Madame la ministre, le groupe Union Centriste est globalement d’accord avec les grands objectifs de votre projet de loi. Nous vous trouvons courageuse et pugnace dans cette vaste entreprise de vous attaquer, à juste titre, au mur solidifié par le temps d’un certain nombre d’habitudes et de comportements, dont on mesure dorénavant, au vrai sens du terme, combien ils sont inadaptés et néfastes pour notre environnement. Mais – car il y a un « mais » – être d’accord sur les objectifs ne signifie pas approuver les moyens employés pour les atteindre.
Nous siégeons dans un hémicycle parlementaire national qui légifère sur des textes concernant 67 millions de personnes, alors que notre belle planète – nous partageons tous l’envie de la rendre plus belle et plus vivable – est peuplée par près de 8 milliards de Terriens… Nous légiférons donc sur le comportement de 0, 8 % de la population mondiale, alors que nos débats ont pour objet des pollutions d’ampleur internationale qui circulent – c’est le cas de le dire –, au gré du vent, par-delà les frontières.
Cette lapalissade vise à ne pas perdre de vue qu’un comportement national vertueux, dans un pays aussi beau et regardé soit-il, n’aura que peu d’effets concrets face à l’évolution du réchauffement climatique mondial et à ses dramatiques conséquences sur la biodiversité. Mais, me rétorquerez-vous, et vous aurez raison, ce n’est pas parce que les autres feignent d’ignorer leurs responsabilités individuelles que nous pouvons nous exonérer des nôtres. Même si j’apprécie la métaphore du colibri de Pierre Rabhi, je pense néanmoins, en l’occurrence, que donner l’exemple ne suffira pas.
Une fois de plus, j’entends bien le rôle moteur et déclencheur que vous souhaitez voir jouer par notre pays ; c’est en cela que je trouve votre démarche audacieuse et courageuse. « Chacun rêve de changer l’humanité, mais personne ne pense à se changer lui-même », disait Léon Tolstoï… Néanmoins, ne balayons pas d’un revers de main les éventuels impacts économiques que peuvent avoir de sages et légitimes décisions, prises de façon solitaire dans un univers économique impitoyablement concurrentiel.
L’équation n’est donc pas simple : comment agir localement pour être en adéquation avec ses convictions et contribuer à donner l’impulsion aux autres, sans pour autant se sacrifier corps et âme, notamment sur le plan économique ?
À l’occasion de cette discussion générale, il me paraissait nécessaire de resituer le contexte global des débats que nous allons avoir, en rappelant qu’avoir raison tout seul est loin de nous garantir une place au paradis… Je vais essayer de traduire de façon plus précise mes propos.
En 2020, 34 milliards de tonnes de CO2 ont été émises dans le monde. Cela représente une baisse historique de 2, 4 milliards de tonnes par rapport à 2019. Malheureusement, cette chute est liée non pas à la qualité des décisions législatives des 195 pays de notre petite planète, mais bel et bien à une situation pandémique conjoncturelle durant laquelle, cloîtrés à domicile, nous avons assisté à une baisse de 3, 4 % du PIB mondial – du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale !
Cette corrélation éclatante entre les analyses environnementales et économiques apporte d’ailleurs de l’eau au moulin, si j’ose dire, des partisans de la décroissance. Nous ne pouvons pas l’ignorer, même si nous sommes nombreux sur ces travées à partager le souhait d’une croissance différente, d’une croissance revisitée, d’une croissance responsable, d’une croissance intelligente, d’une croissance soucieuse de l’avenir… Mais d’une croissance quand même ! En d’autres termes, nous préférons un développement qualitatif partagé à une course égoïstement effrénée à la croissance quantitative.
Comme au siècle des Lumières, lors duquel la France a joué un rôle moteur pour dépasser l’obscurantisme et promouvoir la connaissance, l’idée qu’elle soit aujourd’hui un guide mondial sur le chemin vertueux du progrès responsable paraît assez séduisante. Cela répond à l’appel à la cohérence de Michel de Montaigne, qui prônait une harmonie entre le « dire » et le « faire ».
Mais tout de même, madame la ministre, comment ne pas regretter que ce ne soit pas nos institutions internationales qui prennent le lead devant de tels enjeux planétaires ? Comment raisonnablement tenter de résoudre localement un problème planétaire ? Sans aller jusqu’à la gouvernance mondiale, il est vraiment regrettable que nous n’ayons pas a minima une approche partagée et décisionnelle à l’échelle de l’Union européenne. Cela aurait eu plus d’allure, et l’effet d’entraînement aurait été nettement plus contagieux. Mais là, rien !
Notre vieux continent est aux abonnés absents. Il ne peut pas déclencher de dynamique sur le sujet, puisqu’il n’est ni exemplaire, ni cohérent, ni volontaire, ni solidaire. Il faut donc encore et toujours remettre l’ouvrage sur le métier européen. C’est pour cela que je remercie les présidents Longeot et Marseille d’avoir rappelé, par le biais d’un amendement tendant à insérer un article additionnel avant le titre Ier A, l’adhésion déterminée de la France au cadre climatique multilatéral qu’elle a, plus que n’importe quel autre pays, contribué à établir.
Je veux prendre un seul exemple, lourd de sens. Notre voisin et meilleur allié européen, l’Allemagne, qui émet à elle seule un quart des émissions de CO2 de l’Union européenne, a sur son territoire une quarantaine de centrales à charbon. Or je vous l’ai dit lors d’un échange en commission, et j’avais d’ailleurs initialement du mal à le croire, une seule centrale à charbon allemande émet plus de CO2 que tout le trafic domestique et international de l’aviation française. Tout est dit !
Une fois de plus, il est louable de dénoncer combien il est stupide de maintenir trois ou quatre lignes aériennes quand on peut effectuer le même parcours aussi vite en train, sans formalités de contrôle chronophages, sans dépenses onéreuses de parking et en étant écologiquement responsable. Sauf que ces lignes ne représentent qu’un pourcentage infime de la totalité du transport aérien, qui lui-même n’est responsable que de 0, 8 % des émissions totales de gaz à effet de serre… Devant cette décision aux conséquences environnementales epsilonesques, mais qui génère des crispations pour des raisons plus légitimes que vous ne l’imaginez – nous en reparlerons lors de l’examen de l’article 36 –, on est en droit de se demander si, en définitive, elle ne relève pas du registre des décisions cosmétiques.
Madame la ministre, je souhaitais, à l’occasion de cette discussion générale, vous alerter sur les risques que nous prendrions à être les pionniers de décisions légitimes mais solitaires. Le groupe Union Centriste abordera ce texte de façon constructive, tout en regrettant, j’y insiste, l’absence de coordination européenne sur ces grands sujets environnementaux.