Je ne reviendrai pas sur l’intervention du président Cambon, que je soutiens totalement. Vous avez senti, monsieur le Premier ministre, car vous êtes un homme suffisamment subtil pour évaluer toutes les variations des caractères, combien le président de la commission des affaires étrangères et de la défense nationale, ainsi que tous les membres de cette commission, étaient choqués par une procédure dont ils ne comprennent absolument pas l’utilité. Vous disposez en effet dans cette assemblée, au-delà des divisions partisanes, d’un très large soutien concernant l’action de notre armée et la façon dont elle est conduite.
Je ne reviendrai pas non plus sur l’intervention brillante de mon jeune collègue Cédric Perrin, qui maîtrise absolument ces dossiers. Je voudrais simplement vous saisir, monsieur le Premier ministre, de l’obligation qui vous est faite d’engager le débat en réponse aux appels du Président de la République lui-même.
Voilà en effet une situation extraordinaire : en juin 2018, nous adoptons une loi de programmation militaire ; en décembre 2019, c’est-à-dire dix-huit mois plus tard, le Président de la République, parce qu’il est jeune et parce qu’il aime la provocation – on peut bien évidemment le lui pardonner –, nous explique que l’OTAN est en mort cérébrale. Enfin, tout récemment, le 10 juin dernier, il annonce, quelques semaines après un débat parlementaire sur l’opération Barkhane, la fin de cette dernière. Madame la ministre, vous ne l’aviez sans doute pas pressentie, puisque nous ne l’avions pas évoquée durant ce débat auquel vous avez participé. Vous aviez donc l’occasion, au travers d’un débat parlementaire, de rétablir le lien de confiance et de compréhension entre un Parlement, en tout cas un Sénat, qui soutient pour l’essentiel cette action, et votre action elle-même, qui doit s’adapter à l’environnement.
Permettez-moi de prendre pour exemple la « mort cérébrale » de l’OTAN. Il se trouve que l’OTAN a choisi – j’y vois une victoire diplomatique pour la France – de se réunir à Paris pour annoncer son nouveau programme. Dans un communiqué interminable, tout à fait typique de cette littérature internationale incompréhensible dont la boussole indique rarement le nord, sont égrenés – quand même ! – quelque soixante-dix-neuf points ; mais on n’y trouve aucune des réponses aux questions que le Président de la République posait à juste titre.
Ainsi de la Turquie, membre de l’OTAN, qui compromet notre vision collective européenne en Syrie, en Méditerranée orientale ainsi qu’au Caucase, naturellement, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Concernant par ailleurs l’ennemi que l’OTAN voudrait nous imposer – je suis président du groupe d’amitié France-Russie –, que la relation bilatérale avec la Russie ne soit pas la plus simple à cogérer, c’est certainement vrai. Mais le Président de la République a-t-il l’intention d’épouser la politique de l’OTAN consistant à faire de la Russie l’ennemi que vous aimerez haïr ? Je pense profondément qu’un débat parlementaire aurait permis d’approfondir ce sujet et que des leçons auraient pu en être tirées.
Derrière la Turquie, en effet, il y a des moyens matériels. Si les avions grecs nous posent des problèmes, si les avions croates nous posent d’autres problèmes – Cédric Perrin, notamment, les a évoqués –, c’est bien qu’il y a un sujet turc en Méditerranée et une absence de réponse et de clarification de la part de l’OTAN.
Nous avions besoin de ce débat, et il n’a pas eu lieu. À ce tableau j’ajouterai la Chine, dont les États-Unis, à juste titre, dénoncent les menées impérialistes en mer de Chine orientale, vis-à-vis du Japon, et dans le détroit de Formose, vis-à-vis de Taïwan. Allons-nous être entraînés dans cette affaire, et de quels moyens disposerons-nous ?
Sur le sujet des moyens militaires et maritimes, les réponses apportées dépendent aussi de ce que font nos alliés. De ce débat, nous avions besoin ; et vous n’auriez d’ailleurs dû avoir aucune crainte à l’ouvrir devant nous car, en général, nous nous parlons et nous nous comprenons. Or vous ne le faites pas ; c’est complètement désarmant !