L’article 5 est certainement l’un des plus emblématiques du texte que nous examinons.
Je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles l’accord a été conclu avec les partenaires sociaux, car je suis déjà intervenu sur cette question au début de notre discussion. Pour l’heure, je ne veux me soucier que du fond : la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Vous le savez, le mouvement socialiste s’est opposé pendant la campagne électorale et à de nombreuses reprises depuis au contrat unique, qui devait englober en son sein toutes les autres formes de contrat de travail, et à l’idée que la rupture du contrat de travail pourrait dorénavant être négociée de gré à gré.
Le texte proclame que le CDI est la forme normale du contrat de travail. Or, nous l’avons déjà souligné, cette formule est si incomplète qu’elle s’apparente à une pure pétition de principe sans contenu normatif particulier, d’autant que le même projet de loi prévoit de nouvelles formes de contrat de travail qui sont tellement dérogatoires par rapport au CDI que l’on a affaire plutôt à une généralisation du contrat atypique qu’à une généralisation du CDI.
Mais, avec la rupture par consentement mutuel, on aborde la mesure la plus choquante du projet de loi, non seulement au regard de la longue histoire du mouvement ouvrier, mais aussi par rapport à ce que représente le contrat de travail. Le dispositif présuppose en effet une égalité qui n’existe pas entre l’employeur et l’employé, alors que, au contraire, c’est sur l’absence d’égalité entre les deux que repose tout notre droit du travail. Même si, cela va de soi, ce sont deux êtres humains qui sont égaux par nature, dans une relation de travail, l’un est le subordonné de l’autre, l’un prend la décision de donner ou non du travail à l’autre !
Si le contrat de travail est entouré de telles précautions, c’est parce que c’est le seul exemple dans notre expérience collective de pays libre et de peuple libre où un individu reconnaît son état de subordination permanent à l’égard d’un autre.
J’ai déjà cité devant le Sénat cette magnifique phrase de Jean Jaurès : « La République a fait les Français rois dans la cité, mais les a laissés serfs dans l’entreprise. » Cette formule a le mérite de bien montrer que la rupture entre l’Ancien Régime et l’idéal républicain n’est pas de fait dans tous les lieux de notre pays ni dans toutes les circonstances, en particulier dans celle-là.
Non, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne sommes pas dans une relation égalitaire.
Certains ont comparé la relation employeur-employé à celle d’un couple. L’analogie est très choquante. Qui dit couple, dit affection, mais il n’en va pas forcément de même de la relation de travail. Certes, on peut beaucoup aimer son patron ou sa patronne, mais ce sentiment n’entre pas en ligne de compte dans la conclusion du contrat de travail. Par parenthèse, je signale que les ruptures dans un couple, même par consentement mutuel, sont rarement heureuses. Ce serait donc une illusion que de croire que, dans le cas qui nous occupe, ce sera du pur bonheur, à plus forte raison s’agissant d’une relation contrainte.
Parce que donc nous ne sommes pas dans une relation égalitaire, la rupture par consentement mutuel peut être la conséquence de n’importe quelle situation ou pression, quelle que soit la bonne ou la mauvaise volonté des parties concernées, en particulier de la partie la plus forte, c’est-à-dire le patron. On imagine bien le choix que laissera le patron au salarié : si tu acceptes tout de suite, c’est tant ; on se dit au revoir et merci ; si tu résistes, je te mets quand même à la porte - je trouverais bien une raison pour motif personnel - et, si tu n’es pas content, tu en auras pour deux ou trois ans devant les prud’hommes. En fait, cela durera même davantage maintenant que le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a supprimé un quart des conseils prud’homaux de ce pays. Voilà qui ne va pas accélérer les procédures !
Comment voulez-vous que, placé devant une telle alternative, un travailleur puisse résister ?
Cette relation est totalement inégalitaire. Dans ces conditions, comment peut-on imaginer que le consentement mutuel sera acquis de bon gré ? Ce n’est pas possible !
De plus – conséquence terrible de ce que l’on a examiné préalablement–, la période d’essai va être allongée, au point de correspondre à la durée moyenne d’un CDD, à savoir quatre mois. Durant cette période, les travailleurs n’ont aucun droit, puisque l’on peut mettre fin au contrat sans motif et sans verser d’indemnités.
Voilà pour l’entrée ! Et à la sortie ? Il y a le consentement mutuel, cette disposition qui permet qu’on vous pousse dehors hors de tout cadre légal, grâce à un simple échange de paroles. On en revient donc à une situation où la loi n’est plus là et donc ne protège plus le faible contre le fort. Mes chers collègues, dans ce type de situation - même si l’image a été beaucoup utilisée, elle me paraît particulièrement opportune en cet instant -, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit.
Parce que c’est article crée un nouvel espace de non-droit où la palabre remplace la loi et le respect de la loi, parce qu’il substitue à la protection et aux garanties que la loi apporte à chaque citoyen libre le rapport de force pur et simple entre deux personnes dont l’une jouit de prérogatives immenses mais l’autre ne dispose d’aucun pouvoir, il fera l’objet d’un examen attentif de la part de notre groupe.