Je souligne la convergence d'analyse entre les rapporteurs et notre groupe. Ce texte vient d'une promesse du Président de la République, à la suite du Grand débat national qui l'avait mené à la rencontre des élus locaux, et lors duquel il avait lui-même posé un certain nombre de questions : Y a-t-il trop d'échelons administratifs au niveau des collectivités territoriales ? Faut-il renforcer la décentralisation et donner plus de pouvoir de décision et d'action au plus près des citoyens ? À quels niveaux et pour quels services ? Et il dessinait une partie de la réponse en promettant de changer le mode d'organisation de notre République et en annonçant ce fameux texte, qui aura changé trois fois de nom, ou plutôt de chiffre - 3D, 4D, et aujourd'hui 3DS - et surtout qui aura mis deux ans à arriver devant le Sénat - et encore, dans des conditions ne permettant pas un travail serein.
Il s'agit d'un texte sans armature, sans cohérence et constitué de dispositions hétéroclites. Ce n'est pas la réponse aux questions posées par le Président de la République lui-même. Ce n'est en rien l'acte III de la décentralisation. C'est tout simplement un acte manqué. Le Gouvernement souhaite en fait, avec ce texte, acter la fin des réformes. Il dit vouloir faire preuve de pragmatisme, mais nourrit les contradictions, car, en matière de simplification, il introduit de la complexité supplémentaire en multipliant les dérogations aux textes en vigueur.
Ce texte, c'est d'abord ce qu'il n'aborde pas. Les relations financières entre l'État et les collectivités, par exemple, et la nécessité que nous rappelons depuis de nombreuses années d'une loi de finances spécifique pour les collectivités territoriales. Il brille par l'absence de mesures fortes permettant une meilleure coordination de l'action de l'État dans les territoires avec les collectivités. Il n'apporte aucun approfondissement de la démocratie locale, ce à quoi, malheureusement, la commission souscrit, puisque nos amendements sur ce sujet sont susceptibles d'être déclarés irrecevables au titre de l'article 45, ce qui nous amènera à demander que la commission précise le périmètre de l'application de cet article : comment ne pas évoquer la problématique de la démocratie locale au lendemain d'élections qui ont vu les Français bouder massivement les urnes et marquer ainsi leur défiance à l'égard des gouvernants de quelque niveau que ce soit, y compris locaux ? Nous avons besoin de renouer la confiance entre nos concitoyens, leurs représentants et les institutions.
Le titre Ier devait constituer l'axe majeur de la politique du Gouvernement à destination des territoires : reconnaître aux élus davantage de marges de manoeuvre pour exercer leurs compétences. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet axe trouve une traduction tout à fait limitée dans le texte, qui se borne à une mise en forme de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il est nécessaire d'aller plus loin, notamment concernant le cadre réglementaire.
Le titre II fait abusivement référence à la transition écologique, puisque la plupart de ses articles n'y participent pas. Il s'agit en fait de transferts de compétences, minimes, ou de clarifications. Tout cela complexifie la mise en oeuvre des compétences des uns et des autres et introduit de l'incohérence dans les territoires. On pourrait citer, à cet égard, la question des transferts des routes nationales : une fois à la région, à titre expérimental, une autre aux départements... Puis une autre aux métropoles ! Je pense aussi à la possibilité, pour toutes les collectivités, d'installer des radars : on peut imaginer la cohérence du dispositif en matière de sécurité routière...
Le titre III, relatif à l'urbanisme et au logement, constitue un amoncellement de dispositions et d'ajustements assez techniques, et ne comporte guère de mesures pour repenser la politique du logement. Certaines sont utiles, notamment sur la mise en oeuvre des plans locaux de l'habitat et la prolongation de l'expérimentation de l'encadrement des loyers. Mais il y a aussi des points de vigilance, notamment sur l'application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (dite « SRU »), qui fait l'objet d'un certain nombre de dérogations qui pourraient amoindrir son efficacité.
Concernant la santé, le texte ne comporte aucune mesure spécifique au niveau régional, pourtant au coeur de la territorialisation des politiques publiques de santé. Nous aurons bien évidemment à revenir sur la gouvernance des ARS par le biais des amendements que nous avons déposés, le projet du Gouvernement restant au milieu du gué.
Le titre V relatif aux dispositions financières est totalement vide. Le titre VI portant sur les mesures de déconcentration est une appellation abusive, car il contient aussi des mesures de recentralisation, comme en attestent les articles 45 et 46 qui renforcent le rôle du préfet sur les agences de l'eau et de l'Ademe, ce qui est, à nos yeux, inacceptable. Le titre VII est assez pauvre. Concernant les dispositions relatives à l'outre-mer, le projet de loi ne porte clairement aucune ambition particulière pour ces territoires qui méritent beaucoup plus d'attention.
Au final, ce texte ne tire aucune conséquence de la triple crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons, alors qu'il aurait fallu renforcer la capacité des collectivités territoriales à agir en coordination avec l'État. Nous proposerons en conséquence un certain nombre d'amendements sur les différents aspects de ce texte.