Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 juin 2021 à 8h00
Conditions d'organisation du premier tour des élections départementales et régionales — Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Vous avez raison, il y a eu des dysfonctionnements. Sont-ils pour autant l'unique raison de l'abstention ? Je ne le crois pas. Le taux de participation n'est pas meilleur dans les pays qui ont mis en place le vote par correspondance : en Angleterre, l'abstention a été similaire pour les élections municipales de 2021. Mais il est vrai que la connaissance des documents de propagande électorale contribue à l'égalité entre candidats.

La mise sous pli est le plus souvent effectuée en régie dans les préfectures. Elle s'est faite dans des conditions normales. En raison de la réduction du nombre d'agents publics dans les préfectures depuis quinze ans, même si pour la première fois l'an dernier les effectifs dans les préfectures et sous-préfectures n'ont pas diminué, le ministère a eu recours parfois à des sous-traitants pour réaliser cette mise sous pli.

Le sujet qui nous occupe concerne la distribution de la propagande électorale. Celle-ci est complexe pour trois raisons. Il faut d'abord évoquer les causes classiques de non-distribution. Les listes électorales ne sont pas toujours parfaitement tenues, notamment dans les zones urbaines. La non-distribution s'élève à 13 % en Seine-Saint-Denis, contre 3 % en Corrèze : la mobilité des électeurs ou la difficulté à accéder à certains immeubles contribue à expliquer cet écart.

La concomitance exceptionnelle de deux élections, départementales et régionales, constituait aussi un défi logistique. Depuis 1986, la France n'avait pas organisé deux élections en même temps sur tout le territoire national, même si l'on a organisé des régionales ou des municipales dans toute la France en même temps que des cantonales sur une moitié du territoire. Le défi logistique était réel et M. Capus, auteur d'une proposition de loi relative à la simplification et à la modernisation de la propagande électorale, l'avait d'ailleurs évoqué. D'ailleurs, dans le cadre des auditions, des titulaires du marché reconnaissaient la difficulté à remplir leurs engagements en période de pandémie.

Enfin, il faut aussi évoquer la libéralisation de la distribution de la propagande électorale. Jusque dans les années 2000, celle-ci relevait des agents de l'État, en lien direct avec La Poste. Sous le gouvernement de Lionel Jospin, deux directives européennes de 1997 et 2002 ont été adoptées, qui ouvraient le marché postal, y compris la propagande électorale, à la concurrence. En 2005, il a été prévu qu'il serait procédé par appel d'offres. Le premier appel d'offres a eu lieu en 2009. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), qui est chargée de donner son blanc-seing aux opérateurs souhaitant concurrencer La Poste, a donné son aval à la société Adrexo. Cette société a obtenu une partie du marché, pour un montant d'environ 200 millions d'euros ; Adrexo et La Poste se sont réparti les régions. Dans certaines régions, les envois, notamment pour les départementales, ont eu lieu très tôt, parfois avant même les législatives partielles qui avaient lieu trois semaines avant, ce qui a pu donner lieu à des confusions dans l'esprit des électeurs. Mais le législateur n'a pas prévu de bornes temporelles. Sans doute pourrions-nous modifier ce point.

Nous avons constaté des manquements dans l'exécution du marché par Adrexo, même si La Poste n'est pas exempte de reproches puisque 9 % de ses plis n'ont pas été distribués, pour différentes raisons - décès, déménagements, mauvaise tenue des listes , etc. -, mais ce taux est particulièrement élevé. Je pourrai vous fournir les chiffres détaillés par régions.

Pour Adrexo, en revanche, nous avons constaté des dysfonctionnements : documents de propagande électorale entreposés par terre, mis à la poubelle, parfois brûlés, etc. La société a évoqué une attaque informatique. Elle emploie un grand nombre de vacataires ; ce marché était peut-être trop important pour cette société. Il faudra en tirer les leçons pour la présidentielle, mais, pour l'instant, l'important est de réussir l'organisation du second tour.

Le marché est divisé en deux parts équivalentes en termes de population : les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Grand Est, Hauts-de-France, Normandie, Pays de la Loire ont été attribuées à Adrexo ; la Bretagne, la Corse, l'Île-de-France y compris Paris, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, l'outre-mer et Provence-Alpes-Côte d'Azur ont été attribuées à La Poste.

Dès les premiers dysfonctionnements, le secrétaire général du ministère a écrit aux prestataires et les a convoqués. Au lendemain du premier tour, j'ai convoqué les deux sociétés. Je leur ai demandé des améliorations, notamment dans la remontée d'informations dans les communes où les gens n'ont pas reçu la propagande. C'est mis en oeuvre depuis lundi soir en lien avec les préfectures. J'ai demandé aux sociétés d'écrire directement aux maires pour signaler les problèmes ou de trouver des moyens de distribution alternatifs lorsqu'elles ne peuvent accéder à certains immeubles.

La France est l'un des derniers pays à fonctionner ainsi ; depuis longtemps le ministère de l'intérieur, y compris sous certains de mes prédécesseurs, plaide pour une dématérialisation de la propagande électorale, au moins pour ceux qui ne souhaitent pas la recevoir en format papier. Le législateur a toujours refusé. Je constate aussi que 87 % des moins de 35 ans se sont abstenus, alors qu'il est légitime de penser que la propagande électorale est plutôt lue par les plus âgés. On peut donc penser que l'abstention est due à d'autres causes, notamment à un effet de génération. En tout cas, on peut penser que le taux de non-distribution est certainement plus élevé que le taux de 1 %, chiffre avancé par les sociétés. Il y a toujours eu des erreurs - lors du dernier scrutin, La Poste n'avait pas distribué l'intégralité de la propagande électorale à Annecy par exemple -, mais jamais à ce niveau. J'ai aussi demandé aux sociétés de nous communiquer par écrit leurs difficultés.

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