Nous auditionnons Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, pour la présentation de son rapport annuel.
Le rapport que vous nous présentez aujourd'hui est aussi celui de votre prédécesseure, Adeline Hazan, que vous avez remplacée en octobre dernier. Il s'agit d'une période toute particulière pour votre mission de contrôle des lieux de privation de liberté : les prisons, les établissements de santé, les centres éducatifs fermés (CEF), les centres de rétention administrative, ou encore les locaux de garde à vue ont tous été impactés par la crise sanitaire.
Nous avons, au Sénat, été à l'initiative de la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, parce que le Gouvernement n'avait pas tenu ses engagements dans les délais prévus - c'est dire que nous sommes sensibles au sujet et que nous espérons beaucoup de votre mission.
Je vous remercie de m'accueillir. J'ai relu avec émotion le formidable rapport du Sénat de juin 2000 « Prisons : une humiliation pour la République ». Comment est-il possible que, vingt ans plus tard, nous en soyons toujours au même point ? Il semble que nous nous soyons habitués à cette humiliation, alors même que la population carcérale a fortement ré-augmenté depuis septembre dernier. Dans ma vie de journaliste, j'écrivais souvent que les détenus vivaient à trois dans 9 mètres carrés. C'est faux : maintenant que les portes des cellules m'ont été ouvertes, je peux affirmer qu'ils vivent en réalité dans 4,2 mètres carrés, si l'on retranche le mobilier et les sanitaires. L'image est effarante, surtout en ces temps de covid-19, où l'on sait que ces personnes passent vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule. Ces conditions de vie ne sont plus possibles. Il faut en terminer avec la surpopulation ! Un effort a été fait par la garde des Sceaux précédente pour vider les prisons en raison de la crise sanitaire, puis nous avons laissé le flux remonter de plus belle. Le nombre d'entrées en détention dépasse aujourd'hui celui des sorties. Comment en sommes-nous arrivés à nous habituer à cet état de fait ?
Cette année a été bouleversée, notamment en raison d'une vacance de poste de trois mois après le départ d'Adeline Hazan. En effet, sans contrôleur, il n'est pas possible d'organiser des visites dans les lieux de privation de liberté. Dès mon arrivée, nous avons repris les visites, et c'est seulement à ce moment-là que j'ai pu découvrir ces lieux de l'intérieur.
Mon premier sujet de préoccupation est celui des enfants et adolescents placés dans les centres éducatifs fermés ou dans les établissements pour mineurs. Je souhaiterais que plus d'attention soit accordée à ces derniers, qui sont de véritables « cabossés de la vie ». Comme vous le savez, plus de la moitié d'entre eux sortent de l'aide sociale à l'enfance (ASE), et ont été ballottés de foyers en familles d'accueil. Je constate que les plus jeunes et les plus âgés d'entre nous sont souvent les moins protégés dans notre société. Toutefois, j'ai eu la chance de visiter un centre éducatif fermé qui fonctionnait « du feu de dieu », c'est-à-dire avec une équipe pérenne, solide, appuyée par la présence quotidienne d'une institutrice, mais aussi d'un psychologue. Ce centre devrait être pris en modèle.
Vous le lirez dans le rapport, nous avons aujourd'hui beaucoup de mal à recruter des équipes d'éducateurs solides et formées, face à un public certes difficile, mais qui représente l'avenir de notre société. Mon équipe a contrôlé un autre centre, qui ne fonctionnait pas bien. Les difficultés de recrutement y étaient telles que deux anciens salariés de boîtes de nuit occupaient des postes d'éducateurs. Or, ces personnes réagissaient violemment à chaque tentative de provocation des adolescents, si bien que la situation dégénérait systématiquement. C'est pourquoi nous devrions porter une attention renforcée à ces centres éducatifs fermés. Si le Gouvernement a pour projet d'en construire vingt autres, son attention devrait aussi se porter sur les conditions de recrutement des éducateurs et sur leur formation. Par exemple, le centre que j'ai visité s'était complètement inséré dans son environnement rural, et les adolescents s'y sentaient bien. Pourquoi ? Parce qu'ils y apprenaient des métiers manuels, la cuisine, et beaucoup d'autres choses permettant de renforcer leur bien-être. Cela a été d'un grand réconfort pour moi. Mais si un tel centre peut fonctionner, comme on me l'a expliqué, c'est grâce au fait que les éducateurs sont un peu mieux payés et reconnus, mais aussi parce qu'il est inséré dans le tissu rural. Une réussite est donc possible.
Ensuite, un motif d'effarement a été la visite des locaux de garde à vue dans les commissariats. Le premier où je me suis rendue en 2020, près de Calais, se trouvait dans une sorte d'Algeco, dans lequel les policiers claquaient des dents de froid. Ces derniers nous ont montré à quel point la situation était honteuse. Une fois entrée dans la cellule, une horrible odeur m'a prise à la gorge : la chasse d'eau des sanitaires que se partageaient les personnes entendues ne fonctionnait pas. L'état du matelas sur lequel nous nous étions assis nous a fait nous demander si nous n'allions pas attraper la galle, ou même des punaises de lit - ce qui est fréquent. Surtout, à ma grande stupéfaction, j'ai vu des couvertures dégoûtantes entassées, datant d'il y a quinze jours. Ces couvertures étaient utilisées par les gardés à vue successifs, et ce en pleine crise sanitaire. Ces conditions d'hygiènes sont très choquantes. Depuis, nous continuons avec assiduité les visites, et nous constatons que la situation est la même partout, sauf peut-être en gendarmerie. Il y a un manque cruel de désinfection des matelas et des couvertures entre chaque garde à vue. Le marché conclu avec les prestataires prévoit un nettoyage toutes les semaines, tous les quinze jours, voire tous les mois ! Les gestes barrières ne sont absolument pas respectés.
Vous trouverez également dans ce rapport notre réflexion sur les centres de rétention, qui se sont vidés à une certaine période, puis se sont remplis. Certains résidents de ces centres proviennent des prisons, mais une grande partie est constituée d'étrangers en situation irrégulière, qui n'ont commis d'autres fautes que d'être sans papiers. En cette période de covid-19, ces personnes ne sont pas renvoyées dans leur pays d'origine. Je ne vois donc pas l'intérêt de les retenir. Or, le coût de cette rétention est estimé à 620 euros par jour et par personne : il y a matière à s'interroger sur le bon usage de l'argent public dépensé dans ce cadre ! Autant je comprends l'aspect punitif qu'il y a à garder les sortants de prison quatre-vingt-dix jours au centre de rétention, autant je comprends difficilement que cela s'applique aux sans-papiers, eu égard au coût engendré. Je reconnais toutefois que c'est à double tranchant : on ne peut espérer que la situation dans les centres de rétention s'améliore sans y injecter de l'argent. Par exemple, dans ce que j'appellerais le « pavillon des positifs » à Vincennes, j'ai rencontré cinquante personnes qui se frôlaient, sans masque, sans gel - ils le boivent ou y mettent le feu. Pour se laver les mains, il faut aller chercher son savon dans sa chambre, puis le rapporter au lavabo collectif, ce qui n'incite pas aux gestes barrières. Cette réflexion s'ajoute au peu de cas fait de l'accès aux soins dans ces centres de rétention. Vous connaissez ces sujets, et la disparité des situations existantes.
Enfin, l'article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, sur l'isolement et la contention dans les hôpitaux psychiatriques, inquiète particulièrement les psychiatres, qui en sont à quitter de plus en plus nombreux le service public. Avant son départ, Adeline Hazan avait beaucoup travaillé avec les hôpitaux psychiatriques, et avait noué avec leur personnel des relations que je souhaite poursuivre. Ils m'ont fait part de leur plus vive inquiétude. De plus, la fermeture des lits d'hôpitaux psychiatriques devrait être compensée par de l'ambulatoire, ce qui n'a pas été le cas. Cette situation est très préoccupante, et elle rejaillit sur les malades. Les soins sans consentement augmentent également, et par un jeu de vases communicants, les prisons jouent désormais le rôle des asiles d'antan : on estime à 30 % le nombre de malades mentaux assez sérieusement atteints qui résident en prison. Or, les surveillants pénitentiaires ne sont pas infirmiers psychiatriques... Aucun d'entre nous ne pourrait supporter de vivre dans de telles conditions, que ce soit en tant que surveillant ou de malade. En prison, j'ai assisté à l'agression particulièrement sauvage d'un surveillant par un détenu « fou ». Le surveillant a reçu une bouilloire chaude en pleine figure, ce qui m'a profondément marquée.
Cela nous amène au sujet de la surpopulation des prisons, dont nous parlerons à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire.
Je salue le travail sérieux et exhaustif du rapport, nourri par beaucoup d'éléments concrets qui s'inscrivent bien dans votre expérience d'observatrice assidue de la réalité judiciaire.
Au sujet de la surpopulation, vous soulignez souvent les bonnes pratiques, et c'est un discours que je salue et que je trouve motivant pour le personnel pénitentiaire. Dans l'avant-propos, vous écrivez : « Paradoxalement, cette année fut aussi celle de quelques nouvelles encourageantes. Il y eût au printemps dernier, ce mouvement inédit de déflation carcérale, entrepris grâce à des ordonnances de libération de prisonniers, sortis de prisons surpeuplées, à quelques semaines de leur fin de peine. Une opération sans précédent et salutaire, destinée à éviter une large contamination, rendue possible grâce à l'implication de juges d'application des peines et des services pénitentiaires. Et ce, sans déclencher de réaction négative de l'opinion publique. Preuve est donc faite qu'il est possible de ramener le taux d'occupation des prisons à leur capacité d'accueil ». Je me réjouis de cela. On s'est rendu compte qu'avec 5 000 détenus en moins, on ne constatait pas plus d'insécurité, et que la surpopulation n'était pas une nécessité, comme on cherche toujours à la dire. Or, depuis quelques mois, la population carcérale est repartie à la hausse, et on ne réussit pas à faire distinguer au public la peine de la détention. Si la détention est une nécessité absolue pour certains, d'autres peuvent être punis par d'autres peines. Quelle est votre avis sur la question ? Comment faire comprendre que la surpopulation n'est pas une nécessité alors que l'opinion publique pense le contraire ? Comment montrer que l'on peut donner plus d'efficacité à la sanction pénale, par exemple, au travers du développement de peines alternatives à l'incarcération ?
La réponse sempiternelle consistant à dire qu'il faut construire toujours plus de places de prison n'est pas satisfaisante - sans compter qu'il vaudrait mieux rénover que construire.
J'aimerais donc avoir votre avis sur ces deux questions larges, mais importantes : comment mettre un terme à la surpopulation carcérale, et convaincre nos concitoyens que la prison, ce n'est pas toujours la solution ?
Je vous remercie de vos propos qui donnent accès à des réalités dont nous avons connaissance, comme élus locaux, avec nos expériences singulières - dans mon département, par exemple, le CEF a été un échec, à la différence de celui que vous avez visité et qui paraît exemplaire par son projet pédagogique. Notre commission s'est aussi déplacée dans des établissements pénitentiaires, nous avons par exemple visité celui de Bois d'Arcy, où nous avons constaté la surpopulation. La pandémie a fait que des places ont été libérées en prison et qu'il y a eu moins de délinquance dans l'espace public, conséquence du confinement ; mais la délinquance s'est aussi déplacée. Enfin, je partage votre constat sur les prisonniers qui devraient être pris en charge par des établissements psychiatriques plutôt que de se retrouver en prison - et je crains que l'explication s'en trouve beaucoup du côté budgétaire, le coût d'une journée en prison étant moins élevé que celui en hôpital psychiatrique...
Merci, Monsieur le sénateur, de votre question sur la surpopulation carcérale. J'ai relu avec intérêt, mais aussi une grande émotion, le rapport sénatorial de 2000 intitulé : « Prisons : une humiliation pour la République », et je me suis demandé comment on pouvait encore en être là... C'est aussi à vous, élus, de parler de la surpopulation carcérale, même si la période pré-électorale ne s'y prête guère. Je me ferai le relai de vos propos, il faudrait faire comprendre que la prison n'est pas la seule punition, qu'il y a aussi les peines alternatives, en particulier les travaux d'intérêt général, les amendes. Je vais prochainement me rendre en Allemagne pour voir comment nos voisins sont parvenus à diminuer leur taux d'incarcération et de surpopulation carcérale, en développant les alternatives. J'ai lu des articles militants sur le sujet, je vais m'y rendre pour observer ce qu'il en est et peux vous en rapporter à mon retour de mission. Je pense en particulier interroger mes interlocuteurs sur la façon dont les élus, les responsables, les magistrats ont donné confiance à la population allemande dans les peines alternatives, car c'est bien l'une des clés - en France, la population n'a guère confiance dans les peines alternatives et les magistrats eux-mêmes en viennent à dire qu'elles sont plus compliquées que la prison. Il y a tout un travail à faire de ce côté-là, nos voisins allemands peuvent nous inspirer, nous avons à nous mobiliser pour faire savoir qu'il y a d'autres solutions que la prison et pour faire reconnaître les méfaits de la surpopulation carcérale. Dans ce travail, j'ai confiance dans le Sénat, qui est moins soumis à la pression électorale, et qui, dans cette situation, est à même de faire un travail plus serein.
Je veux mettre l'accent sur l'éducation, le travail, la réinsertion, autant de questions qui me taraudent. L'accès actuel au travail en prison est dérisoire, à une exception près, qui est toujours citée en exemple. J'ai tenu le standard du Contrôle général des lieux de privation de liberté une journée, dans nos locaux : j'en ai été édifiée ; je me souviens d'un jeune homme de 19 ans me racontant les difficultés qu'il avait rencontrées pour obtenir les documents du Centre national d'enseignement à distance (CNED) et me disant qu'il mourrait s'il n'avait pas le bac après tout l'effort qu'il avait réalisé. Pourquoi l'enseignement n'est-il pas délivré par internet ? Nous sommes bien frileux... Il faut mettre l'accent sur l'apprentissage, tous les apprentissages en prison, sur tout ce qu'on peut apprendre - un métier, des connaissances - dans ces lieux d'enfermement, pour qu'il y ait aussi quelque chose de positif, ce sera ma priorité pour cette année.
Je veux signaler aussi une lacune institutionnelle : le fait que les institutions perdent littéralement la trace des jeunes qu'elles ont eu à connaître ; c'est le cas par exemple pour l'aide sociale à l'enfance (ASE), où bien des enfants ont des parcours chaotiques, mais qui ne donnent lieu à aucun suivi par la suite, les établissements nous disent regretter ne pas savoir ce que deviennent les jeunes qu'ils ont accueillis.
Mes équipes partent les deux premières semaines du mois, et je m'efforce de me rendre sur place au moins une semaine par mois.
Les avis et observations du contrôleur sont-ils suivis d'effet ? Le Gouvernement en tient-il compte ?
Nous avons de très bons échanges avec les responsables et les équipes des établissements pénitentiaires, les hôpitaux psychiatriques, les CEF ; nous avons des débats, certains ont des conséquences pratiques, c'est gratifiant. Notre intervention peut donc entrainer des changements dans la pratique, mais pour ce qui est des recommandations aux ministres, je dois dire qu'elles sont prises avec désinvolture. Nous mettons en valeur des bonnes pratiques, par exemple, mais elles ne sont pas diffusées. Tout se passe comme si, de tout ce que nous faisons remonter, tout restait lettre morte. Nous aimerions bien, aussi, que les rapports que nous publions soient dans les bibliothèques des établissements sur lesquels ils portent, en particulier les prisons.
Vous l'écrivez noir sur blanc dans votre rapport : vos recommandations sont reçues avec la plus grande désinvolture par le Gouvernement. Comment cela est-il possible ? Je ne comprends pas que les ministres concernés - justice, intérieur, santé - puissent ne tenir aucun compte de ce que vous dites.
J'espère que cela va changer...
Diriez-vous que vous n'obtenez guère d'autre réponse qu'un simple accusé de réception ?
En quelque sorte, mais je sais aussi que les choses changent progressivement, avec des débats, en se mobilisant.
Votre prédécesseure a beaucoup travaillé sur la psychiatrie, quel sera votre programme en la matière ?
Je vais continuer ce qu'elle a bâti, son travail a été extraordinaire et nous avons, grâce à elle, des spécialistes formés dons notre équipe. Mes priorités sont l'apprentissage et l'éducation, mais nous allons aussi continuer sur ce volet.
Notre attention a été attirée sur les conditions de vie et de soins dans les hôpitaux psychiatriques, nous nous y sommes rendus à deux reprises avec Catherine di Folco. Je vous rejoins pour dire que les problèmes financiers ont des conséquences très importantes dans le secteur.
Les problèmes de moyens sont criants, des lieux manquent de psychiatres, ils en sont à faire des ponts d'or à des retraités pour qu'ils viennent faire des vacations, ils paient des intérimaires très chers - on m'a parlé de 18 000 euros par mois... - pour combler des postes manquants, c'est aberrant. Le ministre de la santé en a conscience, la filière n'est pas attractive.
Merci de votre présence et de ces informations.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures.