Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 7 mai 2008 à 15h00
Modernisation du marché du travail — Article 5

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

L’amendement de nos collègues communistes soulève le problème fondamental que pose la rupture conventionnelle : qui en prend l’initiative ?

En théorie, personne, ce qui est évidemment une fiction. Si je vends ma voiture à un tiers, il s’agit certes de la rencontre de deux volontés, comme le veut la théorie du droit des obligations, mais il faut bien que mon initiative trouve en écho une demande, à moins que la volonté d’achat d’un tiers ne suscite mon assentiment. En d’autres termes, il faut bien que l’une des deux parties au contrat parle la première. Même si l’accord se fait immédiatement, ou presque, il y a toujours une initiative.

Pour une affaire aussi importante que la rupture d’un contrat de travail, il va de soi que l’acceptation ne peut intervenir « entre deux portes ». Le texte le reconnaît explicitement, puisque des entretiens sont prévus afin que l’on discute des conditions de la convention de rupture.

Pour autant, si tout se déroule comme prévu et dans un climat de bonne foi, nous ne sommes ni dans le cas d’un licenciement, ni dans le cas d’une démission.

Ce n’est pas une démission, puisque l’employeur accepte les conditions financières de la rupture conventionnelle et que le salarié bénéficie donc d’une indemnité et des allocations de chômage. Ce n’est pas non plus un licenciement, puisque le salarié décide ou accepte de quitter l’entreprise, sans exiger l’application de la procédure de licenciement. Il renonce, sinon aux avantages financiers, au moins aux voies de recours juridiques afférentes au licenciement.

Les deux parties s’en remettent à l’homologation par l’administration du travail et à un éventuel recours devant les prud’hommes, aucun citoyen ne pouvant être privé de recours juridique. Mais l’historique de la rupture, précisant qui peut être considéré comme en ayant pris l’initiative, n’est susceptible d’apparaître que dans les procès-verbaux d’entretiens.

On peut raisonnablement présumer que tout employeur un peu avisé et bien conseillé aura soin que la mention de son éventuelle initiative ne soit jamais portée au procès-verbal. Mais le salarié n’aura pas non plus intérêt à ce que son initiative risque d’être requalifiée en démission si un problème apparaît. On peut donc dire que chacun tient l’autre par la barbichette !

Juridiquement, si la rupture conventionnelle n’est pas un licenciement, elle n’entre donc pas dans le champ de la convention n° 158 de l’OIT. Nous sommes dans le cadre d’une convention qui glisse doucement vers le contrat de droit civil entre deux parties en situation d’égalité.

C’est ici que nous en venons à la deuxième fiction, car l’employeur et le salarié ne sont pas en situation d’égalité. Le fondement du droit du travail est la reconnaissance de cette réalité, et c’est précisément pour cela que les efforts constants du patronat visent à faire disparaître cette spécificité.

Il est aussi excessif de considérer le monde du travail comme un roman de la comtesse de Ségur que comme un western, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Mais c’est un monde structurellement inégalitaire, où le facteur humain doit aussi être pris en compte. Non, les employeurs et les salariés ne sont pas en situation d’égalité !

Comment ne pas voir que le salarié n’a aucun moyen de pression sur l’employeur pour accéder à la rupture conventionnelle, comme cela a été dit tout à l’heure ? Pour exercer sa volonté de départ, il ne dispose que de la démission, qui le prive d’indemnités et d’allocations de chômage. En revanche, l’employeur, si – par extraordinaire, bien sûr – il était de mauvaise foi, pourrait créer toutes sortes de difficultés au salarié pour lui rendre la vie impossible et l’acculer à accepter la rupture conventionnelle, nous le savons bien ! Il suffit de penser au chantage habituel, mille fois entendu : il vaut mieux pour le salarié qui cherche un nouvel emploi être démissionnaire plutôt que démissionné.

Pour une somme relativement modique, l’employeur échappe à la fastidieuse procédure de licenciement et, dans la quasi-totalité des cas, au recours juridique, puisque le salarié aura signé la rupture et que l’initiative de cette rupture restera dans l’ombre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion