Intervention de Luc Broussy

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 juin 2021 à 16h35
Audition de M. Luc Broussy auteur du rapport sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement

Luc Broussy :

Je veux d'abord rendre hommage au rapport de Michelle Meunier et Bernard Bonne, qui est remarquable - et je ne dis pas cela uniquement parce que les rapports sénatoriaux sont souvent les plus consistants, ni parce que nous convergeons sur de nombreux sujets...

S'agissant de l'accueil familial : oui ! Maintenant, il n'y a plus qu'à... Je n'en ai guère parlé car je ne souhaitais pas redire ce qui avait déjà été dit. J'avais naguère un peu de mal à me faire une opinion sur l'accueil familial, en raison de certains dérapages, ou de la difficulté du contrôle. Mais la professionnalisation de cette pratique, grâce à des structures intermédiaires qui salarient les intervenants, permet désormais de sécuriser les solutions apportées aux familles. Les propositions récentes devront en effet figurer dans la loi - si loi il y a.

Avec Sébastien Podevyn, secrétaire général de la filière silver éco, qui m'accompagne, nous réalisons en ce moment un tour des régions. La région est la bonne instance pour le développement économique de cette filière. La silver économie, c'est toute une série d'entreprises qui oeuvrent, par exemple, pour le repérage des fragilités - je songe en particulier à La Poste, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un autre excellent rapport du Sénat, dont je me suis beaucoup servi.

Je diverge toutefois de l'analyse du rapport Bonne-Meunier sur l'Ehpad. L'interruption des créations de places, qu'il préconise à court terme, a en quelque sorte déjà eu lieu ces dernières années, en raison de la situation démographique et de l'équilibre à peu près atteint entre l'offre et la demande. Or ce ne sera plus le cas en 2030 ! Et le système actuel ne sera pas capable d'organiser le maintien à domicile dans les volumes que l'on anticipe, et il faudra donc des Ehpad.

Monsieur Milon, vous faites référence au rapport que j'ai réalisé avec Jérôme Guedj sur l'Ehpad du futur. Il est distinct, et nullement contradictoire, avec le présent rapport. Nous y montrons que l'Ehpad devra se réinventer, en termes d'architecture, d'espace personnel, d'usages. Dans la situation démographique où nous nous trouvons, nous pouvons soit ne rien faire et voir toujours dans l'Ehpad le lieu du long séjour des dernières années de la vie, ou le réinventer et l'ouvrir sur l'extérieur. Je milite pour ma part pour l'Ehpad-plateforme, et nous avons d'ailleurs fait une proposition de rédaction d'un nouvel article du code de l'action sociale et des familles pour aller dans ce sens. Songez que près de 70 % des personnes ont un Ehpad à moins de cinq kilomètres de chez eux : ni les bureaux de poste, ni les hôpitaux, ne maillent le territoire avec une telle finesse ! Que n'utilise-t-on ces 7000 établissements comme une ressource, notamment dans les déserts médicaux - sous réserve, sans doute, de développer la télémédecine !

L'Ehpad, loin de se replier sur lui-même et de disparaître, doit être une plateforme qui s'occupe non seulement de ses 80 résidents mais aussi, en « in » et en « out », d'un territoire donné. Une personne âgée est chez elle et a besoin qu'on vienne la voir ? L'Ehpad pourrait organiser la visite à domicile. Si une personne a besoin d'une visite gériatrique, elle pourrait venir consulter le médecin de l'Ehpad... C'est cela qui doit être l'avenir de l'Ehpad. Tous les établissements ne seront sans doute pas volontaires, mais il faut en donner les moyens à tous ceux qui veulent le faire. Cela nécessite de casser le modèle actuel d'autorisation et de financement pour aller vers un régime d'autorisation globale : on n'aurait plus une autorisation de places mais une autorisation populationnelle. On contractualiserait avec un opérateur qui saurait comment prendre en charge la population. On ne fera pas un Ehpad-plateforme avec la législation actuelle. A défaut de loi « grand âge », il y a le PLFSS : maintenant qu'il y a une cinquième branche, le législateur a une plus grande marge de manoeuvre pour y intégrer des articles en ce sens.

Dans la dernière version de l'avant-projet de loi, la tendance serait de considérer qu'il n'y a plus, d'une part, des services de soins et, d'autre part, des services d'aide, mais des services d'aide et de soins. Les services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) n'ont pas marché. Il faut que le tout soit géré plutôt par les départements, au moins par délégation pour la partie soins. À l'évidence, il faut non seulement décloisonner établissements et services d'aide, mais aussi, à l'intérieur des services d'aide, décloisonner aide et soins.

Sur l'article 36 de la loi « 4D » ou « 3DS », nous sommes plutôt d'accord pour dire que l'adaptation du logement ne doit pas relever du département mais rester dans l'orbite du ministère du logement. Le guichet unique doit s'organiser autour des réseaux de la CNAV et de l'ANAH. Autant j'étais favorable au schéma départemental de la transition démographique, autant j'estime contre-productif de faire des départements les opérateurs de l'adaptation du logement, car de nombreux départements ne s'en occupent pas du tout. Je suis donc contre l'article tel qu'il est rédigé aujourd'hui. J'ai d'ailleurs l'impression que ses propres promoteurs sont contre ! Le ministère du logement semble être sur la même longueur d'ondes que moi.

Concernant la simplification des aides au logement, mon rapport montre qu'il existe les aides de la CNAV, celles de l'ANAH, celles d'Action Logement, celles des départements, toutes ces portes d'entrée ayant des conditions différentes : il faut unifier et harmoniser tout cela.

Je n'aborde pas la question de la prévention en Ehpad. C'est un problème de tarification qui est hors du champ du rapport.

Le numérique ne prend peut-être pas dans le rapport toute la place qui lui revient. Demain, aucune adaptation du logement ne pourra se faire sans penser numérique et domotique. Avec les ministres Bourguignon et Wargon, nous avons rendu visite à Dijon à une bénéficiaire de logement adapté qui a indiqué qu'elle aurait plutôt besoin d'équipements de domotique : il faut écouter les besoins des personnes, changer les baignoires en douches n'est pas l'alpha et l'oméga de l'adaptation ! Il est temps d'abandonner l'idée que les personnes âgées sont déconnectées. Dans quelques années, on ne parlera même plus de l'illectronisme. Mon père, à 84 ans, est sur les réseaux sociaux...

Vous avez parlé de la conférence des financeurs et de la mobilisation de 12 millions d'euros. Je vous invite à avoir un regard acéré à ce sujet. Dans le cadre du plan de relance, 600 millions d'euros ont été affectés à un plan numérique pour les établissements et services médico-sociaux (ESMS). Je n'ai pas compris à quoi cela servait. Les fonds sont alloués aux ARS qui lancent des appels à projets locaux. Comme souvent, on n'a pas fixé d'objectifs : refondre les systèmes d'information, numériser les services... ? Faute de vision d'ensemble, cette somme risque de ne financer que des opérations particulières.

On délègue 150 millions d'euros par an à la conférence des financeurs, sans savoir ce qu'elle en fait. Avant de distribuer de l'argent, il faut des objectifs. Par exemple, je propose de fixer pour l'an prochain une règle : 20 % des dotations affectées à la conférence des financeurs seraient affectées à la domotique. On pourrait ainsi financer des programmes nationaux. Par ailleurs, on n'est pas arrivé à rassembler tous les financeurs autour de la table.

Ce type d'actions peut être mené dans les départements mais, on le voit, les appels à projets sont morcelés. Cela ne permet pas aux start-up répondant à ces appels à projets de grandir.

Il est vrai que nous manquons d'ergothérapeutes. On est passé de 8 000 à 13 000 depuis 2013, mais cela reste 5 à 10 fois moins qu'au Danemark, en Suède, voire en Belgique. L'État doit considérer la formation d'ergothérapeutes comme une priorité car c'est un métier de prévention qui est utile et une autre façon d'aborder la vieillesse.

J'attire votre attention sur la situation de la Martinique et de la Guadeloupe. La Martinique est aujourd'hui le 74e département le plus âgé de France - donc l'un des plus jeunes -, la Guadeloupe est 84e, la Creuse étant première. En 2050, la Martinique sera le département le plus âgé de France devant la Creuse, la Guadeloupe sera 6e. On n'a jamais vu des territoires vieillir aussi rapidement et à ce point-là. Je passe sur les autres handicaps que peuvent avoir la Martinique et la Guadeloupe. Je prône un « plan 2050 » pour ces territoires, où la silver économie peut être une solution.

Je ne sais pas s'il y aura un projet de loi « grand âge ». Je sais cependant qu'en ce moment, le ministère mène des concertations dans cette optique. Si ce texte est présenté un jour, il faut qu'il se fixe comme horizon 2030 sur l'Ehpad du futur, la tarification à domicile ainsi que toutes les questions que j'aborde dans mon rapport. Or, il n'est pas naturel pour le ministère chargé de l'autonomie d'intégrer tous ces éléments. S'il est saisi de ce projet de loi, le Parlement devra tenir compte de son caractère interministériel et entendre les ministères du logement et de la cohésion des territoires.

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