Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 23 juin 2021 à 15h00
Programmation militaire — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, je veux à mon tour apporter mon soutien à nos soldats encore durement éprouvés.

Il y a trois ans, lors de l’adaptation de la loi de programmation militaire pour 2019-2025, le groupe écologiste n’existait pas au Sénat ; il n’a donc pas pu se prononcer sur les orientations de ce texte. Aujourd’hui, ce débat nous donne l’occasion de nous exprimer : nous la saisissons volontiers, non sans amertume, car nous constatons qu’à rebours des engagements pris en 2018 par le Gouvernement, inscrits noir sur blanc à l’article 7 de cette loi, ce débat n’est, hélas ! qu’un ersatz du véritable contrôle parlementaire que nous devrions exercer.

Sur ce point, je ne m’étendrai pas trop, mes chers collègues, car si nos visions de l’appareil militaire divergent, nous partageons aujourd’hui cette amertume, cette incompréhension, voire cette colère face aux manquements du Gouvernement. En effet, lorsque ce dernier a présenté il y a trois ans une programmation militaire très ambitieuse – j’y reviendrai –, le Parlement a fait le choix de soutenir cet effort budgétaire exceptionnel, sous la condition d’un contrôle renforcé et d’une exigence de transparence, et ce notamment en cas d’adaptation de la LMP au contexte sécuritaire et économique.

Depuis 2018, l’évolution du contexte international n’a rien eu d’un long fleuve tranquille. Nous avons connu une pandémie, une crise économique mondiale, des changements majeurs dans notre engagement au Sahel, l’accélération des développements technologiques, la réapparition de conflits armés ouverts dans le Caucase et au Proche-Orient et l’accroissement des tensions à l’échelle mondiale. Comment croire que de tels bouleversements n’affectent pas profondément nos orientations stratégiques ?

En toute cohérence avec les évolutions du contexte international, les ajustements de la programmation militaire sont nombreux. Dès lors, pourquoi insister sur la mise en œuvre « à l’euro près » de cette programmation, selon les éléments de langage ministériels ? Nous savons pourtant, grâce à un travail important de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que je tiens à saluer, que cette trajectoire budgétaire n’est respectée qu’en apparence. Ainsi, les calculs de la commission permettent d’affirmer que le périmètre budgétaire d’actualisation, qui aurait dû faire l’objet d’un examen parlementaire, serait non pas de 1 milliard d’euros, comme annoncé, mais de 8, 6 milliards d’euros. Sur cette enveloppe considérable, le Parlement, hélas ! ne se prononcera pas. Cette mise à l’écart est inacceptable.

De surcroît, nous sommes très inquiets des arbitrages qui seront faits ou qui ont déjà été décidés. Le renforcement de l’effort en faveur de certains programmes indispensables – programme spatial et programme numérique – ou plus discutables – propulsion nucléaire du futur porte-avions et cession de Rafale à la Croatie et la Grèce – pénalise d’autres programmes pourtant prioritaires, affectés par des économies et des reports.

Dans un premier temps, nous alertons le Gouvernement sur la fragilisation des programmes qui touchent directement les conditions de vie et de travail du personnel de nos armées, programmes qui avaient permis de dire de cette LPM qu’elle était « à hauteur d’homme ». Certes, nous saluons l’ajustement de 240 millions d’euros fait en faveur du plan Famille en 2019 et en 2020, mais, en parallèle, un nombre important de programmes qui touchent directement la protection, la sécurité et le bien-être de nos soldats, notamment ceux qui sont engagés en OPEX, ont fait l’objet de renoncements. J’en veux pour preuve l’abandon de 123 véhicules blindés légers par rapport à l’objectif initial. Du fait de leur mission de reconnaissance et de liaison en OPEX, ces véhicules sont très exposés aux mines et aux engins explosifs improvisés. Leur rénovation est donc essentielle pour la protection de nos soldats. Les objectifs relatifs au parc de véhicules blindés multi-rôles, comme le Griffon – eux aussi assurent la sécurité des soldats en OPEX –, déplorent également le manque de 27 véhicules.

D’autres aspects de la vie de nos forces armées, et pas des moindres, restent encore délaissés. L’effort en faveur du service de santé des armées semble trop faible alors que les départs de médecins des forces, dus notamment au manque de moyens et à la sursollicitation, sont nombreux.

Ce déficit de médecins compromet le suivi psychologique de nos soldats, lesquels sont pourtant particulièrement exposés aux traumatismes et à d’autres blessures psychiques. À ce sujet, nous nous interrogeons sur les effets qu’aura le dispositif Athos, expérimenté cette année. Pour ces personnels, comme pour l’ensemble du corps médical des forces armées, on se demande encore par quels moyens le ministère entend lutter contre le turnover.

En 2020, le rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire confirmait que le nombre de départs dans les forces armées restait particulièrement élevé. Nos soldats ne sont pas épargnés ; ils quittent les armées notamment en raison de logements inadaptés à leurs besoins, ou simplement défaillants. Le groupe écologiste soutient donc des efforts plus importants en faveur des infrastructures, des équipements et des services essentiels aux conditions de vie et de travail de nos forces armées, ainsi que du personnel de santé.

En second lieu, nous formons le vœu que les programmes faisant l’objet d’une coopération européenne, comme le système de lutte anti-mines du futur (Slamf), ne soient pas sujets à des reports, à l’heure où la construction de l’Europe de la défense est un enjeu crucial. Alors que le Président de la République n’a que ce mot à la bouche, il est essentiel que, pour une fois, les actes suivent les paroles.

En effet, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considèrent que le maintien à long terme d’un modèle d’armée complet est insoutenable pour une puissance moyenne comme la France, en particulier quand le spectre opérationnel s’élargit à de nouveaux espaces de conflictualité comme le numérique ou le spatial – vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre.

Dans l’équilibre actuel des grandes puissances mondiales, nous devons penser à l’échelle continentale. Une coopération systématique entre les armées européennes permettrait à la France, en allant au bout du pari de l’interdépendance communautaire européenne, de dépasser l’idée selon laquelle nous pourrions prolonger indéfiniment ce coûteux modèle.

C’est précisément ce que nous enseignent les ajustements dont nous débattons : le déploiement accéléré de programmes à effet majeur dans ces nouveaux espaces de conflits se répercute sur les investissements nécessaires à l’entretien et à la modernisation du reste de notre appareil militaire et sur l’attractivité des métiers de nos armées.

C’est donc en partie pour des raisons financières que la France doit se projeter davantage dans une stratégie pleinement continentale, en recherchant activement des coopérations européennes pour l’ensemble de ses programmes.

Au-delà même de cette question financière, l’Europe de la défense est essentielle dans le contexte actuel de reconfiguration de l’espace mondial.

Cette Europe de la défense doit aller au-delà du seul financement du développement de technologies et de capacités militaires. Tel est désormais le cas, d’ailleurs, grâce au Fonds européen de la défense (FED). L’affaiblissement progressif de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) exige bien davantage.

À cet égard, la question de l’avenir du parapluie nucléaire se pose de manière accrue en Europe. Une réflexion s’impose quant au rôle du parapluie français, alors que nous nous engageons dans un renforcement de notre système de dissuasion nucléaire. Ne devrions-nous pas, à l’inverse, engager une discussion commune afin de progresser vers la réduction de nos arsenaux respectifs, dans l’esprit du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui nous engage ? La France ne saurait maintenir indéfiniment son système actuel de dissuasion nucléaire.

Au-delà de ces questionnements relatifs aux rapports entre l’Europe de la défense et l’alliance transatlantique, il est indéniable qu’un consensus se dessine sur la nécessité de progresser vers un véritable outil de défense européen. La France a joué, joue et doit continuer à jouer un rôle moteur en la matière.

Mes chers collègues, vous l’avez compris : si aujourd’hui notre groupe ne s’oppose pas à cet effort budgétaire, c’est parce que nous considérons qu’un tel effort devrait servir la vision européenne de la défense que nous soutenons.

Au milieu du gué, il nous paraît de toute façon difficile de revoir à la baisse la trajectoire budgétaire prévue : il ne faudrait pas reculer encore au détriment de programmes essentiels déjà pénalisés par vos arbitrages.

Voilà esquissée notre contribution au contrôle parlementaire qui aurait dû avoir lieu. Le Gouvernement ayant décidé de s’affranchir de la loi malgré les innombrables éléments qui nécessitent une actualisation législative, nous voterons contre cette déclaration.

Parmi les menaces auxquelles nous aurons à faire face au cours des prochaines années, les plus importantes ne seront pas de celles que l’on éloigne grâce à une armée puissante.

Ces menaces, ce sont celles que représentent les effets dévastateurs du changement climatique aux quatre coins du globe.

Du Proche-Orient au Sahel, où nos troupes continuent de se battre, le changement climatique et son cortège de sécheresses et de catastrophes naturelles sont et seront à l’origine de l’immense majorité des conflits armés.

Cela vous paraîtra peut-être encore suffisamment éloigné de vos propres vies pour que vous ne vous en alarmiez pas outre mesure. Mais, mes chers collègues, peut-être avez-vous lu vous aussi le document du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié ce matin par l’Agence France Presse (AFP). Peut-être avez-vous lu ces mots : « Le pire est à venir, avec des implications sur la vie de nos enfants et de nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre. » Dès lors, peut-être entendrez-vous notre appel : nous ne pouvons miser sur la montée en puissance de notre seul appareil militaire pour assurer la stabilité de la France et de l’Europe dans les prochaines décennies. Même si nous parvenons à limiter à deux degrés la hausse des températures, les conséquences du changement climatique dans l’espace mondial seront telles que seule une solidarité mondiale exceptionnelle permettra d’y faire face.

Pas plus tard qu’hier, nous débattions du projet de loi de programmation relatif à l’aide publique au développement, dont les montants paraissent bien dérisoires par rapport aux dépenses de défense.

Pourtant, en luttant contre la raréfaction des ressources naturelles, pour la préservation des terres agricoles et, plus largement, pour le maintien des populations locales sur leurs lieux de vie, on fera plus pour préserver l’humanité de la guerre qu’avec tout l’arsenal militaire possible et imaginable.

Ces deux débats successifs sur deux lois de programmation témoignent de la nécessité d’un changement de pied de notre action extérieure ; hélas ! nous en sommes bien loin !

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