Intervention de Hélène Conway-Mouret

Réunion du 23 juin 2021 à 15h00
Programmation militaire — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, mes chers collègues, malgré des débuts très chaotiques marqués, en 2017, par une coupe drastique de 850 millions d’euros, nous avons abordé l’examen du projet de loi de programmation militaire, l’année suivante, dans un état d’esprit de consensus et de dialogue permanent avec la ministre, qui prévaut jusqu’à ce jour.

Entendez, dès lors, notre incompréhension totale, exprimée par notre collègue Gérard Longuet, face au choix assumé que vous faites de ne pas respecter l’article 7 de la loi que nous avons adoptée, tout en rappelant, par ailleurs, que vous respectez le Parlement. Le « en même temps » a ses limites… Entendez également notre incompréhension de vous voir finalement privilégier un débat de trois heures, alors que nous discutons du plus gros investissement de l’État, qui détermine les moyens consacrés à la défense de notre pays et à la sécurité de celles et de ceux qui s’engagent pour assurer cette défense.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir prévu un vote sur un projet de loi d’actualisation plutôt qu’un blanc-seing politique ? Nos militaires, comme nos industriels, d’ailleurs, n’attendent pas des indications, mais des engagements chiffrés ; surtout, ils attendent de savoir que ceux-ci seront respectés, comme ce fut le cas depuis trois ans.

Nous nous réjouissons de la bonne exécution de la LPM, mais l’actualisation nous aurait offert des garanties concernant l’exécution à venir. L’incertitude de la courbe du PIB, que vous avancez comme argument, devrait au contraire nous convaincre de sécuriser la trajectoire budgétaire de la défense pour les années 2024 et 2025.

Ce débat est un rendez-vous raté. Notre soutien était acquis à une véritable discussion sur les ajustements à apporter en cours de programmation. Nous souhaitions accompagner des décisions parfois difficiles, parce que nous les comprenons, et continuer tout simplement à travailler dans la confiance et la transparence sur les enjeux majeurs que sont l’amélioration opérationnelle, la disponibilité des équipements, l’évolution des effectifs et le respect de la trajectoire financière.

Pour ce qui est du bilan, au tiers du parcours de la LPM, les réponses partielles du ministère des armées nous ont confirmé ce que nous savions déjà, à savoir qu’il existe des besoins nouveaux et que ceux-ci devront être financés à enveloppe constante.

Certains grands projets financièrement très lourds seront probablement sanctuarisés : le renouvellement de la dissuasion nucléaire, le porte-avions de nouvelle génération ainsi que – nous le savons depuis quelques heures – le système de combat aérien du futur (SCAF). Mais nous craignons des effets d’éviction sur d’autres programmes, d’autant que l’apparition de nouvelles menaces génère des besoins capacitaires dans les domaines spatial et cyber ou dans celui de la lutte anti-drones. Concernant l’armée de terre, le traitement des obsolescences du char Leclerc sera coûteux ; si l’on veut être prêt pour la haute intensité et réaliser l’Ambition 2030, cette remise à niveau devra se faire sans effet d’éviction sur d’autres aspects du programme Scorpion.

Certes, les évolutions de la programmation sont naturelles dans un contexte stratégique fluctuant, s’agissant de programmes industriels lourds et technologiquement complexes. Mais nous avons besoin de clarté, monsieur le Premier ministre, sur les programmes sanctuarisés et sur ceux pour lesquels vous envisagez un ralentissement. Quels seront les impacts de ces arbitrages sur la mise en œuvre des objectifs de la LPM à l’horizon de 2025 ?

Les questions en suspens sont nombreuses, donc, rendant impérative une revoyure : il nous faut planifier l’avenir et ne pas nous contenter de revisiter le passé, que nous connaissons.

Si l’on prend en compte les surcoûts des OPEX et les diverses dépenses nouvelles de soutien et d’imprévus, on dépasse à l’évidence les 8 milliards d’euros – cela a été dit. Il s’agit certes d’estimations, mais elles n’ont rien de fantaisiste : nous nous contentons de recenser des ajustements qui sont indiscutables. Si le Gouvernement n’est pas d’accord sur les chiffres, il lui appartient de mieux en informer le Parlement.

Je voudrais également mettre l’accent sur l’un des objectifs majeurs de la loi de programmation : celui qui consiste à prendre en compte les besoins « à hauteur d’homme et de femme ».

Les programmes à effet majeur sont indissociables des autres opérations d’armement qui visent à renforcer les équipements et la protection individuelle de nos soldats. Qu’il s’agisse de l’armement léger, de la vision nocturne ou des dispositifs de lutte contre les engins explosifs, l’effort d’équipement promis au titre de la LPM ne doit pas être relâché.

Concrètement, un suivi tout particulier doit être accordé aux petits équipements, qui occupent une grande place dans la sécurité du combattant et doivent être préservés à tout prix, ou « quoiqu’il en coûte », comme pourrait dire le Président de la République. À l’heure où la nouvelle nous arrive d’une énième attaque à la voiture piégée au Sahel, je voudrais adresser une pensée solidaire à nos blessés et à leurs familles et exprimer toute notre reconnaissance à celles et ceux qui s’engagent jusqu’au sacrifice de leur vie.

Face à la menace des mines et des engins explosifs, nous demandons l’accélération de la livraison des kits de blindage commandés en urgence, afin de renforcer la protection des véhicules blindés légers.

Comme l’a dit mon collègue Cédric Perrin, il faudrait aussi songer à ériger en priorité nouvelle le projet de véhicule blindé d’aide à l’engagement, ou VBAE, pour commencer à remplacer le VBL avant la fin de la LPM.

Nous constatons des retards dans les livraisons du programme Scorpion. Nous pouvons également nous interroger sur notre autonomie en matière d’approvisionnement en munitions. Notre rapport d’information a mis en évidence la nécessité de chiffrer dès à présent les besoins en matériels et en préparation opérationnelle afin de remplir les objectifs de l’actualisation stratégique et de l’Ambition 2030 – ces besoins se chiffrent en milliards d’euros.

La question des effectifs, c’est-à-dire de la fidélisation et de l’amélioration de la vie militaire, n’est pas accessoire par rapport à celle des équipements. Il y va au contraire de la valeur cardinale de nos armées, celle sur laquelle doit reposer le lien de confiance entre la Nation et ses forces armées – nous en sommes tous ici convaincus, je le sais. C’est pourquoi il est dommage que nous ne puissions offrir en retour aux femmes et aux hommes qui nous protègent, et qui méritent mieux qu’une simple déclaration politique ou générale, une loi d’actualisation sécurisant leurs moyens et leur condition militaire.

À cet égard, au nom de mon groupe politique, je m’associe pleinement à l’appel lancé en faveur du service de santé des armées. Il est urgent de doter ce service des personnels suffisants et d’offrir à nos médecins et infirmiers de meilleures conditions de vie, à la hauteur de leur engagement pour la Nation.

Pour toutes ces raisons, qui s’ajoutent à celles qui ont déjà été évoquées par mon collègue Gilbert Roger, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat votera contre la déclaration du Gouvernement.

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