Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 14 juin 2021 à 16h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Madame la ministre, la commission des finances a étudié seulement huit articles de ce projet de loi qui est arrivé au Sénat – nous l’avons déploré – comme un texte essentiellement programmatique, de sorte que dans sa rédaction actuelle il entraîne finalement peu de charges pour les finances publiques.

En outre, quand des charges sont à prévoir, elles restent malheureusement difficilement évaluables, comme suffit à le montrer l’article 60 bis qui vise à créer un chèque alimentaire. En effet, les échanges que nous avons pu avoir avec différents interlocuteurs laissent envisager que le coût d’un tel dispositif pourrait être très élevé et varier en fonction du périmètre d’application qui sera décidé.

L’article 60 bis est d’autant plus caractéristique de la nature du texte qu’il prévoit que la mise en œuvre de cette disposition devra s’accompagner du dépôt de deux rapports. Ce projet de loi affiche donc beaucoup de grandes idées, dont la réalisation concrète se fera sur le long terme.

Nous avons également déploré que l’étude d’impact se révèle souvent défaillante. Les conséquences socioéconomiques du texte, notamment, ne sont pas suffisamment appréhendées. Par exemple, nous avons pu lire, au sujet des différentes mesures qui concernent les interdictions de circulation des poids lourds ou des véhicules, qu’il n’était pas incertain qu’elles puissent avoir des effets sur le secteur de l’automobile !

Or les articles que la commission des finances a eu à examiner prévoient des mesures dont les répercussions concernent 400 000 emplois dans le secteur de la construction automobile, 400 000 emplois dans celui du transport routier de marchandises, et 320 000 emplois dans le domaine de l’aviation civile. On voit bien que ce texte engage notre économie sur le long terme.

De même, l’absence d’étude d’impact fouillée fait que les conséquences techniques des différentes dispositions ont été mal ou peu appréhendées. Par exemple, il ne sera pas possible d’interdire la circulation des camions à moteur thermique si nous ne disposons pas d’une offre alternative.

Or, aujourd’hui, pour les camions d’un poids total autorisé en charge supérieur à 3, 5 tonnes, il n’existe pas d’offre alternative suffisante. Celle-ci n’est pas non plus équivalente, puisqu’elle entraînera des transferts dans le plan de transport, liés à la nécessité de s’avitailler plus régulièrement. Dans la mesure où les bornes de recharge n’existent pas partout, il faudra construire le plan en fonction des endroits où l’on pourra s’avitailler.

L’offre alternative n’est pas non plus équivalente, parce que les capacités d’emport seront réduites, le réservoir d’hydrogène ou le moteur électrique empiétant sur le volume utile pour charger des marchandises.

Enfin, comme je le disais, la question de l’avitaillement est un point crucial, dans la mesure où les bornes font encore défaut. On dénombrait au 1er mai dernier 38 000 points de recharge pour les véhicules à hydrogène ou les véhicules électriques, alors même que l’ambition de la France était de disposer de 100 000 points au 1er janvier 2022. Nous en sommes très loin…

Telles sont les raisons pour lesquelles mes collègues, notamment Philippe Tabarot, et moi-même avons choisi d’accompagner la transition.

Madame la ministre, vous pourrez me dire qu’un certain nombre de dispositifs existent déjà. Cependant, si j’en crois un article publié, ce jour, dans un grand journal national, les citoyens ont le sentiment d’être laissés pour compte. Le phénomène risque de s’accentuer lorsqu’ils auront besoin d’entrer dans une zone à faibles émissions.

Certes, vous allez me dire que le Gouvernement a prévu dans son plan de relance, près de 1, 5 milliard d’euros pour accompagner le développement des avions verts ! Vous me direz aussi qu’il y a des bonus pour les camions ! Nous restons quand même très loin du compte.

Aujourd’hui, un camion à hydrogène représente un coût complet d’utilisation deux à trois fois plus élevé que n’importe quelle autre motorisation. Les seules offres alternatives, à peu près équilibrées quant à leur durée de vie, aux camions à moteur thermique sont les motorisations au bioéthanol. Nous sommes donc loin du compte, et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’accompagner cette transition.

Philippe Tabarot a déjà énoncé un certain nombre des mesures que nous défendons, et qui consistent notamment à compléter les prêts à taux zéro, à prolonger le dispositif de suramortissement, à mettre en place une trajectoire de diminution de l’exonération partielle de TICPE, uniquement si des moyens de substitution sont mis en place, c’est-à-dire à la fois une offre de camions et un nombre de points d’avitaillement suffisant pour qu’il soit possible de livrer des marchandises en tout point du territoire national, et pas uniquement le long des axes autoroutiers.

Dans le secteur agricole, nous avons décidé de mettre en place un plan « Éco’Azote » qui aidera nos agriculteurs à accomplir la transition.

Enfin, la commission des finances s’est prononcée sur le besoin impératif d’engager une discussion avec nos partenaires européens, car de nombreux sujets nécessitent une convergence en matière de fiscalité. Nous ne pouvons pas agir seuls.

Par exemple, le taux de fiscalité sur les carburants que nous appliquons en France est au-dessus de la moyenne européenne. Parmi les pays qui nous entourent, seule l’Allemagne a une fiscalité plus « désavantageuse » pour les transporteurs que la nôtre, si je puis le dire en ces termes. Les transporteurs installés près d’une frontière iront donc acheter leur essence de l’autre côté, sans que rien les empêche ensuite de rouler sur le territoire national.

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