La CJUE rendra son arrêt le 15 juillet. L'avocat général sera-t-il suivi, qui a proposé de distinguer ce qu'il appelle les activités dites « ordinaires » des activités dites « de haute valeur ajoutée » ou spécifiquement militaires des forces armées, alors même que nous avions fait valoir que dans le cas d'une armée entièrement professionnalisée comme l'armée française, cette distinction n'avait pas de sens ? On peut craindre effectivement que ses conclusions soient suivies. En droit, notre cause est pourtant bonne, qu'on se réfère au traité, à la directive elle-même ou à des précédents jurisprudentiels.
Pourrait-on s'accommoder, le cas échéant, de cette jurisprudence ? Non ! Pourquoi la transposition de la directive poserait-elle des problèmes insurmontables à une armée entièrement professionnelle telle que l'armée française, ce qui n'est pas le cas de toutes les armées européennes ?
Premièrement, la directive Temps de travail repose sur une gestion individuelle du temps de travail qui est incompatible avec l'organisation des forces armées, qui est nécessairement collective.
Plusieurs dispositions de la directive prouvent que ses rédacteurs n'avaient pas à l'esprit qu'elle pourrait s'appliquer aux militaires : à preuve les règles relatives à la durée maximale de travail ou au travail de nuit. La directive a prévu de nombreuses dérogations pour certains métiers, mais aucune pour l'armée, ce qui prouve bien qu'elle n'était pas destinée aux armées. Même les règles encadrant les activités de garde et de veille sont inadaptées.
S'y ajoutent des éléments moins objectifs et, partant, plus difficiles à faire admettre sur la scène européenne. Même une application partielle ou temporaire, fondée sur la summa divisio de l'avocat général, serait insuffisante : l'armée française a externalisé et délégué à des civils ce qui n'est pas spécifiquement militaire. Nous sommes face au syndrome de la demi-dalle d'Astérix gladiateur ! (Sourires.) Dans nos armées, cela n'existe pas, ou du moins cela n'existe plus.
Cette directive porterait directement atteinte à l'unité de sort des militaires, qui se traduit par un statut unique, coeur de la cohésion et source de l'efficacité de nos armées.
De plus, l'activité militaire est un continuum entre la formation, l'entraînement et le déploiement, sur des théâtres marqués par une violence qui va croissant. Les militaires relevant de ma direction, du jour au lendemain, peuvent être envoyés au Sahel ou au Levant donc doivent toujours être en pleine possession de leurs aptitudes militaires, d'autant que, dans le contexte stratégique actuel, il n'y a plus de distinction entre temps de paix et temps de guerre : les hommes doivent être prêts en permanence.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France joue un rôle éminent pour le maintien de la sécurité internationale, notamment face aux terroristes, qui, eux, ne sont évidemment pas soumis à de telles règles, si peu réalistes.
Le statut militaire français avait fait l'objet d'un précontentieux : le sujet a fini par être classé - au terme d'une longue discussion, la Commission européenne s'est rangée à nos arguments -, mais il a rebondi à l'occasion de l'affaire relative à un garde-frontière slovène estimant que, quand il dort dans son chalet de montagne, une semaine tous les deux mois, il doit être payé en heures supplémentaires.
À la faveur de ce contentieux, la Cour va juger erga omnes ce qu'il en est du statut militaire. Les enjeux sont tels que, si nous ne sommes pas suivis, nous plaiderons devant le juge administratif en suivant la ligne que nous avons adoptée dans l'affaire des renseignements. J'ajoute que le statut militaire n'a pas été mis en partage avec l'Union européenne et que le principe de disponibilité en tout temps et en tout lieu a désormais une traduction constitutionnelle, à savoir le principe de libre disposition des forces armées, qui nous semblerait atteint dans son effectivité par cette transposition.