Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 juin 2021 à 8h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement deuxième lecture — Examen du rapport, amendement 3

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur :

Nous sommes saisis en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement. Je constate avec regret que les conditions d'un accord entre les deux assemblées sur ce projet de révision constitutionnelle sont encore loin d'être réunies.

Pour mémoire, le texte déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale était le suivant : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Il avait été adopté sans modification par l'Assemblée nationale en première lecture.

Saisie de ce texte en première lecture, la commission des lois du Sénat avait relevé que la rédaction proposée avait une portée juridique beaucoup trop incertaine pour pouvoir être adoptée en l'état. Les pouvoirs publics sont d'ores et déjà soumis à de fortes obligations de valeur constitutionnelle ayant pour objet la protection de l'environnement, en application de la Charte de l'environnement de 2004, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité. En revanche, compte tenu notamment de l'emploi du verbe « garantir » et du défaut d'articulation avec la Charte, il avait paru impossible à la commission de déterminer avec un tant soit peu de précision les effets des dispositions envisagées, d'une part, sur l'engagement de la responsabilité des personnes publiques, d'autre part, sur la validité des actes des pouvoirs publics. Le Conseil d'État nous avait alertés sur l'emploi du verbe « garantir », en indiquant qu'il impliquait une quasi-obligation de résultat, dont les contours, au demeurant, restaient flous.

En première lecture, pour préserver la sécurité juridique, le Sénat avait donc substitué aux dispositions proposées une phrase selon laquelle « Elle [La France] préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 ». Cette rédaction supprimait la référence à la notion de « garantie » et levait, grâce à un renvoi exprès, tout problème d'articulation entre l'article 1er de la Constitution et la Charte de l'environnement. La substitution du verbe « agir » au verbe « lutter », déjà suggérée par le Conseil d'État, visait seulement, quant à elle, à éviter un effet rhétorique dénué de toute portée juridique.

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale, sous couleur de rechercher un terrain de compromis avec le Sénat, a presque intégralement rétabli son texte initial, en acceptant seulement le remplacement du verbe « lutter » par le verbe « agir », point tout à fait accessoire. Le texte adopté par les députés, aux termes duquel « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique », ne lève aucune des zones d'ombre du projet initial, et ses effets juridiques restent tout aussi indéterminés. Les députés n'ont pas cherché à répondre aux arguments juridiques exposés par la commission des lois du Sénat. Bien au contraire, les débats lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale n'ont fait qu'entretenir le flou sur les effets que le Gouvernement et sa majorité attendent de ce projet de révision.

Ainsi, alors qu'il prétendait auparavant que le projet de révision visait à assigner aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière de protection de l'environnement, le Gouvernement ne parle plus désormais que d'une « obligation de moyens renforcée », expression qui n'est nullement synonyme... Nous flottons donc toujours dans l'incertitude.

Le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, quant à lui, prétend toujours que le texte aurait pour effet d'« ériger la protection de l'environnement en principe constitutionnel », ce qui est tout simplement faux, puisqu'il s'agit déjà d'un principe à valeur constitutionnelle. Il a également déclaré que le texte adopté par les députés pourrait constituer « le support d'actions en carence contre le législateur », ce qui, pour le coup, constituerait une nouveauté, puisque, dans notre État de droit et conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, aucune juridiction n'a le pouvoir d'adresser des injonctions au législateur ni de condamner l'État à réparer les dommages causés par d'éventuelles carences de ce dernier. Il est bien évident que la disposition proposée ne suffirait pas, à elle seule, à opérer un tel bouleversement.

La prétendue concession faite au Sénat en deuxième lecture serait l'expression, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, de « l'esprit de dépassement et de rassemblement » qui « anime » la majorité présidentielle. Nous sommes nous aussi soucieux de « dépassement » et de « rassemblement », et notre objectif est de participer activement à la protection de l'environnement. Pour autant, notre responsabilité de Constituant est, aussi, de mesurer les conséquences juridiques des modifications que nous pourrions adopter.

Je vous propose par conséquent de ne pas retenir la nouvelle rédaction adoptée par l'Assemblée nationale. L'amendement n° 3 que je vous soumets aujourd'hui diffère légèrement du texte adopté par le Sénat en première lecture, puisqu'il prévoit qu'« Elle [La France] agit pour la préservation l'environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 ».

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