Cet article participe d’une logique qui s’exprime à d’autres endroits dans ce projet de loi : il s’agit de donner une forme légale à des pratiques qui résultaient jusqu’à présent de la déstabilisation des rapports sociaux, de la précarité de l’emploi et de l’évolution des rapports de force dans la société.
C’est ainsi qu’est apparue la « rupture par consentement mutuel », qui correspond en fait à un mode de fonctionnement déjà existant. D’abord, une pression s’exerçait, ensuite l’employeur et le salarié se séparaient car le salarié démissionnait. En contrepartie, des arrangements, que la loi aurait condamnés, étaient souvent trouvés. C’est pourquoi ce type d’agissement a été légalisé. Il n’empêche qu’il a toujours été et reste moralement condamnable et économiquement contre-performant.
Le contrat de portage s’inspire de cette logique de l’entreprise individuelle. Une telle idée aurait choqué voilà encore quinze ans, parce que nous étions habitués au contrat de travail, à l’emploi salarié avec un minimum de stabilité et des droits.
L’individualisation des rapports sociaux n’est pas le produit naturel de la complexité de la production ou de son développement, pas plus qu’elle n’est celui de l’élévation des niveaux de qualification. Elle est purement et simplement – il ne faut pas perdre de vue ce point – un résultat social.
Cela explique qu’aujourd'hui on en vienne à trouver banal que chacun cherche son emploi, notamment en créant son entreprise individuelle.
Évidemment, la création d’une entreprise individuelle reste encore bien compliquée, et certains n’en sont pas capables. Puisqu’ils n’y parviennent pas et que l’entreprise individuelle ne connaît pas le développement qu’elle mérite, il faut inventer un nouveau dispositif. Voilà à quoi répond le contrat de portage.
Certes, nous connaissons tous un ou deux cas particuliers pour lesquels ce dispositif est pertinent et permet au salarié de travailler dans de véritables conditions de dignité et de satisfaction individuelle. C’est absolument incontestable.
Mais c’est la généralisation de ce type de formule qui pose problème. Loin d’être prévu pour des cas minoritaires, le contrat de portage sera proposé et imposé à un très grand nombre de personnes. Là réside la difficulté.
Il existe donc maintenant, en dessous de l’intérim, le sous-intérim, système dans lequel le travailleur recherche lui-même un travail et émarge à une société de portage.
Je le dis après d’autres orateurs dans cet hémicycle, nous allons donner un nom légal à ce qui, hier, constituait le délit de marchandage ou le prêt illégal de main-d’œuvre à but lucratif. Naturellement, le portage salarial va connaître les développements que l’on peut imaginer, et toutes sortes d’idées seront trouvées pour contourner la loi.
Il s’agit là d’une déresponsabilisation large de l’employeur vis-à-vis de l’employé qui pousse la masse des salariés vers un statut de travailleur indépendant, la liberté en moins. En effet, le salarié porté doit faire face aux inconvénients du salariat, au lien de subordination, sans bénéficier d’aucune des protections qui y sont attachées.
Pour toutes ces raisons, il aurait à mon avis été préférable de prendre plus de précautions avant de mettre cette mesure sur la table des négociations.