Intervention de Dominique Simonnot

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 juin 2021 à 17h00
Audition de Mme Dominique Simonnot contrôleure générale des lieux de privation de liberté pour la présentation de son rapport annuel

Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je vous remercie de m'accueillir. J'ai relu avec émotion le formidable rapport du Sénat de juin 2000 « Prisons : une humiliation pour la République ». Comment est-il possible que, vingt ans plus tard, nous en soyons toujours au même point ? Il semble que nous nous soyons habitués à cette humiliation, alors même que la population carcérale a fortement ré-augmenté depuis septembre dernier. Dans ma vie de journaliste, j'écrivais souvent que les détenus vivaient à trois dans 9 mètres carrés. C'est faux : maintenant que les portes des cellules m'ont été ouvertes, je peux affirmer qu'ils vivent en réalité dans 4,2 mètres carrés, si l'on retranche le mobilier et les sanitaires. L'image est effarante, surtout en ces temps de covid-19, où l'on sait que ces personnes passent vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule. Ces conditions de vie ne sont plus possibles. Il faut en terminer avec la surpopulation ! Un effort a été fait par la garde des Sceaux précédente pour vider les prisons en raison de la crise sanitaire, puis nous avons laissé le flux remonter de plus belle. Le nombre d'entrées en détention dépasse aujourd'hui celui des sorties. Comment en sommes-nous arrivés à nous habituer à cet état de fait ?

Cette année a été bouleversée, notamment en raison d'une vacance de poste de trois mois après le départ d'Adeline Hazan. En effet, sans contrôleur, il n'est pas possible d'organiser des visites dans les lieux de privation de liberté. Dès mon arrivée, nous avons repris les visites, et c'est seulement à ce moment-là que j'ai pu découvrir ces lieux de l'intérieur.

Mon premier sujet de préoccupation est celui des enfants et adolescents placés dans les centres éducatifs fermés ou dans les établissements pour mineurs. Je souhaiterais que plus d'attention soit accordée à ces derniers, qui sont de véritables « cabossés de la vie ». Comme vous le savez, plus de la moitié d'entre eux sortent de l'aide sociale à l'enfance (ASE), et ont été ballottés de foyers en familles d'accueil. Je constate que les plus jeunes et les plus âgés d'entre nous sont souvent les moins protégés dans notre société. Toutefois, j'ai eu la chance de visiter un centre éducatif fermé qui fonctionnait « du feu de dieu », c'est-à-dire avec une équipe pérenne, solide, appuyée par la présence quotidienne d'une institutrice, mais aussi d'un psychologue. Ce centre devrait être pris en modèle.

Vous le lirez dans le rapport, nous avons aujourd'hui beaucoup de mal à recruter des équipes d'éducateurs solides et formées, face à un public certes difficile, mais qui représente l'avenir de notre société. Mon équipe a contrôlé un autre centre, qui ne fonctionnait pas bien. Les difficultés de recrutement y étaient telles que deux anciens salariés de boîtes de nuit occupaient des postes d'éducateurs. Or, ces personnes réagissaient violemment à chaque tentative de provocation des adolescents, si bien que la situation dégénérait systématiquement. C'est pourquoi nous devrions porter une attention renforcée à ces centres éducatifs fermés. Si le Gouvernement a pour projet d'en construire vingt autres, son attention devrait aussi se porter sur les conditions de recrutement des éducateurs et sur leur formation. Par exemple, le centre que j'ai visité s'était complètement inséré dans son environnement rural, et les adolescents s'y sentaient bien. Pourquoi ? Parce qu'ils y apprenaient des métiers manuels, la cuisine, et beaucoup d'autres choses permettant de renforcer leur bien-être. Cela a été d'un grand réconfort pour moi. Mais si un tel centre peut fonctionner, comme on me l'a expliqué, c'est grâce au fait que les éducateurs sont un peu mieux payés et reconnus, mais aussi parce qu'il est inséré dans le tissu rural. Une réussite est donc possible.

Ensuite, un motif d'effarement a été la visite des locaux de garde à vue dans les commissariats. Le premier où je me suis rendue en 2020, près de Calais, se trouvait dans une sorte d'Algeco, dans lequel les policiers claquaient des dents de froid. Ces derniers nous ont montré à quel point la situation était honteuse. Une fois entrée dans la cellule, une horrible odeur m'a prise à la gorge : la chasse d'eau des sanitaires que se partageaient les personnes entendues ne fonctionnait pas. L'état du matelas sur lequel nous nous étions assis nous a fait nous demander si nous n'allions pas attraper la galle, ou même des punaises de lit - ce qui est fréquent. Surtout, à ma grande stupéfaction, j'ai vu des couvertures dégoûtantes entassées, datant d'il y a quinze jours. Ces couvertures étaient utilisées par les gardés à vue successifs, et ce en pleine crise sanitaire. Ces conditions d'hygiènes sont très choquantes. Depuis, nous continuons avec assiduité les visites, et nous constatons que la situation est la même partout, sauf peut-être en gendarmerie. Il y a un manque cruel de désinfection des matelas et des couvertures entre chaque garde à vue. Le marché conclu avec les prestataires prévoit un nettoyage toutes les semaines, tous les quinze jours, voire tous les mois ! Les gestes barrières ne sont absolument pas respectés.

Vous trouverez également dans ce rapport notre réflexion sur les centres de rétention, qui se sont vidés à une certaine période, puis se sont remplis. Certains résidents de ces centres proviennent des prisons, mais une grande partie est constituée d'étrangers en situation irrégulière, qui n'ont commis d'autres fautes que d'être sans papiers. En cette période de covid-19, ces personnes ne sont pas renvoyées dans leur pays d'origine. Je ne vois donc pas l'intérêt de les retenir. Or, le coût de cette rétention est estimé à 620 euros par jour et par personne : il y a matière à s'interroger sur le bon usage de l'argent public dépensé dans ce cadre ! Autant je comprends l'aspect punitif qu'il y a à garder les sortants de prison quatre-vingt-dix jours au centre de rétention, autant je comprends difficilement que cela s'applique aux sans-papiers, eu égard au coût engendré. Je reconnais toutefois que c'est à double tranchant : on ne peut espérer que la situation dans les centres de rétention s'améliore sans y injecter de l'argent. Par exemple, dans ce que j'appellerais le « pavillon des positifs » à Vincennes, j'ai rencontré cinquante personnes qui se frôlaient, sans masque, sans gel - ils le boivent ou y mettent le feu. Pour se laver les mains, il faut aller chercher son savon dans sa chambre, puis le rapporter au lavabo collectif, ce qui n'incite pas aux gestes barrières. Cette réflexion s'ajoute au peu de cas fait de l'accès aux soins dans ces centres de rétention. Vous connaissez ces sujets, et la disparité des situations existantes.

Enfin, l'article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, sur l'isolement et la contention dans les hôpitaux psychiatriques, inquiète particulièrement les psychiatres, qui en sont à quitter de plus en plus nombreux le service public. Avant son départ, Adeline Hazan avait beaucoup travaillé avec les hôpitaux psychiatriques, et avait noué avec leur personnel des relations que je souhaite poursuivre. Ils m'ont fait part de leur plus vive inquiétude. De plus, la fermeture des lits d'hôpitaux psychiatriques devrait être compensée par de l'ambulatoire, ce qui n'a pas été le cas. Cette situation est très préoccupante, et elle rejaillit sur les malades. Les soins sans consentement augmentent également, et par un jeu de vases communicants, les prisons jouent désormais le rôle des asiles d'antan : on estime à 30 % le nombre de malades mentaux assez sérieusement atteints qui résident en prison. Or, les surveillants pénitentiaires ne sont pas infirmiers psychiatriques... Aucun d'entre nous ne pourrait supporter de vivre dans de telles conditions, que ce soit en tant que surveillant ou de malade. En prison, j'ai assisté à l'agression particulièrement sauvage d'un surveillant par un détenu « fou ». Le surveillant a reçu une bouilloire chaude en pleine figure, ce qui m'a profondément marquée.

Cela nous amène au sujet de la surpopulation des prisons, dont nous parlerons à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire.

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