Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 5 mai 2010 à 14h30
Entrepreneur individuel à responsabilité limitée — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen par le Parlement du projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’EIRL.

Cet examen fut particulièrement rapide puisque les deux assemblées n’ont disposé que de trois mois pour travailler sur un dispositif qui était présenté, à juste titre d’ailleurs, comme une innovation juridique majeure.

Cette innovation majeure tient au patrimoine professionnel d’affectation sans création d’une personne morale : un entrepreneur pourra désormais affecter à son activité professionnelle une partie de ses biens, qui constitueront la garantie de ses dettes professionnelles, sans pour autant devoir créer une société.

L’entrepreneur à patrimoine affecté ne sera donc plus responsable de ses dettes professionnelles sur l’ensemble de ses biens. Son patrimoine personnel et celui de sa famille devraient être ainsi mieux protégés des aléas de son activité économique.

Le projet de loi prévoit également un régime fiscal et social spécifique pour cette nouvelle catégorie d’entrepreneurs avec, en particulier, la possibilité d’opter pour l’impôt sur les sociétés, dans un souci d’alignement sur le régime fiscal de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, l’EURL. Nous nous sommes d’ailleurs demandé s’il ne fallait pas supprimer l’EURL. Mais nous reviendrons sur ce sujet.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie la semaine dernière, a permis de trouver les voies d’un compromis positif avec l’Assemblée nationale sur les quelques dispositions restant réellement en discussion.

À l’Assemblée nationale, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire était saisie au fond de ce texte. Elle a été à l’origine d’excellentes dispositions, notamment en matière de transmission de l’entreprise. Cela prouve, une fois encore, que le bicamérisme a bien un sens : chaque assemblée a gardé son identité mais nos travaux ont été complémentaires.

Les échanges réguliers, confiants et fructueux que j’ai pu nouer avec le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, Mme Laure de la Raudière, durant toute la discussion de ce texte, ont bien sûr facilité la réalisation du compromis auquel est parvenu la commission mixte paritaire, sous la présidence éclairée de M. Patrick Ollier, que je tenais en cet instant à remercier.

Monsieur le secrétaire d’État, un point majeur de divergence demeurait avec l’Assemblée nationale : l’opposabilité de la déclaration d’affectation aux créanciers antérieurs. Cette question a été la plus débattue lors des travaux de la commission mixte paritaire, par les sénateurs comme par les députés, et je suis persuadé qu’aucun de ses membres n’a oublié ces débats.

Sur ce point, je le rappelle, le Sénat en était revenu à la rédaction initiale du projet de loi : la création du patrimoine affecté n’était opposable qu’aux créanciers dont les droits étaient nés postérieurement, que les créances soient professionnelles ou personnelles. Ainsi, les créances antérieures à la création du patrimoine affecté conservaient pour gage l’intégralité du patrimoine de l’entrepreneur.

L’Assemblée nationale avait décidé que la déclaration d’affectation serait opposable de plein droit aux créanciers antérieurs. De la sorte, du jour au lendemain, les créanciers professionnels de l’entrepreneur auraient vu l’assiette de leur droit de gage se réduire aux seuls biens professionnels affectés.

Cette disposition soulevait un véritable problème constitutionnel en remettant en cause l’équilibre de contrats légalement conclus sans motif d’intérêt général. Elle posait également un problème de nature économique dans la mesure où elle aurait été de nature à fragiliser les relations entre les entrepreneurs et leurs créanciers. Ces derniers sont certes des banquiers, et à ce titre ils savent prendre des garanties sur les biens personnels, mais ils sont aussi les fournisseurs d’autres petits entrepreneurs, qui auraient alors été lésés. Or, l’on connaît l’importance du crédit fournisseur dans notre pays. Il s'agit là d’une singularité française, qui est peut-être regrettable et qui est en tout cas sans équivalent chez nos voisins.

Il n’était pas possible d’accepter que les créanciers de l’entrepreneur puissent, du jour au lendemain, se voir opposer une déclaration d’affectation de patrimoine professionnel pour faire obstacle au recouvrement de créances légalement contractées. C’eût été introduire la suspicion et la méfiance dans les relations économiques de l’entrepreneur individuel !

À titre de compromis, le rapporteur de l’Assemblée nationale a proposé une solution intermédiaire, aux termes de laquelle l’entrepreneur a la faculté de rendre opposable la déclaration d’affectation aux créanciers antérieurs, qui disposent alors d’un droit d’opposition. Un tel mécanisme suppose une information réelle – j’insiste sur ce point – des créanciers concernés, afin que ceux-ci puissent faire jouer effectivement leur droit d’opposition.

À cet égard, la commission mixte paritaire a expressément refusé que l’information des créanciers antérieurs soit assurée par une simple publication, dans un journal d’annonces légales par exemple. Nos collègues François Pillet et François Zocchetto, et je les en remercie, ont, avec le talent que nous leur connaissons, défendu cette position qui a été reprise par la commission mixte paritaire.

Le texte renvoie désormais au pouvoir réglementaire le soin de définir les modalités d’information des créanciers antérieurs. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement doit savoir qu’une simple publication ne sera pas suffisante. Sans doute faudra-t-il prévoir une information directe et individuelle des créanciers. J’attache une grande importance à ces éléments, car ils sont liés à la constitutionnalité de l’opposabilité. Nous avons accepté le principe de l’opposabilité à la condition que les créanciers soient directement informés.

La commission mixte paritaire a confirmé le maintien de la déclaration d’insaisissabilité, dont le texte prévoyait initialement l’extinction. Selon l’étude d’impact qui a été réalisée, les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée seraient 100 000 à la fin de 2012 et il resterait encore, à cette date 1, 4 million d’entrepreneurs en nom propre, pour lesquels l’insaisissabilité conservera nécessairement un intérêt, du fait de sa simplicité et de son efficacité.

Ce mécanisme, créé en 2003, puis étendu en 2008, permet à un entrepreneur individuel de déclarer insaisissables, devant notaire, sa résidence principale et ses biens immobiliers non professionnels.

Quelques difficultés subsistaient également quant à la possibilité de disposer de plusieurs patrimoines d’affectation. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer à plusieurs reprises, il n’existe aucun argument juridique s’opposant à ce qu’un même entrepreneur puisse créer plusieurs patrimoines professionnels, d’autant qu’il peut aujourd’hui fonder autant de sociétés unipersonnelles qu’il le souhaite.

Néanmoins, pour répondre aux voix multiples qui s’inquiétaient de la complexité pratique que provoquerait la pluralité des patrimoines affectés, j’ai proposé, et la commission mixte paritaire m’a suivi sur ce point, que la possibilité de constituer plusieurs patrimoines soit reportée au 1er janvier 2013. Cela nous permettra de réaliser une évaluation sérieuse.

Enfin, la commission mixte paritaire a procédé à quelques modifications de moindre importance.

Le Sénat ayant adopté des dispositions concernant la possibilité pour les mineurs de créer et de gérer une entreprise, le rapporteur de l’Assemblée nationale a proposé d’utiles mesures d’encadrement.

Le Sénat ayant veillé à ce que les procédures prévues au livre VI du code de commerce soient toutes applicables aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, y compris les procédures de prévention des difficultés des entreprises, j’ai proposé à la commission mixte paritaire de prévoir la transmission au greffe du tribunal de commerce des comptes annuels lorsque ceux-ci n’y sont pas déposés, afin que le président du tribunal de commerce puisse correctement exercer ses missions de prévention.

À cet égard, je me félicite que le Sénat ait conditionné l’entrée en vigueur du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée à la publication de l’ordonnance destinée à adapter toutes les procédures collectives. Le Gouvernement, je le rappelle, dispose de six mois pour édicter ce texte. En effet, nous n’aurions pu laisser les entrepreneurs dans un tel vide juridique pendant une trop longue période.

Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de déplorer de nouveau le délai trop bref laissé au Parlement pour examiner ce texte. Si nous avions disposé de plus de temps, nous aurions, j’en suis convaincu, pu adopter les procédures collectives – c’est un domaine dans lequel nous avons une certaine expérience –, évitant ainsi au Gouvernement de devoir légiférer par ordonnance. Sachez que je serai particulièrement vigilant, tout comme l’ensemble de la commission des lois, quant au contenu de cette ordonnance.

Mes chers collègues, je me suis déjà réjoui des excellentes relations que j’ai nouées avec le rapporteur de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Je suis heureux que nous ayons travaillé dans le même esprit, monsieur le secrétaire d'État : vous avez su écouter et respecter la voix que le Sénat a tenu à faire entendre.

Il ne me reste donc plus qu’à souhaiter longue vie et plein succès à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, que nous allons porter ensemble sur les fonts baptismaux législatifs.

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