums, les filiales, etc. Cela est rendu plus difficile encore à appréhender avec les épisodes rocambolesques où l'on apprend l'existence de réserves de millions de doses de vaccin AstraZeneca produites en Italie, destinées à être exportées de l'Union européenne pour remplir les engagements britanniques.
Pourquoi la rolling review du vaccin Spoutnik intervient-elle plus tardivement que les autres ? Ceci résulte apparemment tout simplement du fait que les négociations entre la firme russe et les autorités européennes ont traîné en longueur. Il n'y a en tout cas aucune raison de discréditer a priori le vaccin russe.
Peut-être avez-vous vu que quelques pays européens avaient fait confiance aux vaccins russes ou chinois : il s'agit de la Serbie (pour le produit chinois), de la Hongrie et de la Slovaquie (pour le vaccin russe). Dans ce dernier cas, la situation a d'ailleurs provoqué une crise gouvernementale. Hors de l'Europe, le Chili a également misé sur les vaccins russe et chinois : le pays se trouve ainsi avec un fort taux de vaccination et représente un cas singulier en Amérique latine.
En définitive, je retiens l'idée d'organiser sur l'épidémie de Covid-19 une réunion du Bureau et des rapporteurs, ouverte à tout membre particulièrement intéressé par le sujet. Le contexte dans lequel nous pourrions approfondir la situation de Santé Publique France ne m'apparaît pas clairement. Nous avons un mandat concernant le système de recherche, mais a priori aucun mandat automatique concernant Santé Publique France. Il faudrait que nous soyons saisis de ce sujet pour pouvoir l'approfondir.
Il sera difficile de se faire saisir, dans la mesure où les commissions des affaires sociales des deux assemblées estiment que ceci relève de leurs compétences.
Concentrons-nous pour l'instant sur les autres questions, qui sont déjà extrêmement riches.
La réunion est close à 12 h 40.