Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 14 juin 2021 à 16h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a deux mois, le vignoble français était frappé par le gel, entraînant la destruction de la majorité des bourgeons. Si ce coup de froid, assez fréquent au mois d’avril, a été aussi catastrophique, c’est parce qu’il avait fait particulièrement chaud au mois de mars et que les bourgeons étaient anormalement avancés. De plus, si le vignoble est aujourd’hui aussi fragilisé économiquement, notamment dans mon département de Loire-Atlantique, c’est aussi du fait de la sécheresse de l’été dernier, qui, durant les trois semaines précédant les vendanges, avait déjà durement affecté et desséché les grains.

Cet exemple concret, parmi tant d’autres, témoigne de l’impact réel du réchauffement climatique. Il n’y a plus débat sur le fait, établi par consensus scientifique, de la responsabilité humaine dans cette situation.

Nous avons ainsi enregistré une augmentation des températures de 1, 1 degré depuis les temps préindustriels, et cette hausse s’accélère dans un monde qui n’a jamais autant brûlé de charbon ou de pétrole et, donc, émis autant de CO2 et autres gaz à effet de serre. Une augmentation de 1, 1 degré, cela suffit pour menacer l’avenir de toute l’activité viticole française, au point de voir de grandes maisons de champagne acheter des terres en Écosse ; mais c’est aussi, à l’échelle mondiale, une sécheresse terrible en Californie et des températures record enregistrées au Mexique ou en Iran.

Dira-t-on jamais assez – Al Gore l’explique très bien dans ses conférences – que, parmi les soubassements de la crise syrienne, il y a ces sécheresses à répétition qui ont chassé les paysans de leurs terres et contribué à la déstabilisation du pays ? La crise climatique entre toujours en résonance avec d’autres crises et tensions – on le voit aussi, par exemple, avec Boko Haram autour du lac Tchad. Et nous ne sommes qu’à 1, 1 degré…

L’horizon de la neutralité carbone en 2050 ne peut suffire. Tout se jouera dans les prochaines années. Si nous ne réduisons pas rapidement nos émissions mondiales de l’ordre de 50 % d’ici à 2030, alors nous vivrons, au XXIe siècle, avec des températures en hausse de 3 ou 4 degrés, ce qui apparaît totalement incompatible avec l’autonomie alimentaire mondiale et le maintien de centaines de millions d’habitants de cette planète sur leurs territoires ancestraux.

Ce n’est pas être catastrophiste, mais lucide, que de rappeler que, sans une réponse résolue et rapide de la communauté mondiale, notre monde sera demain, du fait du réchauffement climatique, en situation d’affrontements multiples, pour ne pas dire généralisés. Face à ce risque connu et admis – le G7 l’a encore réaffirmé ce week-end –, il faut une réponse mondiale. Celle-ci est coordonnée, aujourd’hui, dans le complexe et fragile accord de Paris, qui fut un vrai succès de la diplomatie française.

L’accord de Paris repose sur un principe simple : chacun doit faire sa part et, surtout, à la suite de l’échec de la négociation de Copenhague en 2019 – j’y étais –, chacun s’engage à atteindre l’objectif qu’il s’est volontairement fixé. Les États se réunissent tous les cinq ans pour vérifier qu’ils ont atteint l’objectif précédent et proposer des engagements plus ambitieux. Ainsi, par cycle de cinq ans, nous avançons vers l’objectif que s’est fixé le monde à Paris en 2015 : stabiliser l’augmentation sous les 2 degrés, au plus près de 1, 5 degré.

Nous sommes donc réunis au Sénat pour répondre à cette question, finalement très simple : la France s’organise-t-elle pour décliner et crédibiliser le nouvel objectif européen d’une baisse de 55 %, qui sera présenté à la COP de Glasgow et qu’elle a soutenu dans les sommets européens ? C’est là que le bât blesse, car la réponse est non.

Les différentes estimations qui ont été faites sur ce projet de loi, notamment par le Haut Conseil pour le climat ou par le Boston Consulting Group, montrent que les mesures que vous proposez, madame la ministre, ne nous permettront d’atteindre qu’une réduction de 30 % à 35 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030, bien loin de l’objectif européen. Nous avons donc quinze jours pour changer en profondeur ce projet de loi et montrer au monde que la France est aujourd’hui un pays moteur de l’accord de Paris.

Le groupe écologiste a tracé la voie avec sa vraie loi Climat, qui montre que la France peut réussir à réduire de 55 % ses émissions d’ici à 2030 par des mesures finalement assez simples : obligation de rénovation thermique, sortie accélérée de la mobilité thermique fossile, réduction drastique de l’utilisation d’engrais azotés et augmentation de nos puits de carbone, en lien avec la reconquête de la biodiversité. Surtout, nous défendons une vision de cet effort collectif qui en fasse aussi un outil de solidarité et de redistribution. C’est la clé de la nécessaire adhésion collective à cette transition.

Nos deux semaines de débat seront donc l’occasion de discuter de ces mesures ambitieuses, mais en rien inaccessibles. Pour cette vraie loi Climat, nous nous sommes évidemment inspirés de la Convention citoyenne pour le climat, ces 150 citoyens tirés au sort que le Gouvernement avait mandatés pour définir des mesures, en trouvant des consensus ou des points d’équilibre au sein de la société française, permettant d’atteindre – c’était l’objectif de l’époque – une baisse de 40 % en 2030.

Ce processus démocratique novateur, précisément conçu pour créer des consensus et s’assurer de l’adhésion de la société, avait suscité beaucoup d’intérêt et aussi – nous venons de nouveau de l’entendre – quelques craintes au Sénat. Malheureusement, promesse n’a pas été tenue. Il s’agit – disons le mot – d’une forme de parjure par rapport à l’engagement du Président de la République de reprendre « sans filtre » les propositions de ce travail inédit. Il en résulte un affaiblissement dangereux de la parole politique et le sentiment que la France renâcle devant l’effort à accomplir pour assumer sa part de la responsabilité mondiale.

Nous avons donc quinze jours, je le redis, pour montrer notre sens des responsabilités, pour montrer aux grands émetteurs mondiaux – la Chine, les États-Unis, l’Inde – que la France fait sa part et que nous sommes, de ce fait, en droit de réclamer, notamment dans le cadre d’échanges économiques mondiaux régulés, qu’ils assument aussi leur part de l’effort. C’est tout l’enjeu de ce texte. Le groupe écologiste sera donc totalement mobilisé pour que sorte du Sénat un projet de loi enfin à la hauteur de l’enjeu, qui est tout simplement l’avenir même de l’humanité.

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