Intervention de Gilbert Roger

Réunion du 23 juin 2021 à 15h00
Programmation militaire — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Photo de Gilbert RogerGilbert Roger :

Cette décision est tout d’abord une erreur de droit. En effet, l’article 7 de la LPM prévoit explicitement une actualisation en 2021. Je vais me permettre, monsieur le Premier ministre, de vous en donner lecture, au cas où vous ne l’auriez pas bien lu : « La présente programmation fera l’objet d’actualisations, dont l’une sera mise en œuvre avant la fin de l’année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l’évolution des effectifs jusqu’en 2025. » Cette disposition correspond donc à un devoir du Gouvernement. Une petite déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, ne saurait se substituer, en droit, à la discussion article par article d’un projet de loi autorisant l’exercice du droit d’amendement. Un débat n’a pas force de loi ; vous faites donc le choix, dans un État de droit, de vous asseoir sur un texte pourtant adopté à une très large majorité par le Parlement.

Si cette décision est une erreur de droit, elle est aussi une faute politique. Notre nation s’est engagée dans un effort contributif très important en faveur des armées d’ici à 2025. Le financement de certains projets, dont le choix de la propulsion nucléaire pour le futur porte-avions, va nous engager sur plusieurs générations.

Par ailleurs, le désengagement de Barkhane, annoncé par le Président de la République sans davantage de consultation du Parlement, alors que ce dernier doit approuver tout engagement extérieur de plus de quatre mois, justifie à lui seul la nécessité d’un débat sur la LPM. C’est une faute politique que de refuser de consulter le Parlement sur une politique publique aussi majeure et stratégique que la défense de la Nation.

Cette décision est d’autant plus étonnante que le Parlement, en particulier le Sénat et sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n’a jamais fait défaut à la ministre des armées. Nous avons adopté très largement la LPM et nous avons voté, dans les projets de loi de finances successifs, les crédits correspondant aux trois premières années d’exécution de la LPM.

Peut-être le Gouvernement pense-t-il que le Parlement n’est pas en mesure d’entendre les besoins d’ajustement et de redéploiement ? Cela est fâcheux, alors que cette LPM était le fruit d’une coconstruction intelligente – le président Cambon l’a rappelé – entre le Parlement et la ministre des armées. En matière de défense, il faut chercher le consensus, qui fait partie des acquis de la Ve République.

Quelles sont les conséquences de cette volonté de contourner le Parlement ?

L’article 3 de la LPM ne détaille les ressources en crédits de paiement de la mission « Défense » que jusqu’à l’année 2023 incluse, pour un montant total de 197, 8 milliards d’euros pour la période 2019-2023. Le même article prévoit en outre que les « crédits budgétaires pour 2024 et 2025 seront précisés à la suite d’arbitrages complémentaires dans le cadre des actualisations prévues à l’article 7, prenant en compte la situation macroéconomique à la date de l’actualisation ainsi que l’objectif de porter l’effort national de défense à 2 % du produit intérieur brut en 2025. » Autrement dit, les exercices 2024 et 2025 ne sont pas couverts par cette LPM. Ainsi, en programmation, ce sont environ 97 milliards d’euros qui passent à la trappe, puisque les prévisions de la LPM s’élevaient à 295 milliards d’euros sur la période 2019-2025.

Le même tour de passe-passe est effectué sur les effectifs. Alors que l’article 6 de la LPM reporte l’essentiel de l’effort à la fin de la période, l’annulation de l’actualisation rend très hypothétiques les quelque 4 500 créations d’emplois prévues entre 2023 et 2025.

Je souhaite enfin apporter quelques précisions sur vos renoncements par rapport aux objectifs fixés, dans la mesure où le Gouvernement raisonne à enveloppe budgétaire constante. Les travaux menés nos rapporteurs, en particulier par le président Cambon, sur l’actualisation de la loi de programmation ont mis en évidence deux risques majeurs pesant sur la trajectoire financière : les OPEX et l’export d’armement.

Le désengagement de Barkhane est un processus qui ne peut être que progressif, tant sur le plan opérationnel que sur le plan budgétaire. On peut donc escompter une diminution en sifflet jusqu’au terme de l’exécution de l’actuelle LPM, mais – Mme la ministre l’a rappelé à juste titre – la fin de Barkhane ne signifie pas notre désengagement du Sahel.

Pour ce qui concerne le soutien aux exportations, deux difficultés se font jour : d’une part, la cession de matériels d’occasion, prélevés sur le parc existant ; d’autre part, l’accélération de certaines commandes de matériel neuf visant à soutenir le plan de charge des entreprises de notre base industrielle et technologique de défense.

Si cet effort contribue à la pérennité et à l’autonomie stratégique de notre industrie de défense, ce modèle affaiblit les capacités opérationnelles des forces. On a abordé la question de l’estimation du coût de cession des Rafale d’occasion à la Grèce et à la Croatie ; l’opération est bienvenue, mais comment allons-nous négocier cette délicate transition entre le prélèvement des appareils vendus et l’arrivée du nouveau matériel ? Nous estimons à 960 millions d’euros le coût de l’ajustement lié à ces exports.

Par ailleurs, la commande d’une troisième frégate de défense et d’intervention, passée en mars 2021 pour une livraison en 2025, n’était pas prévue dans la LPM.

J’en arrive aux renoncements qu’implique cette actualisation. L’absence d’une véritable transparence sur les arbitrages défavorables nous oblige à procéder par déduction pour identifier les reports ou les retards de livraison, qui concerneront le Slamf, le programme Capacité hydrographique et océanographique future (CHOF), le système de drones tactiques ou encore le remplacement des poids lourds de 4 à 6 tonnes.

D’autres renoncements par rapport à la cible sont à déplorer en matière de parc matériel : réduction de la capacité des Rafale, retards de livraison sur les véhicules terrestres, déficit préoccupant de médecins au service de santé.

Il est regrettable que l’exigence de transparence envers le Parlement sur l’ensemble de ces points ne soit pas respectée. Le contrôle parlementaire est indispensable au succès de l’action militaire du Gouvernement. Nous regrettons sincèrement que votre gouvernement ait fait le choix de le contourner, monsieur le Premier ministre.

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