Intervention de Yann Bastière

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juin 2021 à 14h05
Audition des organisations professionnelles de policiers sur les conditions d'exercice de leurs missions, amendement 814

Yann Bastière, délégué national aux questions judiciaires, Unité SG Police :

Je vais centrer mon propos sur le projet de loi « confiance dans l'institution judiciaire », étudié dernièrement à l'Assemblée nationale, qui arrive prochainement pour être étudié au Sénat. Vous nous avez orientés vers certains articles, parmi lesquels l'article 2, qui traite de la réforme de l'enquête préliminaire.

Je ne vais pas reprendre les propos de mes collègues, avec lesquels nous sommes totalement d'accord. L'article 9 porte sur la remise de peine. L'application de la peine nous importe beaucoup. Nous espérons bien que la justice fera son oeuvre.

L'article 3 nous importe aussi beaucoup. Une partie de cet article a fait l'objet d'un amendement n°814. Il nous semble traduire, de même que de nombreux articles du projet de loi, d'ailleurs, une défiance envers les enquêteurs. C'est ce qui ressort des premières remontées de terrain. Nous sommes les ouvriers de la procédure pénale. Les enquêteurs du corps d'encadrement et d'application forment le gros des troupes. Ce sont eux qui interpellent et qui enquêtent, même s'ils ont de moins en moins le loisir de le faire. 80 % des actes d'une procédure sont en effet des actes de forme, dans la délinquance de masse. Il faut y remédier, notamment par une réforme de la procédure pénale.

Ce n'est pas ce qui se dessine à travers ce projet de loi de confiance dans l'institution judiciaire. À cela s'ajoute la présence de l'avocat en perquisition, sur un acte déjà initialement très chronophage, qui implique généralement un déplacement hors des locaux de police, souvent à plusieurs kilomètres. Nous nous sommes entretenus dernièrement avec le directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Ce format existe déjà en Suisse, où les perquisitions peuvent durer un peu plus de 36 heures. Vous imaginez bien à quel point, sur une durée totale de 48 heures de garde à vue, cela limite les possibilités d'agir.

Certes, en matière de stupéfiants, la garde à vue peut durer 96 heures mais la perquisition sera aussi particulièrement chronophage. Nous nous inquiétions du temps qu'il va rester pour l'enquête elle-même. La défiance s'ajoute ici à la complexification. De nombreux éléments, dans ce texte, montrent que le futur de l'enquêteur sera de plus en plus compliqué. La crise des vocations s'avère extrêmement prégnante dans cette filière et les pistes actuellement à l'étude par notre administration ne sont pas les bonnes. Le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure vient de réclamer une prime d'encadrement judiciaire. Je n'ose pas vous parler de l'augmentation de 18 euros dont bénéficieront peut-être, à partir du 1er janvier, les enquêtes si le décret paraît - car il n'est toujours pas publié. Cela fait rire - jaune - tout le monde. Messieurs les sénateurs, entendez cette grogne qui sourde au sein de la filière d'investigation, car elle pourrait alimenter la perte de confiance dans l'institution judiciaire.

Souhaitons que les États généraux de la Justice témoignent d'une prise en compte du caractère totalement obsolète de la procédure pénale, hors d'âge, qui a empilé des briques les unes sur les autres. L'amendement n° 814 en constitue une de plus. A défaut de cette prise de compte, l'avenir de l'investigation, au sein de la police nationale, sera plus que sombre.

Nous appelons de nos voeux une étude d'impact de toutes ces réformes sur le terrain. L'amendement 814 va venir à l'étude au Sénat et nous ne doutons pas que vous y attacherez la plus grande importance. Cette proposition était venue de vos rangs dans le cadre de la loi de justice 2018-2022. Elle est extrêmement mal perçue par les enquêtes de la police nationale, sur l'ensemble du spectre. L'acte de perquisition est si chronophage que beaucoup se demandent comment nous pourrions travailler demain s'il venait encore à se complexifier.

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