Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi M. Luc Broussy, directeur de l'executive master de « Politiques du vieillissement et silver économie » à Sciences Po Paris, pour la présentation à la commission de son rapport sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Alors que nous célébrerons bientôt l'anniversaire de la création d'une branche autonomie qui n'a toujours pas de traduction concrète et que le projet de loi Grand âge est en train de se muer en arlésienne législative, c'est bien volontiers que j'ai donné suite à la demande de notre collègue Michelle Meunier de procéder à cette audition.
Si la perspective d'un projet de loi s'éloigne, les enjeux du vieillissement sont toujours devant nous à un horizon qui lui, se rapproche, au cours de la décennie à venir.
Dans un rapport récent, nos collègues Bernard Bonne et Michelle Meunier ont plaidé pour un véritable changement de modèle dans l'accompagnement des personnes âgées pour donner véritablement corps au « virage domiciliaire ». L'adaptation de l'habitat est un enjeu crucial afin de permettre au plus grand nombre de vieillir sinon dans leur domicile, du moins dans un domicile adapté et d'inscrire nos priorités dans une logique de prévention.
Monsieur Broussy, je vous remercie pour votre présence aujourd'hui et je vous donne la parole pour un propos introductif et la présentation de vos conclusions, avant d'avoir un échange avec les sénateurs qui souhaiteront vous interroger.
Merci Madame la présidente.
Je voudrais, tout d'abord, donner une petite précision sur mon CV. Je suis directeur d'un master à Sciences po mais mon intervention aujourd'hui se justifie à deux autres titres. Je préside la filière silver économie depuis 2014 et j'ai été également vice-président d'un conseil général de 2008 à 2015, ainsi que vice-président de la commission sociale de l'Assemblée des départements de France. Je ne suis donc pas, à proprement parler, un universitaire, même si j'ai créé ce master.
Permettez-moi aussi de replacer le rapport que je viens de remettre dans son contexte. J'ai été sollicité à la fin novembre pour le rédiger car le Gouvernement préparait un projet de loi sur le grand âge et souhaitait enrichir le texte sur les aspects non médico-sociaux. Plus précisément, il était question de réactualiser un rapport que j'avais remis au Premier ministre en mars 2013 sur l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) et qui avait été à l'origine de la loi ASV. La réactualisation de ce travail devait être très rapide puisque le rapport était attendu pour la fin janvier. Finalement, Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement, a annoncé le report du projet de loi sur le grand âge à la fin de la crise sanitaire. J'ai donc considéré disposer de davantage de temps pour mener à bien ma mission et le rapport a été rendu le 26 mai.
Je voudrais aussi souligner que ce rapport a été commandé par trois ministres et qu'il s'agit là d'une différence intéressante par rapport à ma mission de 2013, dont la ministre déléguée aux personnes âgées était seule à l'origine. En effet, en étant missionné par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie, Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement, et Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, j'ai pu bénéficier du concours et de l'expertise d'organismes habituels comme la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ou la direction générale de la cohésion sociale mais également de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages du ministère du Logement, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires ou bien de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. Ces derniers ne sont pas des organismes avec lesquels on parle naturellement des questions du vieillissement.
J'ai voulu centrer ce rapport sur la capacité à organiser une société qui permet de vieillir chez soi. J'ai donné comme objectif au rapport de dé-médico-socialiser, si je puis dire, la question de la vieillesse. Toutes les personnes âgées ne sont pas des GIR et les résidents des Ehpad ne sont qu'une petite partie des 15 millions de seniors en France.
Je souhaiterais vous donner à présent quelques éléments de nature démographique et sociologique. Ce n'est pas suffisant de dire que la France vieillit. Le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus dans notre pays stagnera de 2020 à 2030. Ce nombre augmentera ensuite fortement à partir de 2030. En revanche, c'est bien le nombre de personne âgée de 75 à 84 ans qui va connaitre une brutale accélération dans la décennie à venir. Leur effectif passera de 4 millions à 6 millions de personnes soit une hausse attendue de 47 % d'ici à 2030. En termes de politiques publiques, l'urgence est donc l'adaptation de la société à ce public caractérisé par son âge de 75 ans à 84 ans qui présente des fragilités mais assez peu de perte d'autonomie. Cette part de seniors n'a besoin de personne pour accomplir les actes de la vie quotidienne mais elle nécessite une ville bienveillante en termes de transport, de logement et autres. J'ai voulu me concentrer sur cette population en soulignant que si on veut vieillir chez soi ce n'est pas seulement un enjeu de tarification de SIAD et SAAD. La question du bien-vieillir chez soi doit être traitée dans un continuum, qui relie le logement adapté aux mobilités aménagées jusqu'à une ville bienveillante, mais doit aussi prendre en compte la diversité des territoires - centre-ville, péri-urbain, rural - dans lesquels on ne vieillira pas de la même façon.
Au plan sociologique, les personnes qui auront 85 ans en 2030 seront ceux qui avaient 25 ans en mai 1968, donc nés en 1945 : c'est le début de la génération du « baby-boom ». Il ne suffit pas dire que la France va vieillir : il faut préciser que ces personnes qui n'auront pas les mêmes envies, pas les mêmes désirs, pas les mêmes attentes que leurs propres parents. D'abord parce que c'est la première génération qui a vécu la dépendance de ses propres parents, et puis enfin parce qu'elle a été biberonnée à la liberté, à l'autonomie, au consumérisme. Les opérateurs de juke-box des maisons de retraite peuvent délaisser Piaf et Aznavour : le résident de 2030 était peut-être à Woodstock.
Le chapitre sur le logement du rapport s'ouvre par conséquent l'examen de ce que veut dire vieillir chez soi. Dans notre imagerie commune, vieillir chez soi, c'est rester dans la maison où l'on a construit son couple et élevé les enfants. Mais une fois le mari décédé et les enfants partis, rester seule, sans voiture, à cinq kilomètres de la boulangerie n'est plus possible. Je parle à un moment donné de blablacarisation du logement, car la génération dont je parle sera davantage tentée par l'usage que par la propriété, par ce qui permet d'être heureux et de vivre harmonieusement plutôt que de posséder.
Vous le voyez dans vos territoires : certains songent à vendre leur maison, parce qu'elle est impraticable ou isolée des commerces, pour louer. D'où l'actuel boom des résidences services senior. Si les maires autorisaient tous les projets qui leur sont soumis, il y en aurait à tous les coins de rue ! La résidence services senior correspond à cette envie de ne plus vivre seul chez soi. Les personnes sont sans doute contraintes d'aller en Ehpad parce qu'elles ne peuvent faire autrement ; elles vont en résidence services, en revanche, parce qu'elles en ont envie. Le cas typique est celui de la veuve de 80 ans, qui représente 75 % des résidents d'un groupe comme Domitys - car les femmes sont plus souvent veuves que les hommes ne sont veufs. C'est alors un moyen de se recentrer au coeur du quartier ou au coeur de la ville ; le rayon d'action d'une personne âgée qui n'a plus de voiture est de 300 ou 400 mètres.
On pourrait dresser un parallèle avec le concept de ville du quart d'heure, de l'urbaniste franco-colombien Carlos Moreno : la ville de demain, la ville silver-friendly, sera celle dans laquelle une personne âgée aura les services et les commerces dans un rayon d'un quart d'heure autour de chez elle.
Je redéfinis donc la notion de « chez soi » et ce « chez soi » peut être divers : résidence services senior, résidence autonomie... Il faut arrêter de tourner autour du pot sur les résidences autonomie. Il y en a 2 000 dans notre pays. L'immense majorité sont la propriété de bailleurs sociaux qui ne les ont jamais rénovées. Les maires finiront par se résoudre à leur disparition ou à leur transformation en foyer de jeunes travailleurs. La réalité, c'est que nous sommes en train de perdre un patrimoine qui héberge plus de 100 000 personnes en France et qui est, si je puis me permettre, la résidence services du pauvre. Nous risquons de nous priver d'un atout formidable pour les personnes âgées modestes. Je rappelle que plus de 70 % des résidences autonomies en France sont gérées par les CCAS et qu'elles sont pour l'immense majorité la propriété de bailleurs sociaux.
Dans le cadre du plan de relance, un milliard et demi d'euros doivent être délégués à la CNSA pour améliorer l'immobilier des Ehpad ; le forfait pour les résidences autonomie y occupe une faible part. Je propose de réserver 10 % à 15 % de cette enveloppe pour les résidences autonomie : avec 200 millions d'euros, il y aurait de quoi faire.
D'autres phénomènes sont plus nouveaux et nous paraissent plus anecdotiques, mais j'ai découvert en faisant cette étude qu'ils l'étaient de moins en moins. Par exemple, les résidences intergénérationnelles. Les bailleurs sociaux les théorisent désormais, et elles sont appelées à se développer de même que, plus largement, toutes les formules d'habitat inclusif dont parle le rapport Piveteau-Wolfrom. Ce sont des éléments de cet « habiter autrement » dans lequel je crois beaucoup.
Certaines personnes resteront néanmoins chez elles - je rappelle que 75 % des seniors sont propriétaires de leur logement et ils ne vont pas tous déménager. Il y aura donc des travaux d'adaptation à réaliser le plus tôt possible, mais pas trop tôt non plus, pour ne pas leur faire injure...
En tout état de cause, notre système est d'une complexité folle : nul ne sait à qui s'adresser, entre sa mairie, qui n'y peut rien, la CNAV ou l'Agence nationale de l'habitat (Anah)... Ce que je propose - mais le ministère du logement y a réfléchi aussi - c'est de transposer le système MaPrimeRenov', que j'appelle MaPrimeAdapt', afin de constituer un guichet unique pour une allocation unique avec des critères d'éligibilité uniques. Car les aides de l'Anah sont réservées aux GIR 1, 2, 3, ou 4, ce qui est un crime contre la prévention car cela revient à attendre que les gens soient tombés dans leur escalier pour leur proposer une aide à l'adaptation ! Je prône également la quasi-systématisation des visites d'ergothérapeutes. Un ergothérapeute audite un logement pour 300 euros, qui peuvent économiser des dépenses bien plus élevées qui n'auraient aucun sens mais que certains ont intérêt à provoquer. Il faut donc un système et un guichet uniques, probablement autour de la CNAV et de l'Anah, une possibilité de délégation au département si celui-ci le demande.
Je rappelle un dernier chiffre pour dire l'urgence de cette question : 9000 personnes âgées de plus de 65 ans meurent chaque année de chutes domestiques. Peut-on vivre avec ce chiffre sur la conscience ? Les politiques publiques ont permis de passer de 18 000 morts par an sur les routes à 3 500 en 40 ans, et les différentes évolutions législatives sur le tabac ont permis de commencer à avoir des résultats. Nous pouvons obtenir des résultats aussi en matière de chutes domestiques.
La ville doit encore être bienveillante - par où l'on arrive au coeur des compétences des maires, des EPCI, des agglomérations. La dépendance, c'est d'abord et avant tout la compétence de l'État et des départements, et la question n'est souvent abordée qu'au travers du prisme médico-social : qui va tarifer l'Ehpad ? Qui va autoriser le SAAD ? Ceux qui sont pourtant en train de prendre une place majeure dans l'adaptation de la société au vieillissement, ce sont les maires. Car lorsqu'un promoteur présente un projet de résidence services senior, lorsqu'une association demande un habitat intergénérationnel, lorsqu'il faut améliorer la mobilité des personnes âgées, c'est le maire qui décide. C'est le maire, encore, qui est compétent pour la voirie, le trottoir, la synchronisation des feux rouges, les toilettes publiques, les bancs publics, le mobilier urbain, et tout ce qui renvoie au label de ville amie des aînés.
Les outils contractuels entre liant l'État aux territoires ont un poids indéniable. Tout récemment, le Premier ministre a créé les contrats régionaux de transition écologique (CRTE), mais je songe aussi aux dispositifs Petites villes de demain (PVD) et Action coeur de ville (ACD). Tout élu local connaît ces instruments : 1600 villes sont concernées par PVD et 222 par ACD. Or dans ces deux programmes, le terme de vieillissement n'apparaît nulle part. Je l'ai proposé, et un programme va donc être mis en place sur l'habitat inclusif et les PVD et, dans le cadre de la renégociation d'ACD, le vieillissement constituera un des trois axes. Il s'agit de 5 milliards d'euros, avec la participation de la Caisse des dépôts, de la Banque des territoires, de l'Anah, d'Action Logement. Voilà encore, au-delà des acteurs habituels du médico-social, une façon de transformer la ville et les quartiers.
Un autre enjeu fondamental est celui des mobilités. Faute de pouvoir se mouvoir en ville, nous sommes assignés à résidence. Or entre les bus qui conduisent à toute vitesse, la signalétique obscure, et la billettique difficile à manier pour un certain nombre de personnes âgées, il faut commencer par constater le divorce entre les transports en commun et les personnes âgées. Le soir même où sortait mon rapport, j'ai entendu à la radio le PDG de la SNCF présenter sa nouvelle tarification spéciale pour les seniors. À mon sens, ce n'est pas le problème : les seniors ne sont pas a priori des pauvres. Beaucoup de personnes âgées seraient prêtes à payer le prix si le chauffeur conduisait autrement, si la signalétique était lisible et si les arrêts de bus n'étaient pas en plein soleil - ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas prévoir une carte de réduction pour le senior qui n'a pas les moyens.
Lorsque la personne âgée n'utilise pas les transports en commun, c'est un piéton. Et là, elle s'expose à davantage de dangers encore. Un piéton sur deux qui décède à plus de 65 ans. Cela représente 400 à 500 décès par an. Or dans les villes vont se multiplier les trottinettes et les vélos, ce qui risque d'aggraver l'insécurité des piétons les plus fragiles. Comment accompagner la mobilité des personnes âgées fragiles qui marchent en ville ? Voilà un vrai sujet à traiter - certes, pas par la loi.
Il faut avoir à l'esprit encore ceci : on ne vieillira pas de la même façon selon les territoires. Le cas de la Loire-Atlantique m'a frappé, car on y rencontre trois situations bien distinctes - mais c'est sans doute vrai aussi dans d'autres départements. La Baule est quasiment un Ehpad à ciel ouvert : population très âgée, prix de l'immobilier délirants... Les actifs qui viennent en aide à ses habitants n'ont donc aucune possibilité d'y loger. La ville sera de plus en plus vieillissante, et entourée d'un bandeau de villes peuplées de davantage d'actifs. Autre cas de figure : Châteaubriant, à la limite du Maine-et-Loire : commune plus rurale, vieillissant tout autant mais avec un déficit d'actifs. Enfin, troisième cas de figure : Nantes-métropole, dynamique, active, jeune mais qui, quantitativement, connaîtra la plus forte croissante de personnes âgées ! C'est la différence entre le vieillissement et la gérontocroissance. Qu'est-ce à dire ? Que les territoires n'appellent pas du tout les mêmes politiques : il faudra créer beaucoup plus d'Ehpad demain à Nantes-métropole qu'à Châteaubriant, même si la population sera plus vieille ici que là. Songez qu'il nous faudra demain créer plus de places en Ehpad dans un seul quartier de ville que dans toute la Creuse, quand bien même la Creuse resterait le département le plus âgé de France ! On ne peut donc pas mener des politiques uniformes, car les situations diffèrent fortement selon les territoires infradépartementaux.
D'où des conséquences précises en termes de gouvernance. Les schémas gérontologiques ne servent plus à rien ! J'en ai pourtant fait lorsque j'étais vice-président de département, et ils servaient, dans les années 1990, lorsque les départements programmaient encore les équipements. Puisque ce ne sont plus eux qui créent les maisons de retraite, ces schémas ne sont plus que du papier. Je propose donc que le département se dote d'un schéma de la transition démographique, grâce auquel il sera plutôt le stratège du vieillissement sur son territoire : alors seulement on parlerait utilement logement, mobilité, médico-social avec les CCAS, les bailleurs sociaux, les EPCI, etc. C'est ainsi, je crois, que le conseil départemental s'épanouira, plutôt qu'en se contentant d'assurer à Mme Durand que l'APA qu'elle perçoit, c'est bien grâce à lui.
Ces politiques doivent être interministérielles. C'est pourquoi je propose également la création d'un conseil interministériel de la transition démographique, sur le modèle du conseil interministériel du handicap, qui se réunit une fois par an, afin de concevoir la politique du vieillissement de manière stratégique sans réduire le tour de table aux seuls ministres de la santé et des affaires sociales.
Je vous remercie beaucoup pour cette présentation, qui rejoint mon expérience au conseil régional des Pays de la Loire. Nous avions naguère souhaité orienter l'action du gérontopôle vers des élus locaux, pour accompagner les EPCI et les communes dans leur transition démographique. Vous avez raison d'insister sur le fait qu'on ne saurait conduire une politique uniforme en la matière - comme dans le domaine sportif ou culturel, du reste.
Je vous remercie à mon tour pour cette présentation du rapport - un de plus, certes, alors que nous attendons la grande loi, apparemment renommée « Générations solidaires » pour une présentation en conseil des ministres fin juillet... En attendant, le projet de loi 3DS fournira peut-être un véhicule utile pour mieux outiller les départements. Bernard Bonne et moi-même sommes en phase avec vos propositions et l'objectif de permettre aux personnes de vieillir à domicile.
Les députés Mireille Robert et Josiane Corneloup ont récemment rendu un rapport sur l'accueil familial. C'est une piste intéressante, notamment pour les personnes atteintes d'Alzheimer, ou pour apporter des solutions aux aidants. Les conseils départementaux, qui connaissent bien les familles accueillantes dans le cadre de la protection de l'enfance, ne pourraient-ils pas encourager cette solution pour les personnes âgées également ?
À mon tour de vous remercier pour cette présentation. Je vous rejoins largement : il faut un guichet unique pour adapter les logements - et je suis en la matière, moi aussi, départementaliste. Mais lorsque l'on a des troubles cognitifs, la résidence ou l'accueil de jour en Ehpad s'impose. En cas de déficience physique seulement, les résidences seniors sont une autre possibilité. Ne pensez-vous pas que pour garantir le maintien à domicile, le financement des Saad et des Ssiad devraient être transférés au niveau des départements, pour fluidifier les prises en charge en sortie d'hôpital ?
Permettez-moi de poser les questions que souhaitait vous adresser M. Philippe Mouiller, rapporteur de la branche autonomie, qui a dû se rendre en séance publique.
Le projet de loi 3DS prévoit, à son article 36, de donner compétence au département pour « coordonner le développement de l'habitat inclusif et l'adaptation du logement au vieillissement de la population » : qu'en pensez-vous ? Les municipalités, dont vous avez parlé, pourraient être des échelons plus adaptés.
Pouvez-vous nous préciser la manière dont vous voyez la possible simplification des dispositifs d'aide à l'adaptation des logements ?
La question des mobilités adaptées et de l'accessibilité de l'environnement urbain est un autre chapitre intéressant du rapport. Peut-on toutefois sortir des logiques d'encouragement, de labellisation et autres dispositifs de droit mou ?
Vous avez aussi publié récemment une étude sur l'Ehpad du futur. D'abord, pouvez-vous nous préciser votre conception de l'Ehpad comme plateforme de services aux personnes en perte d'autonomie ?
Vous faites ensuite de nombreuses propositions sur l'amélioration du bâti et la conception spatiale des établissements. Quels sont, selon vous, les outils juridiques les plus pertinents pour entreprendre ces changements d'environnement ?
Enfin, le rapport de Michelle Meunier et Bernard Bonne sur la prévention de la perte d'autonomie insiste beaucoup sur l'importance de maintenir une activité physique, intellectuelle et sociale le plus longtemps possible. Comment peut-on introduire ces dimensions dans la prise en charge en Ehpad ?
Il est vrai que le schéma gérontologique était un outil intéressant, mais très médico-social.
Je suis très départementaliste moi aussi, surtout en matière médico-sociale. Votre concept de schéma de transition démographique me plaît bien, mais je le conçois à l'échelle d'un bassin de vie. J'habite une petite ville de 6000 habitants dans un secteur fait de champs et de vignes - il y a en tout 600 communes dans la Marne, pour 500 000 habitants, c'est vous dire... Les gens habitent volontiers à la campagne et, arrivés à la vieillesse, achètent un logement en ville ! Les bourgs-centres comptent ainsi de plus en plus de personnes âgées, ce qui permet d'expliquer pourquoi les statistiques leur accordent de plus en plus de foyers, quand le nombre d'habitants diminue. Seule l'intercommunalité peut gérer cette transition générationnelle, qui s'effectue sur le temps long. Ne faudrait-il pas décliner le schéma à cette échelon ?
Vous n'avez pas parlé du numérique. Cette génération qui avait dix-huit ans en 1968 a évolué avec le numérique, qui offre désormais des possibilités extraordinaires, notamment en termes de domotique, de transports ou de sécurité. Nous pourrons sans doute, à l'avenir, rendre aux personnes âgées un meilleur service à un meilleur coût grâce à ces outils, car ils permettront de soulager les professionnels du soin des tâches répétitives pour les recentrer sur leur coeur de métier. Qu'en pensez-vous ?
Je rejoins M. Savary sur ce dernier point ; dans le département du Doubs, une enveloppe de 12 millions d'euros permettra en effet, par le développement du numérique, de libérer du temps de travail du personnel, au profit des résidents.
Vous avez parlé des ergothérapeutes pour l'adaptation des logements. Nous en manquons terriblement, c'est vrai. Des formations ou des incitations sont-elles prévues ?
Quel bilan faites-vous de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie, créée en 2016 ? Ont-elles réellement conduit à des améliorations ?
Je veux d'abord rendre hommage au rapport de Michelle Meunier et Bernard Bonne, qui est remarquable - et je ne dis pas cela uniquement parce que les rapports sénatoriaux sont souvent les plus consistants, ni parce que nous convergeons sur de nombreux sujets...
S'agissant de l'accueil familial : oui ! Maintenant, il n'y a plus qu'à... Je n'en ai guère parlé car je ne souhaitais pas redire ce qui avait déjà été dit. J'avais naguère un peu de mal à me faire une opinion sur l'accueil familial, en raison de certains dérapages, ou de la difficulté du contrôle. Mais la professionnalisation de cette pratique, grâce à des structures intermédiaires qui salarient les intervenants, permet désormais de sécuriser les solutions apportées aux familles. Les propositions récentes devront en effet figurer dans la loi - si loi il y a.
Avec Sébastien Podevyn, secrétaire général de la filière silver éco, qui m'accompagne, nous réalisons en ce moment un tour des régions. La région est la bonne instance pour le développement économique de cette filière. La silver économie, c'est toute une série d'entreprises qui oeuvrent, par exemple, pour le repérage des fragilités - je songe en particulier à La Poste, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un autre excellent rapport du Sénat, dont je me suis beaucoup servi.
Je diverge toutefois de l'analyse du rapport Bonne-Meunier sur l'Ehpad. L'interruption des créations de places, qu'il préconise à court terme, a en quelque sorte déjà eu lieu ces dernières années, en raison de la situation démographique et de l'équilibre à peu près atteint entre l'offre et la demande. Or ce ne sera plus le cas en 2030 ! Et le système actuel ne sera pas capable d'organiser le maintien à domicile dans les volumes que l'on anticipe, et il faudra donc des Ehpad.
Monsieur Milon, vous faites référence au rapport que j'ai réalisé avec Jérôme Guedj sur l'Ehpad du futur. Il est distinct, et nullement contradictoire, avec le présent rapport. Nous y montrons que l'Ehpad devra se réinventer, en termes d'architecture, d'espace personnel, d'usages. Dans la situation démographique où nous nous trouvons, nous pouvons soit ne rien faire et voir toujours dans l'Ehpad le lieu du long séjour des dernières années de la vie, ou le réinventer et l'ouvrir sur l'extérieur. Je milite pour ma part pour l'Ehpad-plateforme, et nous avons d'ailleurs fait une proposition de rédaction d'un nouvel article du code de l'action sociale et des familles pour aller dans ce sens. Songez que près de 70 % des personnes ont un Ehpad à moins de cinq kilomètres de chez eux : ni les bureaux de poste, ni les hôpitaux, ne maillent le territoire avec une telle finesse ! Que n'utilise-t-on ces 7000 établissements comme une ressource, notamment dans les déserts médicaux - sous réserve, sans doute, de développer la télémédecine !
L'Ehpad, loin de se replier sur lui-même et de disparaître, doit être une plateforme qui s'occupe non seulement de ses 80 résidents mais aussi, en « in » et en « out », d'un territoire donné. Une personne âgée est chez elle et a besoin qu'on vienne la voir ? L'Ehpad pourrait organiser la visite à domicile. Si une personne a besoin d'une visite gériatrique, elle pourrait venir consulter le médecin de l'Ehpad... C'est cela qui doit être l'avenir de l'Ehpad. Tous les établissements ne seront sans doute pas volontaires, mais il faut en donner les moyens à tous ceux qui veulent le faire. Cela nécessite de casser le modèle actuel d'autorisation et de financement pour aller vers un régime d'autorisation globale : on n'aurait plus une autorisation de places mais une autorisation populationnelle. On contractualiserait avec un opérateur qui saurait comment prendre en charge la population. On ne fera pas un Ehpad-plateforme avec la législation actuelle. A défaut de loi « grand âge », il y a le PLFSS : maintenant qu'il y a une cinquième branche, le législateur a une plus grande marge de manoeuvre pour y intégrer des articles en ce sens.
Dans la dernière version de l'avant-projet de loi, la tendance serait de considérer qu'il n'y a plus, d'une part, des services de soins et, d'autre part, des services d'aide, mais des services d'aide et de soins. Les services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) n'ont pas marché. Il faut que le tout soit géré plutôt par les départements, au moins par délégation pour la partie soins. À l'évidence, il faut non seulement décloisonner établissements et services d'aide, mais aussi, à l'intérieur des services d'aide, décloisonner aide et soins.
Sur l'article 36 de la loi « 4D » ou « 3DS », nous sommes plutôt d'accord pour dire que l'adaptation du logement ne doit pas relever du département mais rester dans l'orbite du ministère du logement. Le guichet unique doit s'organiser autour des réseaux de la CNAV et de l'ANAH. Autant j'étais favorable au schéma départemental de la transition démographique, autant j'estime contre-productif de faire des départements les opérateurs de l'adaptation du logement, car de nombreux départements ne s'en occupent pas du tout. Je suis donc contre l'article tel qu'il est rédigé aujourd'hui. J'ai d'ailleurs l'impression que ses propres promoteurs sont contre ! Le ministère du logement semble être sur la même longueur d'ondes que moi.
Concernant la simplification des aides au logement, mon rapport montre qu'il existe les aides de la CNAV, celles de l'ANAH, celles d'Action Logement, celles des départements, toutes ces portes d'entrée ayant des conditions différentes : il faut unifier et harmoniser tout cela.
Je n'aborde pas la question de la prévention en Ehpad. C'est un problème de tarification qui est hors du champ du rapport.
Le numérique ne prend peut-être pas dans le rapport toute la place qui lui revient. Demain, aucune adaptation du logement ne pourra se faire sans penser numérique et domotique. Avec les ministres Bourguignon et Wargon, nous avons rendu visite à Dijon à une bénéficiaire de logement adapté qui a indiqué qu'elle aurait plutôt besoin d'équipements de domotique : il faut écouter les besoins des personnes, changer les baignoires en douches n'est pas l'alpha et l'oméga de l'adaptation ! Il est temps d'abandonner l'idée que les personnes âgées sont déconnectées. Dans quelques années, on ne parlera même plus de l'illectronisme. Mon père, à 84 ans, est sur les réseaux sociaux...
Vous avez parlé de la conférence des financeurs et de la mobilisation de 12 millions d'euros. Je vous invite à avoir un regard acéré à ce sujet. Dans le cadre du plan de relance, 600 millions d'euros ont été affectés à un plan numérique pour les établissements et services médico-sociaux (ESMS). Je n'ai pas compris à quoi cela servait. Les fonds sont alloués aux ARS qui lancent des appels à projets locaux. Comme souvent, on n'a pas fixé d'objectifs : refondre les systèmes d'information, numériser les services... ? Faute de vision d'ensemble, cette somme risque de ne financer que des opérations particulières.
On délègue 150 millions d'euros par an à la conférence des financeurs, sans savoir ce qu'elle en fait. Avant de distribuer de l'argent, il faut des objectifs. Par exemple, je propose de fixer pour l'an prochain une règle : 20 % des dotations affectées à la conférence des financeurs seraient affectées à la domotique. On pourrait ainsi financer des programmes nationaux. Par ailleurs, on n'est pas arrivé à rassembler tous les financeurs autour de la table.
Ce type d'actions peut être mené dans les départements mais, on le voit, les appels à projets sont morcelés. Cela ne permet pas aux start-up répondant à ces appels à projets de grandir.
Il est vrai que nous manquons d'ergothérapeutes. On est passé de 8 000 à 13 000 depuis 2013, mais cela reste 5 à 10 fois moins qu'au Danemark, en Suède, voire en Belgique. L'État doit considérer la formation d'ergothérapeutes comme une priorité car c'est un métier de prévention qui est utile et une autre façon d'aborder la vieillesse.
J'attire votre attention sur la situation de la Martinique et de la Guadeloupe. La Martinique est aujourd'hui le 74e département le plus âgé de France - donc l'un des plus jeunes -, la Guadeloupe est 84e, la Creuse étant première. En 2050, la Martinique sera le département le plus âgé de France devant la Creuse, la Guadeloupe sera 6e. On n'a jamais vu des territoires vieillir aussi rapidement et à ce point-là. Je passe sur les autres handicaps que peuvent avoir la Martinique et la Guadeloupe. Je prône un « plan 2050 » pour ces territoires, où la silver économie peut être une solution.
Je ne sais pas s'il y aura un projet de loi « grand âge ». Je sais cependant qu'en ce moment, le ministère mène des concertations dans cette optique. Si ce texte est présenté un jour, il faut qu'il se fixe comme horizon 2030 sur l'Ehpad du futur, la tarification à domicile ainsi que toutes les questions que j'aborde dans mon rapport. Or, il n'est pas naturel pour le ministère chargé de l'autonomie d'intégrer tous ces éléments. S'il est saisi de ce projet de loi, le Parlement devra tenir compte de son caractère interministériel et entendre les ministères du logement et de la cohésion des territoires.
Avez-vous travaillé sur la formation des personnels des Ehpad à la bienveillance et à la prise en compte des résidents comme des personnes à part entière ?
Cela dépasse le cadre de ce rapport mais j'ai évidemment réfléchi à ce sujet.
Ce qui a révolutionné le monde des maisons de retraite depuis 20 ans, c'est une loi et surtout un arrêté. La loi de janvier 1997 instituant l'APA a en même temps prévu la réforme de la tarification. Cette réforme prévoit que chaque maison de retraite doit signer une convention pluriannuelle tripartite. Le cahier des charges de cette convention tripartite est fixé par un arrêté du 26 avril 1999 qui a durablement modifié la qualité de l'accueil en Ehpad. Or, ce document n'a plus jamais été actualisé, alors qu'il aurait fallu le réévaluer au moins tous les 10 ans.
L'Ehpad du futur devrait reposer sur un cahier des charges « nouvelle génération ». Si l'on veut que l'Ehpad soit un substitut du domicile, il faut qu'il ressemble à un logement. La bonne taille, selon les architectes, se situe entre 26 m2 et 30 m2 : à partir de ces surfaces, le lit n'est plus central, ce qui laisse plus d'espace. C'est sans doute moins pratique pour le personnel. Les contraintes de l'institution et du personnel ont tendance à l'emporter sur ce dont les résidents ont vraiment besoin.
Les maisons de retraite ne sont sans doute pas idéales mais n'étaient pas « mieux avant ». La formation des personnels n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y a vingt ans. Il y a toujours des cas de maltraitance mais les progrès en termes de relations avec les résidents sont indéniables. Maintenant, il est temps de refaire un saut qualitatif.
Il y aura toujours des centaines de milliers de personnes hébergées en Ehpad. Il reste à rendre l'Ehpad beaucoup plus désirable qu'aujourd'hui.
Nous vous remercions pour cet éclairage important en vue de l'examen des textes à venir sur le sujet.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 50.