Le 6 mai 2021, le Premier ministre m'a assigné trois objectifs : assurer un approvisionnement de vaccins suffisant pour la population britannique ; faire en sorte que ces vaccins soient distribués internationalement ; mettre en oeuvre un plan capable de préparer le Royaume-Uni à une éventuelle prochaine épidémie.
Les deux premiers mois, nous avons constitué une équipe aux missions élargies, chargée à la fois de la détermination des vaccins à acquérir et de leur distribution, mais aussi de l'organisation des essais cliniques et la constitution d'un registre de volontaires pour ces essais. Très tôt, nous avons construit notre stratégie et déterminé nos priorités. Nous nous sommes également assez vite accordés sur le fait que le gouvernement aurait à prendre des décisions rapides, en dehors du processus habituel. De même, nous avons écrit des lettres d'intention, afin d'activer rapidement nos relations avec les usines de production. Le Department of Health and Social Care (DHSC), l'équivalent de notre ministère de la santé et des affaires sociales, a également été notre partenaire privilégié pour le déploiement de ce plan.
Au cours des mois de juillet et d'août, nous avons procédé à la due diligence et nous avons défini un cadre pour attirer les entreprises au Royaume-Uni, à la fois pour le déploiement et la fabrication des vaccins, mais aussi pour les essais cliniques et les tests standardisés. De septembre à décembre, nous sommes passés à la phase d'exécution. Il s'agissait de signer les contrats et d'arrêter les bases légales définitives, de déployer les essais cliniques, mais également de venir en appui de toutes les étapes de mise à l'échelle et de déploiement. Nous devions également veiller à obtenir toutes les autorisations nécessaires à celui-ci.
Les membres du comité de pilotage de la cellule « vaccins » étaient tous des spécialistes dans leurs propres domaines. En tant que présidente, j'ai été placée sous l'autorité du Premier ministre et du ministère des affaires, de l'énergie et des stratégies industrielles - Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS) -, et non pas du ministère de la santé. La moitié de l'équipe était constituée d'experts issus de l'industrie, l'autre moitié d'experts issus du gouvernement.
Nos missions se sont articulées autour de plusieurs axes. Tout d'abord, nous étions chargés du tri et de la sélection des vaccins, sous la responsabilité de M. Clive Dix, un entrepreneur de la biotechnologie très expérimenté. Une équipe venait également en appui de M. Clive Dix sur la partie due diligence, qui incluait les aspects réglementaires. La deuxième sous-cellule travaillait quant à elle en relation avec les laboratoires pharmaceutiques pour comprendre leurs besoins et les aider à recruter des citoyens britanniques pour leurs essais cliniques. La troisième sous-cellule était chargée des contrats pour la fabrication et l'approvisionnement. Ces trois premiers secteurs constituaient en réalité les plus cruciaux de la stratégie vaccinale. En outre, une personne expérimentée était chargée du déploiement du vaccin, et un autre sous-groupe était responsable de la coopération internationale. Enfin, le président de l'association professionnelle pour la bio-industrie était chargé des aspects industriels. Nous avions donc, pour chaque secteur, des professionnels de premier rang. Pour la prise de décision, le comité ministériel d'investissement - Ministerial Investment Panel - était présidé par le secrétaire d'État aux entreprises et assisté par un certain nombre de personnes issues du gouvernement. Si nous n'avions pas d'autorité en termes de financement, nous leur fournissions toutefois des recommandations, comme nous l'aurions fait dans le cadre du capital-risque. L'idée était d'avoir des documents juridiques opérationnels pour la phase d'exécution. Un program board a également été constitué, au titre de la supervision gouvernementale et interministérielle. Enfin, le comité consultatif externe - External Advisory Board -, a été présidé par Sir Patrick Vallance, conseiller médical en chef du Premier ministre. L'idée était de trouver pour ce comité une caisse de résonance experte. J'insiste également sur le fait que tout projet situé en deçà de 150 millions de livres était envoyé directement au BEIS. Ainsi, nous avons pu constater une vaste implication à tous niveaux, allant du cabinet aux différents ministères précités.
Concernant le portefeuille de vaccins, il faut souligner que beaucoup de tentatives de développement échouent. Selon les experts, la probabilité qu'un vaccin réponde aux impératifs d'efficacité et de sûreté était de 15 %. Nous nous sommes donc d'abord attelés aux vaccins les plus avancés dans leur développement. En l'espèce, les vaccins à base d'adénovirus semblaient plus sûrs en termes d'essais cliniques. Les vaccins à base d'ARN messager semblaient quant à eux moins sûrs, mais plus avancés. Si ces deux premiers formats échouaient, nous avions des solutions de repli avec des vaccins à base d'adjuvants de protéine, des vaccins sur base de virus inactivés, et des vaccins à base d'anticorps neutralisants. Dès le départ, nous avons dépensé 900 millions de livres, sans savoir si l'un de ces vaccins allait se concrétiser, et 3,7 milliards de livres pour acquérir 357 millions de doses en 2020, au moment où j'ai quitté la task force.
L'élément déterminant pour le passage à la fabrication de masse a été d'identifier toutes les entreprises en capacité potentielle de fabriquer ces vaccins, et de fournir à celles-ci un financement leur permettant d'accroître leur capacité de fabrication. Oxford/AstraZeneca a été un fournisseur majeur, avec un site de production très important. Wockhardt et Symbiosis se sont occupés des étapes de finition, comme l'enflaconnage. Nous avons conclu un contrat de dix-neuf mois avec Wockhardt, qui leur a à la fois permis de développer leur capacité pour la finition des vaccins, mais aussi de recevoir des vaccins étrangers en vrac pour un enflaconnage au Royaume-Uni. L'entreprise Valneva, basée en France, dispose d'un site en Écosse. Des crédits lui ont été accordés pour la construction d'un deuxième site, avec l'idée de pouvoir fournir des doses supplémentaires pour un export à l'étranger. Nous avons également travaillé avec Novavax, avec une entreprise de vaccins vétérinaires, et enfin avec l'entreprise Catapult pour le vaccin CureVac.
En contrepartie de l'effort qu'elles allaient déployer, il fallait également permettre aux entreprises de disposer d'un registre de patients volontaires pour les essais cliniques. Le registre citoyen a donc été lancé avec le National Health Service (NHS), ce qui a permis un recrutement extrêmement rapide des volontaires. En tout, 500 000 personnes se sont portées volontaires, dont un tiers avaient plus de 60 ans. En effet, il apparaissait absolument nécessaire d'effectuer des essais sur les personnes présentant le risque de développer des formes graves. Nous avons également veillé à recenser suffisamment de personnes issues des minorités ethniques, mais également des personnes souffrant de comorbidités. Par ailleurs, nous avons financé des études permettant de tester des vaccins de nouvelle génération et des traitements sur des personnes saines. Enfin, nous avons considérablement développé notre capacité à évaluer et tester les données en immunologie par le biais de tests standardisés, mis en place par le groupe Porton Down PHE, financé par le gouvernement, mais aussi l'entreprise privée Oxford Immunotec.
La clé de réussite de cette cellule « vaccins » a d'abord été cet état d'esprit propre au capital-risque. En effet, nous avons l'habitude de la prise de risque, et nous savons gérer celle-ci par le biais d'une approche de portefeuille. Nous savons prioriser ce qui a les meilleures chances de réussir. De plus, l'aval du gouvernement a été essentiel à notre rapidité. Ensuite, nous avons bénéficié d'un mandat très clair de la part du Premier ministre, qui nous a permis de nous affranchir des différents niveaux hiérarchiques de la décision. Nous avons également été mis en contact avec des experts au sein du gouvernement, ce qui nous a permis, avec l'industrie, de bénéficier de deux sources d'expertise conjointes. De la même manière, nous avons pu tirer parti d'une gouvernance considérablement rationalisée. En outre, nous avons pu profiter des investissements du gouvernement dans la recherche industrielle et universitaire, qui nous a fourni une base très dynamique pour le développement des vaccins. Enfin, nous avons collaboré pleinement avec l'agence britannique du médicament, la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA), qui a réécrit les termes d'engagement par le biais d'examens au fil de l'eau. J'ai moi-même beaucoup écrit sur ce que nous avons réalisé : outre des publications dans des revues telles que Nature et Lancet, j'ai réalisé un rapport complet sur nos accomplissements au sein de la task force.