Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 15 juin 2021 à 14h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • enquête
  • judiciaire
  • magistrat
  • métropole
  • peine
  • policier
  • pénale

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Madame, messieurs, je voudrais tout d'abord vous informer que notre audition et les débats qui vont s'ouvrir sont retransmis en direct sur le site internet du Sénat, car cette audition est publique. Il est très probable que la chaîne Public Sénat retransmette cette audition ou réutilise les images qui se trouveront sur le site internet du Sénat.

Merci d'avoir répondu à l'invitation que nous vous avons envoyée. Se trouvent ici les représentants de différents syndicats de la famille police. Le Sénat et la Commission des lois sont particulièrement sensibles aux sujets de sécurité et de justice. Nous savons, y compris comme élus locaux, combien l'exercice du métier de policier présente un grand nombre de difficultés, en particulier à l'égard des actes de délinquance que je qualifierais probablement de manière impropre du quotidien, qui sont de plus en plus violents, qui vous visent en particulier mais qui visent aussi toute personne susceptible de représenter l'autorité publique. Je pense aux sapeurs-pompiers mais aussi aux élus locaux, qui sont de plus en plus victimes également de cette violence.

Nous avons tous observé la manifestation que vous avez organisée le 19 mai dernier devant l'Assemblée nationale, entendu les propos qui ont pu y être tenus, à l'égard des conditions d'exercice de vos missions mais aussi les inquiétudes à l'encontre de la réponse pénale, posant de fait la question des relations entre les services de police et la justice, parfois dans des termes extrêmement forts. J'ai considéré, avec nos collègues de la Commission des lois, qu'il était important de vous entendre ici, officiellement devant le Parlement, et d'organiser cette audition.

Ceci traduit notre volonté d'écoute mais cette audition s'inscrit également dans la perspective de l'examen par le Parlement, au mois de septembre, du projet de loi « confiance dans la justice » du gouvernement, dont les rapporteurs ont été désignés. Nous avons été informés, par la télévision, du lancement des États généraux de la Justice. Il sera intéressant de savoir comment vous accueillez cette démarche et ce que vous en attendez. Monsieur Henri Leroy, membre de la Commission des lois, ici présent, a par ailleurs participé au Beauvau de la Sécurité, lors duquel il a représenté l'institution sénatoriale.

Cette audition ne traduit qu'une partie des discussions dans le cadre de la démarche que nous conduirons, qui nous amènera sans doute, soit à des textes nouveaux, soit au texte devant être examiné à la rentrée soit à des prises de position du Sénat d'une autre nature.

Je crois devoir excuser le syndicat UNSA, qui ne pouvait être là cet après-midi en raison d'une réunion fédérale.

Debut de section - Permalien
Julien Morcrette, chargé de mission, Fédération CFDT Interco

Merci, messieurs les sénateurs et mesdames les sénatrices pour votre invitation et votre écoute. Nous bénéficions toujours d'une grande qualité d'écoute dans cette instance.

Je suis accompagné du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, syndicat majoritaire des officiers de police et d'Alternative Police CFDT, qui représente les gradés et gardiens de la paix.

Je voudrais d'abord rappeler qu'un grand travail d'inventaire et de recensement des causes du malaise policier avait été initié par votre homologue François Grosdidier. Nous avions abouti à un diagnostic très riche et très précis. Malheureusement, il y a eu peu d'évolutions depuis ; quelques-unes ont eu lieu sur le plan des moyens matériels mais le malaise est toujours aussi grand.

Malgré l'effort de recrutement, au cours de ce quinquennat, les policiers sont toujours dans une logique de priorisation des missions. Nous ne sommes pas assez nombreux pour assurer le traitement de toutes les missions, ce qui place parfois nos collègues en insécurité juridique, au-delà des cas de conscience que cela peut causer. Nous croulons toujours sous une procédure pénale beaucoup trop chronophage, excessivement axée sur les droits des mis en cause et insuffisamment sur ceux des victimes. Nous sommes sur une ligne de crête entre l'inquisitoire et l'accusatoire, ce qui rend notre travail très compliqué. Nous faisons face, pour ces raisons, à une crise des vocations parmi les officiers de police judiciaire. Une réforme tend à accélérer le déroulement de carrière des officiers de police judiciaire mais je ne suis pas certain qu'à long terme, cela soit totalement bénéfique, car nous sommes face à une perte de sens du travail du policier. Nous faisons plus de l'abattage qu'un traitement qualitatif des procédures.

C'est la raison pour laquelle nous demandons, depuis plusieurs années, qu'un travail de simplification du code de procédure pénale et de réécriture du code de procédure pénale soit diligenté conjointement par les policiers, les agents de justice et les magistrats. Nous demandons un travail partenarial pour mettre fin à l'entre-soi. Il ne peut s'agir que d'un travail sur le long terme, en dehors des effets d'annonce ;

Parallèlement, le « police bashing » initié par quelques « responsables » politiques ne cesse de prospérer. Nos collègues sont vilipendés, lynchés jusque dans la sphère privée. Il y a quelques années, la plupart des fonctionnaires de police ne pouvaient habiter dans leur circonscription, lorsqu'ils travaillaient dans des agglomérations aux loyers exorbitants, et faisaient le choix contraint de travailler à une heure de route de chez eux. Ceux qui travaillaient dans des villes moyennes ou de petites villes où les loyers sont plus accessibles, font aujourd'hui le choix, de plus en plus, d'habiter à une heure de route de chez eux. C'est une difficulté que nous demandons à nos dirigeants de traiter. Des partenariats qui ont été engagés avec la SNCF sur les lignes TER afin de sécuriser des lignes et de prendre en charge le coût de trajet domicile-travail pour les policiers mais peu sont éligibles, puisque beaucoup travaillent en horaires décalés. C'est la raison pour laquelle nous demandons qu'une réflexion soit initiée sur la prise en charge des péages autoroutiers sur le trajet domicile-travail des policiers. Cela représente une grosse part de leurs dépenses mensuelles.

Debut de section - Permalien
Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure

Le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure est majoritaire au sein du corps de commandement de la police nationale. Un certain nombre de constats sont dressés de longue date. Ils étaient énoncés dans le rapport de 2018.

Ils sont également posés dans le cadre du Beauvau de la Sécurité. Ils ont trait notamment à l'encadrement et à la formation. Je voudrais en donner trois illustrations récentes.

La première concerne le nouveau logiciel de rédaction des procédures, Scribe, dont le déploiement a été annoncé par l'ancien directeur général de la police nationale, monsieur Morvan, en novembre 2017. Cet outil est utilisé par l'ensemble des policiers au quotidien pour rédiger leurs procès-verbaux. Notre logiciel actuel, le LRP3, est obsolète et son ergonomie complique le travail de nos collègues. Il avait été annoncé en 2017 que le déploiement du logiciel Scribe aurait lieu au sein des services en 2019. Nous sommes en 2021 et n'avons toujours aucune nouvelle. Notre organisation avait rédigé un tract intitulé « Scribe ou momie ? ». Malheureusement, nous pourrions reprendre ce trait d'esprit aujourd'hui, car nos collègues attendent toujours ce logiciel qui doit leur faire gagner du temps au quotidien.

Deuxième exemple, en matière de ressources humaines, si les services de la DRCPN avaient suffisamment de moyens humains et informatiques pour fonctionner correctement et garantir des mouvements de mutation et la prise d'arrêtés dans des délais décents, au moment des prises d'échelons, les risques psychosociaux diminueraient de manière sensible. En ce qui concerne le corps de commandement et notre dernier mouvement général de mutation, le télégramme, qui est le message qui officialise les mutations et changements de poste, est tombé le 30 avril pour une prise de poste prévue théoriquement le 1er mai, c'est-à-dire le lendemain. Je ne suis pas sûr que de nombreuses administrations connaissent une officialisation des mouvements de mutation dans des délais aussi brefs, qui laissent peu de temps à nos collègues pour organiser leur vie familiale.

Dernier exemple, je vais aborder un sujet qui concerne aussi les officiers et commissaires de police : aucune prime judiciaire ne valorise l'exercice de l'encadrement au sein de la filière judiciaire, alors que nous sommes confrontés à un problème d'attractivité des postes d'officiers et de commissaires au sein de ces services, qu'il s'agisse des commissariats ou de services d'OPJ, alors même que, dans le même temps, les officiers de gendarmerie voient leur qualité d'officier de police judiciaire valorisée et l'exercice des missions judiciaires valorisé. Une fois encore, nous nous interrogeons donc quant à la parité qui existe entre police nationale et gendarmerie.

Quant au projet de loi « justice », nous pourrons y revenir dans le cadre de nos échanges. Nous avons adressé un courrier à l'ensemble des parlementaires après notre rassemblement du 19 mai. Ce courrier revenait sur les dispositions qui nous inquiètent. C'est le cas de la présence de l'avocat en perquisition, qui fait suite à l'adoption d'un amendement par l'Assemblée nationale. Nous espérons qu'à l'issue du parcours législatif du texte, cette disposition ne sera plus imposée aux officiers de police judiciaire et aux magistrats. Elle pose notamment des questions pratiques de sécurité : comment va-t-on assurer la sécurité de l'avocat et de son véhicule dans un certain nombre d'endroits où nous sommes amenés à perquisitionner ? Nous sommes équipés. Nous disposons de gilets pare-balles et pouvons placer des policiers pour surveiller notre parc automobile. Ce ne sera pas forcément le cas pour les avocats, ce qui pourrait poser énormément de difficultés, en plus d'alourdir encore la procédure pénale et les contraintes qui pèsent à la fois sur les enquêteurs et sur les magistrats.

Concernant l'enquête préliminaire, nous nous interrogeons quant au devenir, au bout des deux ans, des enquêtes qui n'auront pu être traitées. Je pense aux dossiers attribués à un officier de police judiciaire ou à un enquêteur au sein d'un service, dans les cas où cet agent partira en mutation. Vu l'état des ressources humaines, cet agent ne sera malheureusement pas toujours remplacé. Que deviendront alors les dossiers qui n'auront pas pu être présentés à un parquetier pour faire l'objet d'une décision quant à la suite de la procédure ?

Des interrogations se font jour également à propos des crédits de réduction de peine. Nous sommes naturellement favorables à ce que les réductions de peine soient limitées pour tous les agresseurs de personnes dépositaires de l'autorité publique. Ce projet de loi envoie toutefois, simultanément, d'autres signaux assez négatifs. Ainsi, en cour d'assises, pour entrer en voie de condamnation en première instance, le quantum requis passera de six à sept voix sur neuf, au sein du jury, ce qui nous interpelle. On nous a parfois reproché d'opposer police et justice. Nous estimons faire partie d'une même chaîne pénale. Nous discutons d'ailleurs avec l'Union syndicale des magistrats- organisation majoritaire parmi les magistrats. Je crois que ce sont des choses qui nous interpellent tous.

Debut de section - Permalien
Pascal Jokowlew, secrétaire national en charge de l'investigation et du renseignement, Alternative police

L'essentiel a déjà été dit mais je voudrais dire quelques mots en complément. En effet, pour les OPJ et APJ en investigation, nous constatons une véritable désaffection vis-à-vis de l'investigation depuis plusieurs années. Nous avons également du mal à fidéliser les collègues, à tel point que des jeunes sortis d'école sont aujourd'hui affectés à l'investigation, alors que celle-ci requiert plutôt des profils expérimentés.

Les droits de la défense ont été systématiquement renforcés depuis une vingtaine d'années et cela n'a pas été fait en consultant les fonctionnaires de police qui traitent les procédures au quotidien. En conséquence, aujourd'hui, la machine est bloquée : une grande partie des procédures n'est plus traitée et nous devons les prioriser. Les magistrats se déplacent dans les commissariats pour faire un tri sélectif. Il y a là un véritable problème.

Les droits de la défense sont également renforcés aujourd'hui par la présence de l'avocat en garde à vue. Nous constatons que 80 % du temps de garde à vue est consacré au formalisme. Nous ne travaillons véritablement que 20 % du temps sur le fond du dossier. Si l'on n'augmente pas le temps initial de la garde à vue, nous nous demandons comment continuer, sauf à ce que les magistrats reprennent les auditions à l'issue de la garde à vue.

Debut de section - Permalien
Jérôme Moisant, secrétaire national aux conditions de travail, Unité SG Police

Je voudrais d'abord évoquer une question de forme. La convocation aux travaux de votre commission ne nous a pas laissé d'autre choix que d'y participer par visioconférence et nous réalisons que certains de nos camarades sont présents dans la salle au Sénat, ce que nous ne comprenons pas bien.

Notre organisation représente exclusivement les gardiens gradés, les adjoints de sécurité et les personnels administratifs techniques et spécifiques. Le moral n'est pas bon. Les difficultés rencontrées par les policiers dans le cadre de l'exercice de leurs missions sont multiples. Leur autorité est bafouée, piétinée, ce qui se traduit par des refus de se soumettre aux contrôles et aux vérifications, des refus d'obtempérer, de l'entrave à leur action à l'occasion d'autres vérifications ou contrôles sur la voie publique. Cela prend également la forme d'outrages, de violences volontaires, voire pire, comme nous l'avons malheureusement vécu récemment.

Nous sommes soumis à un stress et à une certaine précarité. Le code de déontologie, et c'est bien normal, se veut très exigeant envers les policiers - qui forment sans doute la corporation la plus soumise aux sanctions disciplinaires.

Pour d'autres raisons, c'est sûrement une des corporations qui est aussi le plus soumise à l'action de la justice. Les policiers sont soumis à des violences, en service et hors service, eux et leurs proches, de même qu'au sein des services. Cela fait aussi partie de leurs préoccupations.

Socialement, nos collègues sont soumis à des charges importantes et à des horaires atypiques, fluctuants. Il n'y a pas de sanctuarisation de leur temps de repos, qu'il s'agisse des week-ends ou de repos de cycle, pour les collègues en régime cyclique. Il n'y a pas davantage de sanctuarisation de leur temps de congé. Nous avions un dispositif prévisionnel de congé qui fonctionnait plus ou moins bien mais l'opérationnalité prenant le pas, il est de plus en plus difficile pour nos collègues d'avoir une visibilité sur leurs congés à venir et sur les moments de respiration qu'ils pourront partager en famille ou entre amis.

A tout ceci s'ajoute l'absence quasi-systématique de soutien dans leur service, au sein de l'Institution. Voilà ce qui, en dehors de la confrontation à la violence, à la précarité et à la mort, dans l'exercice de leurs missions, peut conduire les policiers vers l'état d'esprit qui est le leur.

Vous nous avez également interrogés sur le projet d'États généraux de la Justice. Nous appelions cet évènement de nos voeux et notre secrétaire général Grégory Joron a partagé deux tribunes dans la presse avec la secrétaire générale d'Unité Magistrats Force Ouvrière pour appeler à la tenue de ces États généraux. Il se pose à l'évidence un problème de réponse pénale, particulièrement vis-à-vis des auteurs d'infractions envers les policiers. Nous devons trouver des solutions. De graves problèmes se posent, plus largement, au regard de l'évolution de la justice. Là où, il y a trente ans, l'aménagement de peine constituait l'exception et l'emprisonnement la règle pour les délits et crimes, les choses se sont inversées : l'emprisonnement est devenu l'exception et l'aménagement de peine la règle. C'est le résultat de dispositions accumulées, notamment sous les ministères de mesdames Taubira et Belloubet. Il faut vraiment que l'on revienne à quelque chose de plus efficient.

La sanction pénale a vocation à punir à réparer et, cerise sur la gâteau, à réinsérer des auteurs d'infractions. A l'heure actuelle, la sanction pénale ne répond plus aucune de ces trois tâches. Il se pose sans doute un problème de moyens. Les moyens carcéraux sont ce qu'ils sont. Sans doute d'autres moyens de la justice doivent-ils être améliorés. Il suffit par exemple de songer aux greffiers. Nous n'avons aucune garantie que ce puisse être le cas dans des délais assez brefs. Nous souhaitons qu'un débat public s'ouvre quant à ce qu'attend la société vis-à-vis de la justice, en explicitant ce que la société ne veut plus (les féminicides, les atteintes aux policiers et aux personnes dépositaires de l'autorité publique d'une manière générale). Nous attendons que toutes ces infractions soient ciblées par la justice de manière systématique.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

La distinction entre ceux qui sont présents dans la salle et ceux qui participent à l'audition à distance répond aux conditions de jauge que nous devons respecter au sein de l'institution sénatoriale. Je ne sais pas comment les choses se sont organisées mais en aucun cas, il n'y a plus ou moins d'importance pour les uns ou pour les autres. En outre, il y aura certainement d'autres occasions de venir au Sénat.

Debut de section - Permalien
Yann Bastière, délégué national aux questions judiciaires, Unité SG Police

Je vais centrer mon propos sur le projet de loi « confiance dans l'institution judiciaire », étudié dernièrement à l'Assemblée nationale, qui arrive prochainement pour être étudié au Sénat. Vous nous avez orientés vers certains articles, parmi lesquels l'article 2, qui traite de la réforme de l'enquête préliminaire.

Je ne vais pas reprendre les propos de mes collègues, avec lesquels nous sommes totalement d'accord. L'article 9 porte sur la remise de peine. L'application de la peine nous importe beaucoup. Nous espérons bien que la justice fera son oeuvre.

L'article 3 nous importe aussi beaucoup. Une partie de cet article a fait l'objet d'un amendement n°814. Il nous semble traduire, de même que de nombreux articles du projet de loi, d'ailleurs, une défiance envers les enquêteurs. C'est ce qui ressort des premières remontées de terrain. Nous sommes les ouvriers de la procédure pénale. Les enquêteurs du corps d'encadrement et d'application forment le gros des troupes. Ce sont eux qui interpellent et qui enquêtent, même s'ils ont de moins en moins le loisir de le faire. 80 % des actes d'une procédure sont en effet des actes de forme, dans la délinquance de masse. Il faut y remédier, notamment par une réforme de la procédure pénale.

Ce n'est pas ce qui se dessine à travers ce projet de loi de confiance dans l'institution judiciaire. À cela s'ajoute la présence de l'avocat en perquisition, sur un acte déjà initialement très chronophage, qui implique généralement un déplacement hors des locaux de police, souvent à plusieurs kilomètres. Nous nous sommes entretenus dernièrement avec le directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Ce format existe déjà en Suisse, où les perquisitions peuvent durer un peu plus de 36 heures. Vous imaginez bien à quel point, sur une durée totale de 48 heures de garde à vue, cela limite les possibilités d'agir.

Certes, en matière de stupéfiants, la garde à vue peut durer 96 heures mais la perquisition sera aussi particulièrement chronophage. Nous nous inquiétions du temps qu'il va rester pour l'enquête elle-même. La défiance s'ajoute ici à la complexification. De nombreux éléments, dans ce texte, montrent que le futur de l'enquêteur sera de plus en plus compliqué. La crise des vocations s'avère extrêmement prégnante dans cette filière et les pistes actuellement à l'étude par notre administration ne sont pas les bonnes. Le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure vient de réclamer une prime d'encadrement judiciaire. Je n'ose pas vous parler de l'augmentation de 18 euros dont bénéficieront peut-être, à partir du 1er janvier, les enquêtes si le décret paraît - car il n'est toujours pas publié. Cela fait rire - jaune - tout le monde. Messieurs les sénateurs, entendez cette grogne qui sourde au sein de la filière d'investigation, car elle pourrait alimenter la perte de confiance dans l'institution judiciaire.

Souhaitons que les États généraux de la Justice témoignent d'une prise en compte du caractère totalement obsolète de la procédure pénale, hors d'âge, qui a empilé des briques les unes sur les autres. L'amendement n° 814 en constitue une de plus. A défaut de cette prise de compte, l'avenir de l'investigation, au sein de la police nationale, sera plus que sombre.

Nous appelons de nos voeux une étude d'impact de toutes ces réformes sur le terrain. L'amendement 814 va venir à l'étude au Sénat et nous ne doutons pas que vous y attacherez la plus grande importance. Cette proposition était venue de vos rangs dans le cadre de la loi de justice 2018-2022. Elle est extrêmement mal perçue par les enquêtes de la police nationale, sur l'ensemble du spectre. L'acte de perquisition est si chronophage que beaucoup se demandent comment nous pourrions travailler demain s'il venait encore à se complexifier.

Debut de section - Permalien
Linda Buquet, conseiller technique, Synergie officiers

Je suis aujourd'hui accompagnée par Benjamin Iseli, secrétaire national de Synergie Officiers.

J'aimerais insister sur le climat délétère de violence dans lequel nos collègues travaillent quotidiennement. Il ne se passe pas un jour sans qu'un évènement ne défraie la chronique. Tout le monde en fait le constat mais rien ne change.

La plus grande difficulté, à nos yeux, réside dans l'absence de reconnaissance de l'autorité des forces de police, en raison d'une réponse pénale insuffisamment pertinente, à tel point que s'accroît un sentiment d'incompréhension dans les rangs de la police nationale. Tel est le cas en particulier lorsque les enquêteurs s'investissent dans une enquête judiciaire, identifient les auteurs de violences, réussissent à les interpeller et que la réponse pénale n'est pas à la hauteur. Nous ne savons pas encore ce qu'il sortira des États généraux de la justice. Nous appelons en tout cas de nos voeux la célérité et la sévérité de la justice pour ce type de faits.

La crise du judiciaire, qui ne suscite plus de vocations, a déjà été soulignée. Un certain nombre de projets ont vu le jour, notamment en termes de simplification de la procédure pénale. Là encore, ce n'est pas à la hauteur des attentes des policiers. A titre d'exemple, un certain nombre de circonscriptions, au sein de la préfecture de police, seront sites pilotes pour le projet d'oralisation d'une partie de la procédure pénale, notamment sur la garde à vue, compte tenu de son caractère très chronophage et du formalisme qu'elle exige. Il s'agira en fait de lire à l'interpellé ses droits, soit trois pages à lire, à enregistrer, avec un CD à placer sous scellé. Au final, le gain de temps sera inexistant. Les policiers doivent avoir voix au chapitre pour formuler des rapports en vue de simplifier leur quotidien, notamment dans le domaine judiciaire.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lagache, délégué général, Alliance Police nationale

Il a été rappelé que plusieurs commissions s'étaient déjà réunies, ayant mis en exergue les difficultés que rencontrent les policiers dans l'exercice de leurs missions, notamment la menace terroriste, la pression migratoire, la radicalisation des mouvements sociaux, ainsi que l'application des règles sanitaires et l'augmentation de la délinquance.

Cette pression a conduit depuis plusieurs années à une augmentation, comme vous le savez, des heures supplémentaires. Elle a également conduit à une hyper-vigilance de nos collègues, qui s'est transformée en un épuisement de l'ensemble des forces de l'ordre. Cette pression a aussi fait des policiers les cibles de tous les acteurs qui ne veulent plus voir les forces de l'ordre dans ce pays. Le seul fait d'incarner l'autorité, quelle qu'elle soit (élus, instituteurs, pompiers...) suffit à faire de nous des cibles de la délinquance au quotidien et des terroristes. Nous l'avons vu à la lumière des affaires dramatiques que nous avons pu vivre. Nous sommes aussi la cible de responsables politiques, de certaines associations et de certains journalistes, à tel point que le policier doit aujourd'hui se cacher de sa fonction afin d'éviter d'être visé dans le cadre de sa vie citoyenne. Il doit se protéger lui-même et il doit protéger sa famille. Aucun enfant de policier ne peut dire à ses camarades d'école qu'il est l'enfant de policiers, sauf à être systématiquement visé.

Notre manifestation intersyndicale, à laquelle vous avez fait allusion, avait réuni près de 35 000 personnes, policiers et citoyens, mobilisés en une semaine. Ce fut l'occasion de souligner des messages essentiels à nos yeux.

Il faut une cohérence entre l'action du ministère de l'Intérieur c'est-à-dire l'action de nos collègues (ceux qui identifient les délinquants, rassemblent les preuves puis présentent les individus aux magistrats) et le ministère de la Justice (ceux qui vont faire appliquer la loi). Dès lors que les faits sont constitués, une incompréhension se fait jour, très fréquemment, au regard de l'application de la loi. Ce fut d'ailleurs l'objet de cette manifestation, qui a fait l'unanimité parmi les syndicats de police. Nous étions nombreux et ce mouvement a été compris de la population. En atteste un sondage, dont on ne peut soupçonner qu'il fût manipulé par une quelconque organisation syndicale : il indiquait que les citoyens de ce pays avaient plus confiance dans la police que dans la justice de leur pays.

Il faut bien sûr, comme cela a été rappelé, disposer de policiers motivés, tant par leur pouvoir d'achat direct que par leur pouvoir d'achat indirect. Comment peut-on vivre décemment et appréhender notre métier sereinement avec un salaire de 2 000 euros par mois, alors qu'eu égard au niveau des loyers, dans de nombreuses villes, il ne laisse que 800 euros pour vivre. Ni vous ni moi, à mon avis, ne pourrions appréhender le métier sereinement dans de telles conditions.

Nous plaidons enfin pour que notre action s'appuie sur des textes et des règlements adaptés. Nous entendons parler depuis très longtemps de l'allègement de la procédure pénale, afin que nos collègues enquêteurs passent plus de temps à enquêter qu'à faire de la paperasse. Je me souviens de certaines manifestations lors desquelles on nous avait promis monts et merveilles sur ce chapitre de l'allègement de la procédure pénale. L'une d'elles avait eu lieu place Vendôme, autre lieu symbolique, sans que cela ne suscite d'ailleurs autant de polémiques que notre dernière manifestation. Toujours est-il que la procédure pénale a continué par la suite de s'alourdir. Les choses sont dites mais ne sont - quasiment - jamais faites.

Alors que le policier devient de plus en plus une cible, comme nous l'avons vu lors d'attentats terroristes, la loi sur la sécurité globale prévoyait des dispositions de floutage et d'anonymisation du policier dans le cadre de l'exercice de ses missions. Le sujet avait été évoqué à de multiples reprises dans différentes commissions, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Cette demande est malheureusement peu entendue, même si l'on nous dit souvent, en aparté, que nous avons raison.

Debut de section - Permalien
Stanislas Gaudon, délégué général, Alliance Police nationale

Parmi les difficultés au quotidien, dans l'exercice des missions, nous ne pouvons évidemment, en tant que syndicalistes, passer sous silence la question des conditions de travail et des moyens alloués. Le budget de la police nationale est un budget déséquilibré, comme vous le savez, avec 90 % de masse salariale, au détriment de l'investissement et du fonctionnement, qui n'ont perdu « que » 130 millions d'euros en l'espace de trois ans. Combien de voitures en moins, de rénovations immobilières en moins ou d'ordinateurs en moins cela représente-t-il? Au quotidien, le policier se retrouve entravé, faute d'ordinateurs, de véhicules corrects, sans compter un immobilier parfois délabré et qui tombe en décrépitude. Au quotidien, ce n'est pas facile. Il faudra revenir sur ce budget de la police nationale. Je mettrai de côté le budget 2021, qui a été placé sous perfusion à la faveur du Plan de relance. J'ose espérer que le budget 2022 ne sera pas en baisse par rapport à ceux qui ont précédé et que nous verrons un peu d'ambition dans les moyens alloués aux forces de sécurité.

L'autre moyen touchant aux conditions de vie et de travail des policiers réside dans les moyens réglementaires et juridiques, comme l'ont souligné plusieurs intervenants. Souvent, des efforts sont produits au moment de la rédaction des textes mais ceux-ci se trouvent entravés, parfois par l'exercice parlementaire de la navette, parfois par des décisions du Conseil Constitutionnel ou du Conseil d'État, lequel a censuré certaines dispositions qui nous semblaient intéressantes pour nos collègues.

Je pense par exemple à l'engagement pour les forces mobiles et à la décision du Conseil Constitutionnel relative à la protection des policiers, lorsque leur visage est diffusé sur les réseaux sociaux. Il faudrait qu'on ait l'ambition d'aller jusqu'au bout pour réellement donner aux policiers les moyens juridiques et réglementaires d'exercer sereinement leurs missions au quotidien.

Si le policier va mal, il a néanmoins une forte motivation pour protéger les personnes et les biens, ce qui le conduit parfois à effectuer des heures supplémentaires ou être rappelé le week-end. Il n'en demeure pas moins qu'in fine, c'est lui qui est en souffrance car il perçoit une perte de sens du métier.

Je ne reviendrai pas sur la procédure pénale. De nombreuses choses ont été dites. Des choses avaient été annoncées mais n'ont pas été faites. Je pense en particulier à toute la partie numérique. Je m'interroge d'ailleurs quant à ce qu'il est advenu d'un budget de plus de 100 millions d'euros qui devait être consacré à la direction du numérique. En voyant que le logiciel Scribe n'est toujours pas opérationnel en matière d'investigation, nous ne pouvons que nous interroger quant aux moyens alloués aux forces de sécurité.

Enfin, si, effectivement, les policiers travaillent bien avec les magistrats dans le cadre des enquêtes, quel que soit le cadre d'enquête, un tableau contenu dans un rapport sénatorial sur la loi « sécurité globale » nous apporte un tout autre éclairage sur la réponse pénale. Sur trois ans, il a été fait état de toutes les agressions à l'encontre des policiers, des fonctionnaires exerçant des missions de service public et des sapeurs-pompiers. Les taux d'emprisonnement prononcés et les quantums de peine prononcés m'invitent à rejoindre le verdict du Sénat, dont le rapport soulignait l'existence d'un fossé entre les peines encourues et les peines prononcées. Je ne parle même pas des peines exécutées, car le constat irait encore plus loin. Les policiers ne comprennent pas l'aboutissement de leur travail au bout de la chaîne pénale et les citoyens ne le comprennent pas davantage. Pour preuve, moins d'un Français sur deux fait confiance à la justice.

Une fois que l'on aura établi ce diagnostic, il faudra avoir le courage de donner une impulsion nouvelle. Si chacun s'accorde sur le principe de séparation des pouvoirs, la politique pénale s'impulse et seul le Garde des Sceaux peut le faire. Cela peut être fait en corrélation avec les policiers. On nous a parfois reproché de ne pas livrer tous les éléments dans les enquêtes. Si on ne donne pas aux policiers tous les moyens de mener des enquêtes, les taux d'élucidation peuvent effectivement s'avérer compliqués à gérer. Cette chaîne pénale devra être prise en compte par l'ensemble des acteurs. En tant que législateurs, vous pouvez nous y aider à travers l'écriture des textes et nous vous en remercions.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Sachez que la Commission des lois a beaucoup de regrets quant au texte sur la sécurité globale. Elle s'était beaucoup investie pour en rédiger un certain nombre d'articles.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Megret, secrétaire national, syndicat indépendant des commissaires de police

Je m'efforcerai de ne pas être redondant avec les propos des représentants des autres associations professionnelles, car malheureusement, sur le sujet qui nous réunit, nous sommes tous unanimes : nous sommes confrontés à une crise profonde de la police nationale, qui fait écho à une crise profonde de la société française. Celle-ci subit énormément de violence, avec des violences de plus en plus graves. Ceux qui les commettent bénéficient, au-delà de l'excuse, de l'impunité la plus totale, et la société s'inquiète. Nous sommes aux premières loges et nous sommes ceux qui sont les plus exposés à ce débordement de violence.

Nous avons manifesté il n'y a pas longtemps, suite à des évènements plus que dramatiques, après que deux de nos collègues ont été, en deux endroits différents, lâchement assassinés. Nous avions déjà manifesté il y a quelque temps pour signaler nos grandes difficultés.

Au-delà du petit bal médiatique, la réponse du Gouvernement est inexistante, car nous sommes coincés par un certain nombre de principes, comme cela été rappelé : on ne peut rien demander à la Justice et celle-ci n'a pas de comptes à rendre, ni à la communauté nationale, ni aux élus ni aux ministres. D'un autre côté, les policiers sont régulièrement attaqués, leurs familles régulièrement stigmatisées. Nous avons été amenés à lancer, ces dernières années, des plans pour lutter contre les suicides, qui se multipliaient au sein de notre Institution. Ce n'est pas un hasard.

La situation actuelle pourrait faire sourire si elle n'était pas si grave. Le jour même de cette fameuse manifestation, alors que nous expliquions les difficultés de nos métiers, de nombreuses personnes s'y sont jointes, des citoyens, des élus et des parlementaires de tous bords, pour nous soutenir. Le soir même, le Parlement a voté des dispositions pour entraver nos missions. Je pense à la disposition sur la perquisition. Ce sont des dispositions qui, d'une façon générale, témoignent d'une méfiance vis-à-vis de l'action des forces de l'ordre. Faire participer un avocat à une perquisition, laquelle est déjà soumise à un certain nombre de règles de forme, c'est estimer que les policiers et gendarmes font n'importe quoi ou ont une attitude liberticide. C'est une façon de reprendre d'une main ce qu'on essayait de nous donner symboliquement de l'autre en manifestant à nos côtés.

Vous savez tous, malheureusement, que même si les travaux éclairés de votre commission, au Sénat s'efforcent d'édulcorer un certain nombre de conséquences funestes de certains textes, ce genre de réforme, proposé au nom des libertés, conservera une part de matérialité. Celle-ci est aujourd'hui devenue tout à fait insupportable pour ceux qui sont chargés de faire respecter la loi et les règlements dans ce pays. Nous le voyons tous les jours sur les chaînes d'information. Nous sommes amenés à faire respecter diverses prescriptions, jusqu'à des couvre-feux. Notre action n'a plus de sens et ne peut être confirmée aujourd'hui par l'étape suivante de la chaîne pénale. On demande régulièrement à notre Institution de se réformer, ce qui est le signe qu'elle n'est pas suffisamment efficace, alors que toutes les institutions, autour, ne s'interrogent jamais sur leur utilité réelle au service de la population.

Ces préoccupations sont portées du gardien de la paix aux chefs de service et directeurs centraux. Ce n'est donc pas un réflexe corporatiste mais un vrai sentiment d'abandon des pouvoirs publics.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Sur le point particulier des perquisitions, avons-nous ou existe-t-il un certain nombre de statistiques sur des procédures qui auraient été annulées du fait d'un problème de légalité des perquisitions ? Avons-nous des chiffres à ce sujet ?

On peut donner un sens à la présence d'un avocat au cours de la perquisition. Le premier élément, pour savoir si les choses se passent bien, ce qui est vraisemblablement le cas dans 90 % des procédures, réside peut-être dans le nombre de recours introduits suite à des actes de perquisition et ayant entraîné des nullités de procédure (dès lors que celle-ci n'aurait pas respecté les règles) ? Avons-nous de tels éléments d'appréciation qualitative ?

Debut de section - Permalien
Yann Bastière, délégué national aux questions judiciaires, Unité SG Police

La perquisition est très encadrée par les textes. Dans les possibilités de l'enquête, la présence du mis en cause est prévue. Dans d'autres cas, ce sont des représentants légaux qui peuvent être présents, par exemple les parents. En bout de course, lorsqu'il n'y a pas d'autre choix, deux témoins choisis au hasard, qui peuvent être des voisins ou des passants, peuvent être sollicités pour assister à la perquisition.

Cet acte est donc encadré de garanties quant à la légalité et aux bonnes pratiques des OPJ.

Cet amendement va exactement dans le sens d'une défiance. Peut-être quelques dérives existent-elles sur le plan de la procédure mais ne faisons pas d'amalgame. Sur les réseaux sociaux, certains se félicitent de cet amendement au motif qu'on ne verra plus des canapés éventrés à coup de couteau. Ce n'est pas possible. Sur place, l'individu pourrait dénoncer de tels comportements s'ils avaient lieu.

Cet amendement qui concerne certaines infractions plutôt dans le « le haut du spectre », va cadrer certaines pratiques de façon assez limitée. J'évoquais ce qu'il se passe en Suisse. On me disait la semaine dernière que, lors d'une perquisition, dans une affaire importante, il y avait sur place davantage d'avocats que d'enquêteurs. C'est tout de même affolant.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Megret, secrétaire national, syndicat indépendant des commissaires de police

Je voudrais confirmer ce qui vient d'être dit et apporter un éclairage complémentaire. Effectivement, il y a un certain nombre de conditions de forme, à commencer par la présence d'un officier de police judiciaire. On ne peut être officier de police judiciaire qu'après avoir été formé et avoir passé un examen. Il existe aussi des règles de forme, notamment sur le plan des horaires. On ne fait pas de perquisition la nuit, sauf autorisation spéciale d'un magistrat du siège.

Au-delà de l'exemple un peu pittoresque de la Suisse, actuellement mis en lumière, aucun pays au monde ne pratique la présence de l'avocat en perquisition, pas même le pays des avocats, c'est-à-dire les États-Unis d'Amérique, où les avocats sont pourtant extrêmement puissants. On n'aurait pas l'idée, aux États-Unis, de faire participer un représentant d'une des parties à un acte d'investigation. Si l'on va par là, peut-être voudra-t-on y faire participer également le représentant du parquet. Ce sera un happening général pour savoir quand il faut être présent.

Surtout, les perquisitions se déroulent souvent très tôt le matin. Je doute de la présence effective, à ces heures, d'un certain nombre de personnes. Il faudra donc les attendre et y consacrer une matinée, là où on y passait deux heures. Il faudra assurer des formes de roulement et mettre en place un dispositif de sécurité extrêmement lourd. Dans les faits, cela conduira à ne plus perquisitionner certains lieux et donc à collecter moins de preuves, ce qui assurera l'impunité d'un certain nombre de personnes. Dans les enquêtes, l'on se rend parfois d'un endroit à l'autre extrêmement rapidement, si l'on trouve une deuxième adresse au cours d'une perquisition par exemple. Il n'y a jamais eu de remise en cause de la perquisition au motif qu'elle aurait eu lieu sans avocat. C'est une demande des avocats, qui permet à ceux-ci, pour les avocats commis d'office, d'être rémunérés pour un certain nombre d'actes supplémentaires, au-delà des auditions actuellement effectuées dans les commissariats.

Debut de section - Permalien
Pascal Jakowlew

L'article 56, en matière de saisies et de scellés, nous pose également une difficulté les saisies et scellés doivent être effectués en temps réel. Lorsqu'il y a énormément de matériel à saisir, l'exploitation est effectuée au service. Or l'article 56 prévoit le scellé provisoire. En revanche, les saisies et scellés doivent être signés par toutes les parties ayant participé à la perquisition. Cela signifie que l'OPJ reste à la disposition de l'avocat le lendemain, lorsqu'il sera disponible, ce qui pose problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Nous avons, dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, auquel participent tous les syndicats de police, tenu le 27 mai une table ronde sur ce sujet de la police et de la justice, en présence du Garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur. Elle a duré quatre heures trente. Les élus ont eu la parole durant 20 à 30 minutes, l'ensemble des syndicats et les ministres pendant trois heures environ et les ministres durant une demi-heure environ. Les positions que vous venez d'exprimer y ont été exposées de façon très claire et détaillée, tant au ministre de la Justice qu'à celui de l'Intérieur. On ne peut donc pas affirmer que les ministres n'ont pas été informés de toutes vos préoccupations en ce qui concerne les perquisitions, les gardes à vue ou de nouveaux problèmes qui se font jour en ce qui concerne la procédure pénale. Cela a été bien entendu.

Lors de mon intervention, le Garde des Sceaux me disait qu'il avait entendu parler de nos travaux. Il faisait allusion au rapport sur l'état des forces de sécurité, que nous avions remis à l'époque à Édouard Philippe, Premier ministre et au ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb ou son successeur. Durant six mois, les 21 sénateurs de la mission ont tenu 481 auditions, tenu 42 tables rondes et effectué 18 déplacements de terrain. Cette séance a eu lieu en présence du procureur de la République de Clermont-Ferrand. La Commission des lois a transmis une nouvelle fois les 350 pages de ce rapport sur l'état des forces de sécurité, travaux qui étaient présidés par Michel Boutant, avec pour rapport François Grosdidier. J'en ai discuté ensuite avec le ministre de l'Intérieur, qui n'avait jamais vu ce rapport. Il me l'a dit. Le ministre de l'Intérieur l'a vraisemblablement dans ses tiroirs mais je lui ai de nouveau transmis notre rapport afin de m'assurer que toutes les observations que vous avez formulées aujourd'hui ont bien été portées dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, institué par le président de la République. Le gouvernement ne peut donc pas ignorer aujourd'hui ce que vous revendiquez aujourd'hui dans tous les domaines.

Vous retrouverez dans ce rapport quatre propositions qui ont été actualisées sur le terrain :

 · le principe de stage d'immersion, mêlant policiers et magistrats, pendant le cursus de la formation initiale - principe entériné par le procureur de la République de Clermont-Ferrand, qui représentait la magistrature ;

 · la réforme totale du code de procédure pénale, dont le volume a été multiplié par huit en trente ans ; pour le co-rapporteur de la simplification de la procédure pénale, Jacques Baume, « la lourdeur de la procédure pénale est incontestable. Le code de procédure pénale est illisible, tant pour nos enquêteurs que pour le parquet, le juge d'instruction et la quasi-totalité des intervenants de la procédure pénale » ;

 · l'oralisation de la procédure ;

 · sa dématérialisation.

Telles sont les quatre propositions que vous retrouvez dans le rapport sur les forces de sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je puis vous informer que nous auditionnerons jeudi (17 juin 2021) madame de Montchalin et monsieur Dupont-Moretti à propos de la dématérialisation, pour la partie judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je suis frappé par la pauvreté, voire l'inexistence des statistiques portant sur le fond des jugements. On sait très peu de chose sur ce qui est jugé au pénal comme pour les autres champs de l'activité judiciaire. Il faut le rappeler aux Garde des Sceaux successifs, car c'est un outil de travail pour tous, y compris pour l'administration de la justice.

Ici, comme législateurs, nous sommes en priorité concernés par l'évolution du code de procédure pénale et le facteur de paralysie que constitue son alourdissement, ainsi que le déséquilibre entre les parties dont il témoigne aujourd'hui. De mon point de vue, telle est la priorité. Dans vos organisations se trouvent de nombreux acteurs de terrain de la procédure pénale et nous aurions besoin d'un relevé extrêmement factuel, écrit, détaillé, des dispositions du code de procédure pénale qui sont les plus paralysantes ou génératrices de risques d'erreur. Le métier d'avocat pénaliste est d'abord un métier de procédurier. Il me paraît donc très utile d'examiner ce qu'il y a dans le « tableau de chasse » des avocats pénalistes, c'est-à-dire les procédures qu'ils parviennent à faire tomber, en utilisant telle ou telle disposition du code de procédure pénale. Je crois vraiment que c'est sur cette base que nous devons travailler.

Il se trouve que je représente le Sénat au sein de la commission supérieure de codification, où nous mettons en ordre les différents textes pour en retirer les incohérences. Les personnes plus qualifiées que moi qui y siègent sont convaincues que le code de procédure pénale présente, dans les faits, des travers importants en tant que texte. Il me semble qu'il y a là matière à un dialogue très factuel et très professionnel sur les points critiques du code de procédure pénale, sans porter atteinte au caractère élémentaire des droits de la défense ni à la liberté, pour le prévenu, de ne pas s'exprimer, que rappelle à juste titre le Conseil Constitutionnel.

Puisque nous constatons, du fait de ces difficultés, un moindre attrait pour les postes d'officiers de police judiciaire, que choisissent, en second, les personnels qualifiés qui auraient le potentiel et un intérêt pour la police judiciaire ? Comment cette perte d'attractivité se traduit-elle dans leurs choix d'affectation ?

Debut de section - Permalien
Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure

Je voudrais d'abord répondre à la remarque de monsieur Leroy à propos du rapport de 2018 sur l'état des forces de sécurité, qui a effectivement constitué un travail conséquent. Un problème réside aussi dans le fait que le ministère de l'Intérieur est le ministère de l'urgence. Je crois que monsieur Darmanin est le neuvième ministre de l'Intérieur en dix ans et le troisième du présent quinquennat. Lors de chaque changement de ministre, nous réexpliquons nos problématiques, qui ne sont pourtant pas nouvelles. Des constats ont été posés, notamment lors du Beauvau de la Sécurité, mais nous les mettons en exergue de longue date en tant que représentants du personnel. Chaque fois, pour les réformes d'ampleur, nous nous heurtons à un calendrier (politique, médiatique etc.) qui n'est pas toujours le même que celui des attentes des personnels.

S'agissant du code de procédure pénale, le secrétaire général de notre syndicat a souligné, lors du Beauvau de la Sécurité, qu'il s'agissait « d'un montre devenu inintelligible, même pour les professionnels ». Il est vrai que l'actuel code de procédure pénale a des airs de Frankenstein, pour avoir été modifié à l'occasion de chaque loi de procédure pénale - et elles sont assez fréquentes. Au-delà des critiques de fond, on pourrait donc souligner son manque de stabilité. Les enquêteurs et magistrats consacrent une partie de leur temps à la compréhension, dans chaque nouveau texte, de ce qui va changer pour eux au quotidien. Nous pouvons signaler des dysfonctionnements de façon extrêmement précise mais il faudrait tout simplement envisager de le réécrire. Un tel chantier ne peut évidemment se conduire en quinze jours et doit - sans préjuger du rôle du Parlement à l'issue du processus - associer les enquêteurs (policiers et gendarmes), les magistrats, les avocats, etc. Notre procédure pénale est aujourd'hui au milieu du gué. On n'a pas choisi entre l'inquisitoire et l'accusatoire. Les enquêteurs de terrain nous disent que l'on cumule ainsi les difficultés des deux modèles. Il va donc falloir choisir et réécrire ce code, en remettant à plat l'ensemble de ses dispositions avec le concours des professionnels. Nous avons conscience que ce chantier ne pourra, du fait du calendrier, être lancé dans l'immédiat.

Je pense que ce sera aussi l'un des enjeux des États généraux de la Justice. Nous attendons de savoir de quelle manière nous serons, en tant qu'organisations représentatives des fonctionnaires de police, associés à cette démarche. Il est toujours positif que l'on débatte mais nous n'allons pas découvrir les difficultés de la justice à l'occasion des États généraux de la Justice, en particulier les problèmes de moyens, qui sont exprimés par les représentants des magistrats, des agents d'insertion et de probation, etc. Nous allons une nouvelle fois nous réunir et débattre. Il ne faudrait pas que nos collègues constatent que, concrètement, une fois de plus, la procédure pénale s'alourdit pendant que nous en débattons.

Quant aux services choisis ensuite par les agents, un mouvement inverse à celui qu'on connaissait il y a un certain nombre d'années peut aujourd'hui être observé. Il était logique de commencer par la voie publique, avant de rejoindre un service d'investigation dans un commissariat, puis peut-être un service spécialisé. Aujourd'hui, il existe une diversité d'aspirations de nos collègues, sur le plan géographique et en termes de spécialisations. Mais nombre de nos collègues, fatigués de l'investigation, des risques d'erreur induits par la procédure et de cette tension quotidienne, vont se diriger vers des services de voie publique ou des services de renseignement préservant un aspect d'investigation, sans être soumis au même formalisme procédural.

Dans un commissariat de Seine-Saint-Denis, aujourd'hui, vous avez toutes les chances de retrouver, au sein du service d'accueil et d'investigation de proximité, des gardiens de la paix sortis d'école, qui seront encadrés par un lieutenant sorti d'école, lui-même peut-être placé sous la responsabilité d'un commissaire sorti d'école, car il existe des territoires et des fonctions qui sont devenus très peu attractifs. Si les mesures indemnitaires ont tout leur sens pour reconnaître le travail des officiers de police judiciaire et le travail judiciaire qui est effectué, il faut avant tout redonner du sens au travail de nos collègues afin de les attirer de nouveau vers l'investigation, au-delà du seul respect des obligations procédurales dont ils comprennent de moins en moins le sens.

Debut de section - Permalien
Pascal Jakowlew

J'ai travaillé vingt ans en police judiciaire. Je l'ai quittée pour les Renseignements généraux, car le formalisme judiciaire était devenu beaucoup trop lourd. Un enquêteur ne travaille plus sur le fond aujourd'hui. Nous sommes devenus des techniciens du formalisme. Il faut être habilité pour tout et il n'y a plus aucun intérêt dans le métier. Ce n'est pas qu'une question d'argent. Même pour 200 ou 300 euros supplémentaires, je ne retournerais pas à l'investigation. Cela ne m'intéresse pas. Ma motivation se trouve dans l'intérêt de mon métier au quotidien. Or nous n'y trouvons plus de plaisir.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lagache, délégué général, Alliance Police nationale

Le sénateur Richard posait la question de la finalité des peines. Je rappelle que nous avons eu les mêmes interrogations, puisque nous avions proposé, à une époque, et réaffirmé lors de notre récente, manifestation la mise en place d'un observatoire de la réponse pénale contre ceux qui agressent les forces de l'ordre. C'était simplement pour démontrer qu'au bout de la chaîne pénale, la décision du magistrat avait un rôle crucial. Ce n'est pas pour rien si l'autorité est aujourd'hui remise en cause, celle du policier mais aussi, in fine, celle du citoyen. Lorsqu'on agresse impunément un représentant des forces de l'ordre, on peut s'imaginer que l'on peut s'en prendre à un élu, à un professeur et plus facilement encore à un citoyen. Tout ceci forme une chaîne qui nécessite des prises de décision. C'est la raison pour laquelle nous avons exprimé cette revendication relative à un observatoire de la réponse pénale, en examinant à la fois la peine encourue (en cas d'agression d'un policier, selon le code pénal), la peine prononcée par le juge et la peine réellement effectuée, lorsque l'individu passe devant le JLD (juge des libertés et de la détention).

C'est ce que je soulignais tout à l'heure : l'aménagement de peine est devenu la règle alors que l'emprisonnement est devenu l'exception. Nous sommes amenés à exercer une sorte de contrôle des décisions des magistrats, car peu d'individus sont sanctionnés, en dehors des affaires médiatiques, parmi ceux qui agressent les policiers, en vertu d'un principe idéologique : la justice tend aujourd'hui à sanctionner davantage ceux qui ont 20 ou 25 faits derrière ceux plutôt que ceux qui commettent leur première infraction. C'est un choix de doctrine de la politique pénale à la française, à la différence d'autres pays démocratiques qui ont fait un choix différent. Là aussi, une interrogation se fait jour, en écho avec les États généraux de la Justice.

Si nous n'avons pas de places de prison, on ne pourra emprisonner. C'est un peu le serpent qui se mord la queue. La prison restera l'école du crime dès lors que ceux qui y vont sont déjà formés au crime. Si l'on s'interroge sur la récidive à propos d'auteurs qui ont déjà commis 25, 50 ou 100 faits, soyez assurés que ceux qui sont confrontés à eux au quotidien, parmi les forces de l'ordre, ne se posent pas du tout cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Vous avez mis en exergue trois points principaux, la philosophie générale, la sanction pénale et l'exécution de la peine. Pouvons-nous considérer que votre préoccupation première porte moins sur le quantum de la peine prononcée que sur l'importance absolue de l'exécution rapide de la peine ?

Debut de section - Permalien
Stanislas Gaudon, délégué général, Alliance Police nationale

Les deux sont également importants. Le document auquel je faisais référence, qui est un document officiel, issu de la Chancellerie et annexé à un rapport du Sénat, fait état des taux de peines d'emprisonnement prononcées et des quantums de peine par rapport aux peines encourues. En cas d'atteinte contre une personne dépositaire de l'autorité publique sans ITT, la peine encourue est de trois ans et le quantum moyen est de 5,8 mois. La grille des peines, depuis 2019, oblige, pour toute peine inférieure à six mois, à un aménagement de peine. Du coup, le raccourci est fait : pour l'agression d'un policier, l'auteur échappe à la case prison. Sur le plan symbolique, c'est un mauvais signal du point de vue du respect de l'autorité de l'État et de la protection dont doivent bénéficier les personnes dépositaires de l'autorité publique. Ce signal encourage et entretient l'impunité qui s'est infiltrée dans la société actuelle. Le quantum de la peine et l'exécution de la peine constituent deux éléments indissociables.

De même, lorsque des peines prononcées sont - par exception - supérieures à un an, comme vous le savez, le jeu de la réduction automatique des peines et de leur réduction pour bon comportement conduit à des aménagements qui sont prononcés en cours d'exécution des peines. Là encore, on nous explique qu'il s'agit d'un principe de réinsertion. Là aussi, nous marquons de statistiques qui seraient intéressantes quant au taux de récidive. Nous avons regardé les chiffres de la Justice. Je ne suis pas en mesure d'affirmer qu'un primo-délinquant qui entrerait en prison devient récidiviste, car ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, ce ne sont que des récidivistes qui vont en prison, car on fait de la gestion de la population carcérale alors que l'on devrait raisonner en termes de gravité d'infraction et de préjudice subi - car il y a aussi les victimes, que nous ne devons pas oublier.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, vous m'avez confié, avec les collègues de la commission, le rapport sur le texte « confiance dans l'institution judiciaire », qui a été évoqué à plusieurs reprises. Je vais donc me concentrer sur ce rapport, en ayant une approche plus technique, et en m'excusant de ne pas me placer sur le plan des nombreux éléments évoqués par les uns et les autres (crise de l'autorité, stress des policiers, violence de la société...), bien que j'y sois particulièrement sensible.

J'aurai quatre questions à formuler. Je vais les présenter globalement avant d'y revenir par la suite. La première portera sur la chronologie. Vous serez probablement invités à l'automne à des États généraux de la Justice, sans doute en octobre. Ce calendrier est-il compatible avec l'adoption de la loi « confiance dans l'institution judiciaire », prévue fin décembre, selon le calendrier actuel ?

Mes deuxième et troisième questions porteront sur le contenu même du texte. Je vous propose d'y examiner ce qui s'y trouve et ce qui en est absent. Que pensez-vous de l'organisation d'États généraux de la Justice à l'automne, avec un texte a priori dans votre coeur de cible, qui aurait été adopté quelques jours avant ?

En d'autres termes, allez-vous porter vis-à-vis du ministère de la Justice l'idée qu'il serait raisonnable de n'examiner ce texte « confiance dans l'institution judiciaire » qu'après les États généraux de la Justice, notamment pour permettre d'intégrer leurs résultats ?

Debut de section - Permalien
Julien Morcrette, chargé de mission, Fédération CFDT Interco

Je rejoins votre questionnement. Le calendrier suscite en effet des interrogations, du fait de cette inversion. Je reviens également sur le Beauvau de la Sécurité. Pourquoi celui-ci se tient-il alors que nous avions, avec le Livre blanc sur la sécurité intérieure, toute la matière pour statuer sur les questions de sécurité ? Ce Beauvau de la Sécurité a estomaqué pas mal de monde lorsqu'il a été annoncé.

Nous espérons qu'il en émergera quelque chose de consistant mais il retarde aussi l'adoption d'une loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) que nous appelons de nos voeux. Il faut arrêter avec le temps court et les effets d'annonce. Nous voulons que du sens soit donné à notre profession. Nous voulons de la perspective et non naviguer à vue. Pourquoi un Beauvau de la Sécurité et non un Matignon de la sécurité ?, peut-on également se demander. Lorsque vous avez une fuite chez vous, vous ne disposez pas des serpillières. Vous appelez le plombier.

Nous sommes confrontés à une délinquance galopante. Nous pouvons incessamment construire de nouvelles places de prison, si l'on n'agit pas sur les causes. Si un gamin commence à insulter et frapper ses parents, ou son instituteur (trice), comment voulez-vous qu'il ne frappe pas le policier lorsqu'il aura 15, 16 ou 18 ans ? Aujourd'hui, ce sont les pompiers qui trinquent, nouveau phénomène qui va en empirant.

Nous appelons de nos voeux, à la CFDT, un projet social et sociétal de lutte contre la délinquance, impliquant tous les acteurs de notre société, institutionnels et associatifs. Il s'agirait de mettre autour de la table les personnels de la petite enfance, de soutien à la parentalité, l'Éducation nationale, bien entendu la police et la justice, les acteurs de l'insertion professionnelle, notamment ceux de la politique de la ville. Agissons sur les causes et arrêtons de traiter les symptômes.

Debut de section - Permalien
Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure

La célérité et la certitude de la sanction nous semblent particulièrement importantes en ce qui concerne les mineurs délinquants. Avant qu'il ne s'engage dans un parcours de délinquance, cela n'aura pas beaucoup de sens de juger et d'infliger une peine d'emprisonnement, deux ans après, à quelqu'un qui commet un premier fait à l'âge de 15 o 16 ans, s'il a déjà récidivé entre temps. Il se pose donc une question de rapidité, sans éluder les autres aspects que nous avons évoqués.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je rappelle à nos collègues sénateurs que la dernière LOPSI date de 2002 et qu'elle a été reprise en 2011. On peut imaginer qu'une nouvelle loi de programmation donnerait quelques perspectives aux acteurs de la sécurité - comme cela a été fait pour la justice à travers le texte de 2018.

Debut de section - Permalien
Jérôme Moisant, secrétaire national aux conditions de travail, Unité SG Police

Nous ne partageons pas du tout l'avis de l'intervenant précédent. Nous avons participé aux travaux du Livre blanc. Nous faisions partie du groupe de travail public, dont faisaient partie des représentants de la société civile. Nous avons le sentiment de ne pas avoir été entendus. Le Livre blanc est clairement le fruit du travail de la technostructure.

Comme vous l'avez souligné, les syndicats sont très entendus dans le cadre du Beauvau de la Sécurité, en tout cas ont une grande faculté à s'exprimer. Au moins, nous avons le sentiment d'avoir pu dire tout ce que nous avions à dire. Pour des policiers, c'est déjà beaucoup.

En outre, le Livre blanc faisait un plan large de l'institution « police nationale » et de la sécurité intérieure dans son ensemble. Le Beauvau de la Sécurité traduit plutôt une approche macroscopique, notamment à l'échelle des personnels.

Vous nous demandiez si un problème de calendrier ne se posait pas. Les occasions de dire ce que l'on pense, de formuler quelques propositions pragmatiques, ne manquent pas. Nous avons participé à plusieurs reprises à la commission Beaume Nattali. Nous y avons participé à plusieurs reprises et nos interlocuteurs semblaient pleinement adhérer tant aux constats que nous dressions qu'aux solutions que nous proposions. In fine, malheureusement, comme souvent, pour les policiers, il ne se passe rien. Pire encore, on aggrave leur situation. Oui, l'on pourrait considérer qu'il existe une maladresse dans le calendrier. Néanmoins, compte tenu de ce qu'il en sortira au bout, nous avons le sentiment que ce concours de circonstances ne sera pas tellement malheureux.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Ma deuxième question porte sur le contenu du texte dit de confiance dans l'institution judiciaire. Je ne reviens pas sur la question de la perquisition. J'aimerais connaître votre sentiment à propos des enquêtes préliminaires, qui seraient limitées à deux ans. Y a-t-il de nombreuses enquêtes préliminaires qui durent plus de deux ans ? Quels domaines concernent-elles ? Parlons-nous seulement du trafic de drogue ou du travail du Parquet national financier ?

Je considère que vous avez répondu sur les réductions de peine. J'aimerais que vous disiez un mot du rappel à la loi. Je crois que vos organisations ne sont pas de fervents soutiens du rappel à la loi, qui serait supprimé. Toute suppression d'une disposition conduit néanmoins à se demander par quoi, dès lors, elle serait remplacée. Le nombre de places de prison est limité. Dans le même temps, il faut assurer une forme d'effectivité de la sanction.

Debut de section - Permalien
Yann Bastière, délégué national aux questions judiciaires, Unité SG Police

En ce qui concerne l'enquête préliminaire, pour avoir été sollicités dans le cadre de la commission Mattéi mandatée par le Garde des Sceaux, nous avions déjà exprimé nos craintes quant à cette unification. Comme vient de le dire mon collègue, peut-être avons-nous été écoutés mais non entendus, puisque les dispositions les plus contraignantes ont finalement été retenues pour être intégrées dans le projet de loi.

Déjà, aujourd'hui, rares sont les dispositions du texte actuel (article 75 et suivants) qui peuvent être appliquées du fait de la masse de dossiers. Dans le contentieux financier, par exemple, certains dossiers ne sont pas suivis. Je sais très bien que deux ans, avec une réquisition, sur des dossiers, cela peut aller très vite. C'est la charge mentale qui va peser sur nos collègues enquêteurs qui m'inquiète particulièrement. Ils sont déjà submergés de dossiers et ne voient plus la lumière. Lorsqu'une pression se manifestera de la part du parquet, une charge mentale infernale pèsera sur eux, pour certaines infractions. Le fond du dossier, l'enquête, perdra tout son sens, au-delà d'une gestion du calendrier contrainte par ces nouveaux textes. Nous savons que des armoires entières, dans les commissariats de France, sont pleines de dossiers de 2015 ou 2016 qui n'ont pu être traités ou en attente de réquisitions. Pourquoi prendre des dispositions encore plus contraignantes ?

Debut de section - Permalien
Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure

Comme je l'avais rappelé tout à l'heure, nous avons des interrogations quant au devenir des procédures qui n'auront pu être orientées par un magistrat dans un délai de deux ans. Ceci concerne un certain nombre de procédures, y compris en commissariat. Nous l'avons déjà dit face à la commission Mattéi. On a l'impression qu'il suffirait d'imposer par la loi une durée limite pour que les policiers et magistrats, qui se tournaient les pouces, décident de traiter leurs dossiers plus rapidement. Vos aurez bien compris que la réalité est bien différente et que nos collègues, au sein des services d'investigation, sont débordés. Lorsque vous avez 200 ou 300 dossiers en portefeuille voire davantage, il faudra effectuer un recensement. Pendant ce temps, d'autres procédures continueront d'arriver.

Qu'en sera-t-il du collègue qui ne sera pas remplacé ? Qui reprendra la procédure pour la présenter à un magistrat avant l'expiration du délai de deux ans ? Nous avons l'impression que les dispositions du projet de loi, d'une façon générale, sont pensées pour quelques dossiers de grande délinquance financière. Le code de procédure pénale s'appliquant aussi aux affaires traitées dans les commissariats et au contentieux de masse, le texte risque d'avoir des conséquences assez importantes et préjudiciables. Aujourd'hui, si nos collègues ne traitent pas les enquêtes préliminaires, ce n'est évidemment pas par choix. La charge mentale est une réalité, car il y a aussi les victimes, qui appellent pour savoir où en est leur dossier. Lorsque nous contactons les magistrats, ceux-ci nous invitent à prioriser les dossiers, le « très très urgent » devant passer avant le très urgent et avant l'urgent. Nous faisons en fonction des moyens humains et matériels qui sont les nôtres. Malheureusement, il ne suffit pas de changer la loi pour faire évoluer la situation du jour au lendemain.

Nous avons également une interrogation à propos du rappel à la loi. Nous accueillons assez favorablement sa suppression, car il s'agit d'une modalité de classement sans suite. Néanmoins, près de 300 000 rappels à la loi sont prononcés chaque année. J'ai quelques doutes quant à la possibilité de l'institution judiciaire et de la nôtre à faire appliquer 300 000 amendes ou peines d'intérêt général par an. Certains magistrats nous disent qu'ils n'ont pas d'autre choix que de classer pour d'autres motifs, car le rappel à la loi était parfois utilisé pour des faits qu'ils jugeaient d'une importance relativement faible. Si c'est cela et si cette suppression n'aboutit pas à des sanctions effectives dans les dossiers concernés, nous ne serons pas satisfaits.

Debut de section - Permalien
Stanislas Gaudon, délégué général, Alliance Police nationale

Le rappel à la loi est une alternative aux poursuites, qui fait partie des classements sans suite, dans les affaires non poursuivables. S'il s'agit de le remplacer par une autre alternative aux poursuites sans se poser la question de la gravité des faits, nous n'aurons pas répondu à la question. Si un rappel à la loi est décidé suite à une agression envers un policier, le décalage entre la peine encourue et la peine prononcée est énorme. Si vous le remplacez par des travaux d'intérêt général ou des jours-amendes, vous n'aurez pas appliqué la politique pénale de fermeté que les policiers attendent.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

J'en viens à ma troisième question, relative à ce qu'il n'y a pas dans le texte de confiance dans l'institution judiciaire. Dans un exercice où interviennent les services de gendarmerie mais aussi la justice et la défense, qu'auriez-vous aimé trouver dans ce texte, pour la partie qui vous concerne ? Quels seraient les manques ?

Vous avez bien sûr évoqué les agressions et les drames dont peuvent être victimes les policiers. Le Garde des Sceaux vous dira que la durée de la période de sûreté a été allongée, en cas de meurtre de policiers. Je comprends très bien cet objectif. J'aurais sans doute davantage attendu des mesures tendant à faciliter les enquêtes. Je pense en particulier à toutes les procédures que vous pouvez mener dans les infractions dites en bande organisée. Vous pouvez utiliser, dans ce cadre, différentes techniques d'investigation qui ne peuvent être mobilisées autrement. J'aurais plutôt attendu des évolutions sur ce plan.

Debut de section - Permalien
Pascal Jakowlew

Le véritable souci, à nos yeux, concerne l'investigation, le contentieux de masse. Nous n'avons pas d'éléments de réponse. L'officier de police judiciaire n'a pas l'opportunité des poursuites. On a tout judiciarisé et nos procédures ont explosé.

Nous souhaiterions qu'un référent du parquet soit présent dans les services d'investigation et puisse faire le tri en amont. Cela nous permettrait de faire gagner un temps assez important sur le plan des procédures. Le code pénal demande de constater l'infraction et de présenter l'auteur à l'OPJ. De l'autre côté, la procédure pénale prévoit de ne pas réprimer ou d'apporter une réponse pénale qui ne suffit pas. Nous souhaiterions donc que le tri soit fait en amont et non a posteriori.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Il s'agirait de choisir les enquêtes si je comprends bien.

Debut de section - Permalien
Pascal Jakowlew

C'est cela, les prioriser et orienter l'enquête vers l'OPJ compétent en fonction du degré de l'infraction.

Debut de section - Permalien
Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure

D'une manière générale, il faudrait simplifier aussi, tant pour les magistrats que pour les enquêteurs, les comptes rendus obligatoires et les demandes d'autorisation de réquisition, notamment en enquête préliminaire. Énormément de temps est perdu du fait de l'obligation de rédiger des comptes rendus formels qui ne portent pas forcément sur le fond du dossier.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Je termine avec le focus sur le volet « procédure pénale », qui est, nous l'avons bien senti au fil de vos interventions, le « coeur du réacteur », de ce qui pose problème. Vous avez d'ailleurs beaucoup insisté sur le fait que le malaise de la police française se concentrait beaucoup sur la police judiciaire. Du moins est-ce là que vous estimez qu'il existe des défauts manifestes de fonctionnement.

En matière de simplification de la procédure pénale, vous paraîtrait-il outrancier de vous demander malgré tout ce « tableau de chasse », pour reprendre l'expression qu'utilisait Alain Richard, et de vous demander de nous communiquer votre corbeille, votre stock ou simplement vos propositions de modification des dispositions de procédure pénale ? Je voudrais vous pousser un peu dans vos retranchements, pour nous permettre collectivement de mesurer ce qui relève du domaine législatif et du domaine réglementaire.

Les sénateurs vivent ancrés dans les territoires. Je discutais récemment avec le DDSP de ma circonscription. Les difficultés qu'il évoque, en matière de procédure pénale, sont systématiquement des problèmes de nature réglementaire. Pour notifier ses droits à un étranger, par exemple, il serait tout de même plus simple de pouvoir afficher sur l'écran de l'ordinateur, dans telle langue, les éléments à exposer à la personne, afin de ne pas être obligé de réquisitionner un traducteur. De même, pour les écoutes, il serait mieux d'annexer la clé USB à l'enquête sans reprendre tous les éléments. Je pourrais multiplier les exemples. J'entends des choses pertinentes mais elles me paraissent toutes relever du niveau réglementaire. C'est un peu la limite de l'exercice pour le Parlement. Nous pouvons être un outil d'influence, avoir une fonction de porte-parole mais notre terrain d'action est le législatif et non le réglementaire.

Je vous renouvelle donc ma demande de communication de vos propositions, afin de nous permettre de bien mesurer vos attentes législatives et vos attentes de nature réglementaires - à charge pour nous de trouver le point de levier dans la discussion avec le Garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur, afin de ne pas nous désintéresser de ce qui relève du réglementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

La commission vous enverra par mail cette demande, de sorte que vous puissiez nous répondre dans un délai correct - si possible dans le courant du mois de juillet. Cela nous permettra d'expertiser avant la période du mois de septembre.

Je voudrais terminer en m'assurant d'avoir bien compris votre propos. Il y a un aspect prégnant qui a trait à la gestion des ressources humaines et aux moyens matériels, qui est prégnant. Il y a un aspect lié à la procédure pénale, au sens strict, avec un objectif d'allègement, en tout cas de simplification, du fait de la complexité actuelle de la procédure.

Une question a trait au quantum de la peine, pour les infractions commises à l'encontre de policiers et de toute personne ayant autorité publique (élus, pompiers, etc.). Nous percevons une volonté d'augmenter la peine encourue pour ce type d'infraction, indépendamment du prononcé de la peine, qui constitue une demande distincte dans vos propos. Une question porte enfin sur l'exécution de la peine, dont vous souhaitez qu'elle soit rapide.

Le problème statistique me paraît par ailleurs essentiel.

Ce résumé extrêmement simple traduit-il votre pensée, à vous toutes et à vous tous ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Lagache, délégué général, Alliance Police nationale

Vous avez oublié un point essentiel, monsieur le président, même si ce n'est pas un oubli à mon avis. C'est la nécessité absolue de protection des forces de l'ordre de ce pays, car si aujourd'hui l'on peut s'attaquer à un policier, il est plus facile de s'attaquer à un citoyen, d'où l'augmentation de la délinquance que nous constatons, à travers les coups et violences volontaires. Ce qui vaut pour les citoyens vaut pour les policiers et pour les élus. Nous le constatons tous les jours. Il est essentiel de trouver une solution à cette problématique et de protéger les forces de l'ordre de ce pays. Nous l'avions proposé à travers l'observatoire de la réponse pénale. Celui-ci aurait eu pour rôle de dresser un constat mais nous connaissons le constat. Vous le connaissez également. Il va falloir maintenant y apporter des réponses.

Très récemment, le chef de l'État a été injustement agressé. La réponse a été forte puisqu'un mandat de dépôt a été prononcé. La sanction est légitime. Trouvez-moi un exemple dans lequel un policier a été giflé et où l'agresseur a fait l'objet d'un mandat de dépôt. Cela n'existe pas. L'auteur a également été privé de ses droits civiques et ne peut se présenter aux concours de la fonction publique. Cette réponse est légitime, car on n'agresse pas un président de la République. Mais on n'agresse pas non plus un policier.

Quand les magistrats le veulent, ils peuvent prendre des sanctions fortes. Les forces de l'ordre représentent aussi la République. C'était un point essentiel de notre manifestation, en écho à l'actualité, qui n'est malheureusement pas nouvelle. Je rappelle que notre revendication commune visait la mise en place d'une peine minimale pour les auteurs d'agressions contre des policiers.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Peut-être me suis-je mal exprimé. Lorsque j'ai dit que vous vouliez revoir le quantum des peines, c'est bien cet aspect-là que j'évoquais. Lorsque j'ai dit qu'il faut une réponse pénale qui soit à la hauteur, c'est également cet aspect-là que j'aborde. Les choses sont parfaitement claires et nous sommes parfaitement conscients de la situation.

Debut de section - Permalien
Jérôme Moisant, secrétaire national aux conditions de travail, Unité SG Police

Globalement, vous avez fait un résumé assez complet de ce qui a pu être dit et de ce qui est attendu. Nous tenons beaucoup à la protection des policiers victimes. Cela passe par la protection fonctionnelle. Celle-ci est d'ailleurs souvent contestée de manière unilatérale par notre administration.

La protection fonctionnelle constitue un ensemble. Quelques fois, c'est simplement une épaule. Récemment, lorsque nos collègues de Viry-Châtillon sont allés en cour d'assises d'appel, pas un seul responsable de leur administration n'était à leurs côtés, alors qu'à l'époque du drame, ils étaient tous face caméra, ou dans les services, à se montrer solidaires et blessés par ce qu'il s'était passé. Ce sont des choses qui marquent nos collègues et qui ne peuvent plus perdurer.

En outre, nos collègues mis en cause ne bénéficient pas toujours, semble-t-il, de la même présomption d'innocence que tout un chacun. Ils sont souvent lâchés par l'Institution. Leur mise en cause impacte généralement leur vie professionnelle, leur vie sociale et leur vie personnelle. Nous souhaitons que nos collègues ne soient pas maltraités par l'Institution tant qu'ils ne sont pas jugés.

Debut de section - Permalien
Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure

Il ne faut pas oublier un certain nombre de sujets traités dans le cadre du Beauvau de la Sécurité. Je pense à la formation et à l'encadrement, qui demeurent des sujets importants. Dans la gendarmerie nationale, il y a un seul corps de cadres. Dans la police, il y en a deux. Nous estimons qu'il faudrait les unifier pour aboutir à un système dans lequel, comme dans la gendarmerie, on commence lieutenant en commandant une unité sur le terrain, pour parvenir ensuite aux plus hautes responsabilités. C'est une position que nous défendons de longue date vis-à-vis du ministère de l'Intérieur et peut-être le Beauvau de la Sécurité sera-t-il l'occasion de faire avancer ce dossier.

Quant à la formation, le président de la République a annoncé récemment, lors d'un déploiement à Montpellier, la création d'une école de guerre pour la police nationale. Nous attendons d'en savoir un peu plus et de mieux connaître les contours de ce futur établissement. S'il permet de bénéficier d'un plus grand nombre de formations partagées entre les différents corps, notamment, ce sera un dispositif intéressant. Nous y serons évidemment attentifs, car c'est aussi un point primordial pour préparer nos futurs collègues à leurs missions.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Il ne me reste qu'à vous remercier de votre disponibilité. Les rapporteurs du texte « confiance dans la justice » auront l'occasion de revenir vers vous. Nous vous adresserons une note confirmant notre souhait de recevoir vos propositions, notamment en matière de procédure pénale. En toute hypothèse, nous aurons l'occasion de reprendre contact. Merci à vous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 35.

La réunion, suspendue à 16 heures, est reprise à 17 h 35.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous auditionnons aujourd'hui Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 4D » ou « 3DS », que nous examinerons en commission le 30 juin, et à partir du 7 juillet en séance.

Debut de section - Permalien
Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Le projet de loi relatif à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui, est le fruit d'un travail collectif riche, qui a impliqué une large partie des membres du Gouvernement : près de vingt ministres et secrétaires d'État, sous la conduite du Premier ministre, ont participé à son élaboration.

Il est né de quatre constats posés à l'occasion du Grand Débat national : une attente très forte de nos concitoyens à l'égard de notre politique de renforcement de l'action publique de proximité ; une aspiration tout aussi importante à une meilleure prise en compte des particularités locales et à une organisation territoriale des politiques publiques moins uniforme et moins rigide ; une volonté des acteurs locaux d'être confortés et soutenus dans l'exercice de leurs missions ; et une forme de fatigue des élus comme des citoyens à l'égard des réformes institutionnelles, après vingt ans d'évolutions incessantes.

À la demande du Président de la République, nous nous sommes donc fixé pour objectif de bâtir un « acte de décentralisation adapté à chaque territoire », résolument tourné vers l'action publique, et non vers une énième redistribution générale des compétences.

Ce projet a été patiemment construit depuis près de dix-huit mois, dans la concertation, malgré la crise sanitaire, avec l'ensemble des échelons de collectivités et dans l'ensemble des régions du territoire, notamment dans les outre-mer - cela se traduit par un titre entier, que Sébastien Lecornu défendra avec moi dans l'hémicycle, consacré aux spécificités de ces territoires. Le projet de loi a également intégré les attentes nouvelles qui ont été exprimées par les citoyens et les élus à l'occasion de la crise de la covid-19, notamment en matière de sanitaire.

Il répond donc aux attentes pragmatiques, concrètes et utiles formulées dans les territoires, et constitue une marque de respect, d'écoute et de compréhension à l'égard des élus locaux.

Il marque un tournant dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales : si l'État fixe un cadre et fournit une boîte à outils concrète, il appartient aux collectivités locales et à leurs élus de saisir l'opportunité qui leur est offerte pour exprimer leurs singularités et leurs projets.

Le projet de loi traite en effet de la quasi-totalité du champ de l'action publique locale, en se concentrant sur les grands défis auxquels les décideurs locaux font face : je pense en particulier à la transition écologique, aux mobilités, à l'urbanisme, au logement, à la santé, à la cohésion sociale et à l'éducation.

Les quatre « D » de l'intitulé du projet de loi en résument les objectifs.

Tout d'abord, la « différenciation » territoriale, pour s'adapter aux réalités locales. Elle se traduit, par exemple, par une extension du pouvoir réglementaire local, des mesures adaptées aux enjeux transfrontaliers, ou encore l'expérimentation d'un financement différencié du revenu de solidarité active (RSA) en métropole, envisagé depuis longtemps et que la différenciation permet enfin de réaliser.

La « décentralisation » ensuite, pour conforter les compétences des collectivités territoriales dans les domaines, que j'ai déjà cités, de la mobilité, du logement, de l'insertion, de la transition écologique ou de la santé. À titre d'illustration, les départements et les métropoles pourront se voir transférer une partie du réseau routier national non concédé sur leur territoire afin de parachever le mouvement de décentralisation des routes aux départements et métropoles. Les objectifs de production de logement social définis par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et applicables aux communes seront pérennisés, tout en prenant davantage en compte les réalités locales. Le travail mené en commun avec Emmanuelle Wargon, qui défendra le texte avec moi sur ce volet, a permis d'aboutir à une proposition équilibrée qui recueille l'assentiment des élus locaux.

La « déconcentration », troisième élément, pour rapprocher l'État du terrain, dans une logique d'appui et de contractualisation avec les collectivités territoriales. Par exemple, le Gouvernement souhaite faciliter le recours par les collectivités aux capacités d'appui en ingénierie du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), établissement public de l'État. La parole de l'État sur le terrain sera réunifiée en faisant du préfet de région le délégué territorial de l'Agence de la transition écologique (Ademe).

Enfin, la « décomplexification » de l'action publique locale est le dernier volet que je porterai avec Amélie de Montchalin, et qui a été considérablement renforcé au cours des derniers mois à la demande du Premier ministre.

J'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec le Président du Sénat, le président de la commission des lois et les deux rapporteurs de votre commission, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud. J'ai également eu un entretien avec Dominique Estrosi Sassonne et Valérie Létard dans le cadre du rapport d'information qu'elles ont rédigé sur l'évaluation de la loi SRU. Je crois ne pas me tromper en affirmant que nous sommes tous dans un état d'esprit constructif et que nous voulons voir ce texte aboutir. D'ores et déjà, vous avez dû retrouver une partie des propositions que le Sénat avait formulées dans le rapport intitulé 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales.

Je crois que l'examen dans lequel nous nous engageons nous permettra d'aller encore plus loin puisque plusieurs mesures pourront rejoindre le texte initial sans difficulté, d'autres demanderont quelques ajustements pour trouver un point d'équilibre. Évidemment, nous avons aussi quelques lignes rouges sur lesquelles je suis certaine que nous allons revenir au fil de notre échange.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

La déconcentration constitue l'un des piliers de ce texte. Elle va de pair, selon nous, avec la décentralisation. À l'été dernier, le Sénat et son Président avaient insisté, dans le cadre des 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales, sur la nécessaire complémentarité entre les préfets de département et les maires. Si l'on peut regretter un manque général de souffle dans ce texte, il tient tout particulièrement à la timidité des mesures en matière de déconcentration. Ainsi, le rôle des préfets de région sera renforcé dans l'attribution des subventions des agences de l'eau, alors que les comités de bassin dépassent le périmètre des régions - nous aurions donc préféré privilégier les préfets de département. Nous aurions aussi aimé que le préfet de département soit le délégué territorial de l'Office français de la biodiversité (OFB), sur le modèle de ce qui est proposé dans le projet de loi pour la gouvernance territoriale de l'Ademe. De même, il aurait été judicieux de préciser davantage le rôle des sous-préfets, qui ont l'agilité nécessaire pour être à l'écoute des territoires, comme en témoigne leur rôle fondamental dans la mise en oeuvre du plan de relance.

Autre point crucial, le transfert expérimental des routes aux régions. Nous considérons qu'il est nécessaire d'augmenter la durée de l'expérimentation : cinq ans, cela semble trop court au regard des enjeux qu'un tel transfert représente et pour évaluer les besoins et les transferts de personnels requis. Nombre d'élus y voient un écueil majeur. De même, les mesures de simplifications semblent disparates, sectorielles et de portée inégale. Nous essaierons de leur donner plus de cohérence et de souffle.

Enfin, la question de l'eau et de l'assainissement, à laquelle nous sommes très attachés, vous le savez. L'eau ne relève pas, selon nous, du champ intercommunal. La preuve en est que les communes qui souhaitaient transférer cette compétence à l'intercommunalité pouvaient le faire avant la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) : peu l'ont fait ! Cette compétence est singulière et nous devons revoir les modalités de transfert, pour privilégier les syndicats aux intercommunalités. Nous avons toujours essayé d'avancer avec le Gouvernement, mais nous sommes face à un blocage. Les subdélégations semblent, en pratique, difficiles à mettre en oeuvre. Il est rare que le Sénat insiste de manière récurrente sur un point, mais nous écoutons les remontées des territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Le Sénat accueille ce texte avec bienveillance et exigence. Nous espérons que les discussions seront fructueuses. Néanmoins, nous poussons déjà ce texte vers la lettre « E », car nous visons avant tout l'efficacité de l'action publique !

S'agissant du principe de différenciation, qui fait l'objet de l'article 1er, le Sénat ne vise pas à « détricoter » la République : la Constitution et la jurisprudence reconnaissent clairement, en effet, que la différenciation est utile pour parvenir à l'égalité. Comme pour la compétence « eau », n'y voyez pas là un « marronnier » du Sénat. Simplement, la crise sanitaire a montré la nécessaire complémentarité entre l'État et les collectivités territoriales, et l'exigence de réactivité. L'État peut avoir confiance dans les collectivités qui ne manquent jamais à leur devoir. Malheureusement, l'article 1er n'apporte rien de nouveau. Il se borne pour l'essentiel à la répétition du principe de différenciation tel qu'il est aujourd'hui admis par la jurisprudence constitutionnelle, et se trouve donc concrètement dépourvu de portée normative.

De même, à l'article 2 sur le pouvoir réglementaire local, il devrait être possible d'aller plus loin pour plus d'efficacité. Je note d'ailleurs que pendant la crise sanitaire, beaucoup de maires de petites communes ont été contraint de s'octroyer un pouvoir réglementaire local, faute d'autres solutions.

Les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) sont ce que j'appelle des « parloirs », simples lieux de dialogue entre collectivités. La plupart ne fonctionnent pas très bien et certains s'interrogent sur leur intérêt. Or, avec ce texte, elles deviendraient un lieu de décision, permettant de définir les transferts de compétence tous les six ans, après les élections, au risque d'entraver la liberté des territoires. J'y suis défavorable.

Il faut aussi plus d'audace sur la médecine scolaire et la prévention. La qualité de l'action des départements dans des domaines connexes, relatifs à la protection de l'enfance, est reconnue. Toutefois, il faudrait clarifier ses compétences en la matière. Les instituts départementaux de l'enfance et de la famille sont ainsi financés par le département, mais le président du conseil départemental n'a aucune autorité sur le personnel et n'en choisit pas le directeur ; c'est pourtant lui qui assure le financement de ces personnels. Je ne suis pas sûre que ce système fonctionne vraiment bien. Il nous paraîtrait souhaitable, par souci de cohérence, d'élargir le détachement dans la fonction publique territoriale qui est proposé, par le texte, aux directeurs adjoints, afin que le directeur ne soit pas le seul à être placé sous l'autorité du département. Quant à la médecine scolaire, Madame la ministre, vous connaissez notre position : au regard de l'état actuel de sa gestion, de sa situation financière qui confine à l'indigence, son transfert aux départements aurait dû perdurer au sein du texte...

J'en viens à l'assouplissement du fonctionnement des intercommunalités, thème qui m'est cher, vous le savez. Je souhaite une intercommunalité heureuse. L'Assemblée des communautés de France (AdCF) a beaucoup évolué sur ce sujet. Elle reconnaît l'obligation de performance et d'efficacité, et le niveau de l'intercommunalité n'est pas toujours le plus adapté : est-ce le rôle de la métropole de réparer les nids-de-poule sur les routes ? On a plutôt besoin d'une intervention de proximité. L'action des métropoles mériterait d'être réinterrogée. La Cour des comptes s'étonne du nombre de délégations de gestion dans les métropoles et les intercommunalités. Cela montre que les communes et les intercommunalités ont trouvé des solutions originales pour s'adapter à des transferts autoritaires décidés d'en haut. Cela vaut aussi pour les centres intercommunaux d'action sociale.

Je constate par ailleurs que l'autorité judiciaire comme la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) retiennent trop souvent une acception par trop large de la qualification de prise illégale d'intérêt, parfois jusqu'à l'absurde... Bien sûr, il faut être vigilant sur ce point, et il ne s'agit en aucun cas d'exonérer les élus d'obligations légitimes relatives à l'exercice de leur mandat ; mais en considérant que les élus locaux qui représentent la commune au sein des conseils d'administration des sociétés d'économie mixte (SEM) ou d'une société publique locale (SPL) commettent un délit de prise illégale d'intérêts s'ils ne se déportent pas, on va très loin, et l'on risque de ne plus trouver de candidats pour exercer les mandats locaux. Il importe donc d'agir sur ce point et de prévoir au besoin une dérogation en faveur des élus qui représentent leur collectivité au sein d'une SEM ou d'une SPL. Où en êtes-vous dans vos réflexions sur ce point ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Sur le titre III relatif à l'urbanisme et au logement, je voudrais vous poser trois questions sur la réforme de la loi SRU.

Le projet de loi ouvre la possibilité d'un rattrapage différencié pour chaque commune déficitaire en logements sociaux au travers d'un contrat de mixité sociale (CMS) signé avec le préfet et l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre auquel appartient la commune. Pourrait-on aller plus loin dans la différenciation et la déconcentration en donnant plus de marge de manoeuvre aux acteurs locaux, notamment sur le rythme de rattrapage et ses conséquences ? Pour être simple, peut-on muscler le contrat de mixité sociale pour faire du couple maire-préfet l'élément central de l'application de la loi SRU ?

Le 29 janvier dernier à Grigny, le Premier ministre a déclaré qu'il était très favorable à une vision intercommunale de l'application de la loi SRU. Comment la réflexion du Gouvernement a-t-elle évolué sur ce sujet ? Pourra-t-on mettre en place une expérimentation en la matière ?

Dans ce même discours de Grigny, le Premier ministre s'est également prononcé en faveur d'une limitation des logements très sociaux dans les communes comptant déjà plus de 40 % de logements sociaux, pour garantir la mixité sociale. Seriez-vous favorable à l'inscription dans la loi de ce principe d'une « loi SRU à l'envers » ou cela doit-il rester du niveau de simples consignes aux préfets ?

Debut de section - Permalien
Jacqueline Gourault, ministre

M. Darnaud a parlé de déconcentration : nous sommes d'accord pour renforcer le rôle des préfets de département, ce qui ne veut pas dire que nous allons pour autant supprimer les préfets de région...

Debut de section - Permalien
Jacqueline Gourault, ministre

Pourtant, certains le souhaitent ! J'avais déjà obtenu, non sans difficulté, que le préfet de département devienne le délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Ce texte prévoit que le préfet de région sera le délégué territorial de l'Ademe. C'est une avancée, même si je connais votre attachement au renforcement du rôle au préfet de département. Le préfet de région pourra ainsi conclure des conventions avec les collectivités au nom de l'Ademe et participer à l'évaluation de cette politique, en lien avec les préfets de département. Vous réclamiez plus de « souffle » ; si je peux me permettre, je ne crois pas en avoir manqué pour obtenir de telles décisions !

Le texte confie aussi aux préfets coordonnateurs de bassin la présidence du conseil d'administration des agences de l'eau, et renforce leur rôle dans l'élaboration du programme pluriannuel d'intervention de chaque agence. Là encore, en renforçant les prérogatives du préfet de région, on renforce indirectement le rôle des préfets de département. Quant à l'OFB, il nous a semblé qu'il s'agissait d'un organisme de création trop récente pour être déjà modifié, mais sur le fond, je suis d'accord avec vous sur le nécessaire renforcement du rôle des préfets de département.

En ce qui concerne le transfert des routes, je suis ouverte à la discussion sur la durée de l'expérimentation. Nous avons retenu une durée de cinq ans, car c'est la durée habituelle pour des expérimentations, mais la discussion reste ouverte sur ce point.

Vous avez raison de souligner que le texte comporte de nombreuses mesures de simplification, de portée inégale. Mais le diable se cache souvent dans les détails, et de petites choses peuvent s'avérer très précieuses pour le fonctionnement des collectivités territoriales. Nous sommes évidemment ouverts à toutes vos propositions. Je suis persuadée que l'examen du texte dans le détail montrera que de nombreuses mesures sont intéressantes.

J'ai beaucoup travaillé, depuis que je suis ministre, sur la question de l'eau et de l'assainissement ; et j'avais déjà beaucoup travaillé sur ce sujet en tant que sénatrice...

Debut de section - Permalien
Jacqueline Gourault, ministre

Certes, mais il ne faut pas se tromper de débat ! La loi dite « Engagement et proximité » de décembre 2019 a déjà traité cette question. Vous avez raison, l'intercommunalité n'est pas toujours le meilleur niveau. Un syndicat est parfois plus adapté à la dimension d'un bassin versant. Nous avons déjà réduit de trois à deux le nombre d'intercommunalités nécessaires pour créer un syndicat. Mais si l'on rouvre le dossier de l'eau, certains voudront rétablir la compétence des communes. Or, ce n'est pas possible à mes yeux ! Même si j'ai conscience que la question de l'articulation entre bassins versants et intercommunalités peut se poser dans certains territoires.

Françoise Gatel a évoqué des articles « qui n'apportent rien ». L'article 1er me semble au contraire fort utile, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel est, s'agissant du principe de différenciation, méconnue. Il s'agit de permettre la reconnaissance, au sein des règles applicables aux collectivités territoriales et dans le respect du principe d'égalité - c'est important -, davantage de marges de manoeuvre pour exercer leurs compétences. La différenciation doit ainsi conduire à apporter des assouplissements à l'uniformité des règles d'attribution et d'exercice des compétences au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales.

En ce qui concerne le pouvoir réglementaire des élus locaux, l'article 2 est conçu comme une accroche législative, vouée à être enrichie, pour renforcer ce pouvoir dans les champs des compétences des collectivités territoriales. Le Sénat a fait des propositions que nous étudions. Nous avons aussi missionné l'inspection générale de l'administration sur cette question. Nous sommes prêts à travailler sur ce sujet pour élargir le pouvoir réglementaire des élus, dans le respect de leurs compétences.

Les CTAP, qui ont été créées par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), ne fonctionnent pas toujours très bien, sauf peut-être en Bretagne. C'est une grand-messe annuelle, quand elle se réunit... Il fallait donc opérer des changements. Mais il est important que les collectivités, de tous niveaux, puissent disposer d'un lieu où se réunir et discuter entre elles de l'articulation des politiques publiques, de manière horizontale. Je suis parfois surprise de constater que, dans certaines régions, le président du conseil régional ne parle pas avec les présidents des conseils départementaux... Le Gouvernement veut renforcer le rôle des CTAP, sans remettre en cause leurs équilibres, pour que les élus puissent mieux s'approprier cet outil et discuter de délégations de compétences centrées sur la réalisation de projets concrets, afin que les collectivités puissent s'entraider. C'est l'objet de l'article 3, mais nous pouvons sans doute travailler ensemble à clarifier sa rédaction.

Des mesures de souplesse dans les EPCI sont déjà possibles, mais cette faculté n'est ni bien connue ni utilisée. Le cadre actuel autorise ainsi déjà de nombreuses adaptations : un EPCI peut partager un service commun avec une ou plusieurs communes ; les EPCI peuvent réaliser des prestations de services pour les communes membres, et inversement ; le président d'un EPCI peut déléguer l'exercice de certaines de ses compétences à des conseillers communautaires, même de manière territorialisée. Rouvrir ce dossier pourrait nous entraîner loin. La loi « Engagement et proximité » a prévu une conférence des maires ; c'était déjà un premier pas important.

Nous travaillons avec la HATVP sur la question des conflits d'intérêts. Elle met en avant un problème de cohérence avec le code pénal. Nous partageons votre analyse sur le fond, mais il reste à déterminer le texte qui pourrait porter les dispositions que vous évoquez.

Le transfert de la médecine scolaire aux départements, déjà compétents pour la petite enfance, figurait dans le texte initial. Il y a eu beaucoup de réflexions. Seuls 18 % des élèves ont bénéficié de la visite médicale de rentrée en classe de sixième. Néanmoins, en raison de la crise sanitaire, il a été décidé que ce n'était pas le moment de changer l'organisation du système de santé...

J'en viens au logement. Les contrats de mixité sociale permettront un rattrapage différencié selon la situation locale. Le taux de rattrapage du déficit pourra être ramené de 33 % à 25 %...

Debut de section - Permalien
Jacqueline Gourault, ministre

Il est important de souligner que les CMS seront déconcentrés : ce sont les avis des préfets ainsi que d'autres avis locaux qui compteront, et non les décisions d'une commission nationale. L'article 18 évoque un examen conjoint des difficultés entre le maire et le préfet, cela donne beaucoup de marge de manoeuvre pour gérer ces contrats. Nous voulons faire de ce dispositif un levier de différenciation en matière de construction de logement social, afin de pouvoir régler localement ces questions ; c'est une grande avancée par rapport à loi SRU.

Les intercommunalités ont déjà des compétences en matière de logement. Il existera deux dispositifs pour mutualiser les rattrapages : les programmes locaux de l'habitat (PLH) et le dispositif qui avait été adopté à l'initiative de Marc-Philippe Daubresse. Nous sommes ouverts pour améliorer ces mécanismes, mais n'avons pas reçu de propositions de la part des associations d'élus. Beaucoup s'inquiètent du rôle que pourrait jouer l'intercommunalité. Certains voient dans ces mécanismes une modalité de souplesse, d'autres une forme de contrainte. Il ne faudrait pas toutefois faire une loi SRU « à l'envers » en faisant porter toutes les obligations sur les communes qui ont déjà beaucoup de logements sociaux. Une circulaire est parue, afin de ne plus délivrer d'agréments dans les communes qui comptent déjà 40 % de logements sociaux. Parfois, ces communes demandent à construire des logements sociaux intermédiaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

C'est une manière de favoriser la diversité sociale. Au lieu de construire des logements financés par le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) ou par le prêt locatif à usage social (PLUS), on peut en effet chercher à réaliser des logements financés par le prêt locatif social (PLS) ou par le prêt locatif intermédiaire (PLI).

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Si les élus locaux disent ne pas vouloir de nouvelle grande réforme, mais plutôt une « pause institutionnelle », il ne faut pas pour autant oublier de travailler au renforcement des libertés locales et à l'amélioration de la capacité des élus locaux à répondre aux besoins de leurs populations. Finalement, en cette fin de mandat, cette loi apparaît encore hésitante. J'ai eu beau relire les nombreux articles de ce texte, je cherche encore comment celui-ci pourrait constituer un « nouvel acte » de décentralisation, qui permettrait à nos concitoyennes et concitoyens de s'approprier la chose publique et aux élus de construire dans la proximité.

La déconcentration est évidemment le pendant nécessaire d'une véritable décentralisation, et elle ne peut se résumer au simple renforcement du pouvoir des préfets, fussent-ils départementaux. On observe aujourd'hui une désertification de l'État dans nos départements : les restructurations dans les directions départementales des finances publiques (DDFiP) fragilisent l'accompagnement dans la technique et l'ingénierie financière des élus ; la capacité de réponse des nouvelles directions départementales des territoires (DDT) est affaiblie ; et l'ANCT ne peut à elle seule répondre à ce recul de la présence de l'État. Il faut donc un État « fort » dans les départements, accompagnateur de l'exercice démocratique.

La simplification doit se réaliser dans le cadre de l'égalité. La première des simplifications serait de rétablir la clause de compétence générale pour le département et la région, dont on a vu au travers des crises successives qu'elle leur manquait cruellement. Il faut également simplifier en revenant sur ces mesures calendaires qui empêchent le bon déploiement du service public de l'eau.

Sur les CTAP, la meilleure simplification serait tout simplement de les supprimer : instaurées pour répondre aux besoins de ceux qui défendaient la métropolisation, elles visaient à rassurer ceux qui étaient inquiets de la disparition des autres territoires. Force est de constater que cela n'a pas marché. À la veille des élections départementales et régionales, pour lesquelles on attend un fort taux d'abstention, il nous appartient collectivement de tirer les conséquences des lois successives qui ont corseté les libertés locales.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

L'article 1er de ce projet de loi n'a pas de portée normative et ne va pas assez loin en matière de différenciation. Dans la mesure où le texte prévoit d'achever le transfert de certains blocs de compétences et de clarifier la répartition de ces dernières, pourquoi ne pas profiter de cet article pour compléter la différenciation de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) ? Par exemple, la CEA a des compétences sociales. Pourquoi ne pas lui avoir permis d'être compétente en matière d'économie et de commerce de proximité, pour en faire ainsi un bloc cohérent ?

Selon l'article 3, la CTAP a l'obligation, sous l'autorité du président de région, de « mettre au débat » le principe de délégation de compétence d'une collectivité territoriale à une autre. Une résolution peut ensuite être adoptée par la majorité, et le cas échéant, les collectivités intéressées peuvent procéder aux délégations de compétences concernées. Mais les collectivités territoriales n'étant pas liées par cette résolution, à quoi va servir cette procédure ? De plus, la loi prévoit déjà le principe et les procédures des délégations de compétences. Au fond, le problème ne réside pas tant dans la possibilité de mettre en oeuvre une délégation, mais dans la volonté de la collectivité délégante de le faire, ce qui n'est pas le cas de la région Grand Est.

Si l'article 2 prévoit certes une légère extension du pouvoir réglementaire en Alsace-Moselle, en revanche, le droit local n'évolue pas. N'y aurait-il pas lieu de le faire progresser, et ce de deux façons : en renforçant le rôle de la commission du droit local, et en transférant à la CEA et au département de la Moselle des compétences qui relèvent du pouvoir réglementaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je regrette que les lois en vigueur renforcent les possibilités de délégations de compétences entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions. Cela introduit une certaine confusion, d'autant que de plus en plus d'instances réclament de plus en plus de compétences. Pensez-vous que la confusion des pouvoirs est inéluctable, ou restez-vous attachée au postulat de départ de la décentralisation : que chaque niveau de collectivité soit responsable d'un niveau de compétences ? Cette question se pose aussi dans le cadre du rôle de l'État, dont il est précieux d'avoir une définition claire.

La démocratie est un sujet très présent. Certaines petites communes élisent leurs représentants au suffrage universel direct, alors que ce n'est pas le cas pour des collectivités comptant plus de 1 million d'habitants. Le système des communautés de communes me paraît bien fonctionner de cette façon, du fait de la proximité avec les communes. En revanche, ne serait-il pas pertinent d'instaurer un suffrage universel dans les métropoles, comme dans le cas lyonnais ? Concomitamment au suffrage universel direct, la métropole de Lyon s'est par ailleurs dotée des pouvoirs du département sur son territoire. Dès lors que la métropole endosse les prérogatives du département, elle devient une collectivité locale, d'où le vote au suffrage universel. Mais certains sont partisans de généraliser le système lyonnais aux métropoles. Je sais que ce sujet n'entre pas dans le cadre du projet de loi, toutefois il finira par apparaître dans les discussions. Quelle est votre philosophie sur ce point ?

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Le Rudulier

La métropole à statut particulier d'Aix-Marseille-Provence intègre dans son périmètre des compétences dites « de proximité », comme l'extension des cimetières communaux, les bornes incendie, ou encore les voies de défense des forêts contre l'incendie (DFCI). Or, dans les mois qui ont suivi la création de la métropole, nous nous sommes aperçus que ces compétences ne pouvaient pas être exercées à cette échelle, c'est pourquoi 208 conventions de gestion ont été conclues entre la métropole et les 92 communes qui la composent. Mais nous arrivons aujourd'hui à un point de blocage, puisque le préfet de région a, à juste titre, émis un recours gracieux sur ces conventions de gestion, dont il a apprécié avec justesse le caractère illégal. Or, la métropole n'est pas en mesure de reprendre ces compétences en gestion. C'est pourquoi il faut remettre sur la table ce débat sur les métropoles, entre les compétences stratégiques et les compétences dites « de proximité » qui ne fonctionnent pas sur ce périmètre. Derrière cette question, c'est l'organisation de la métropole qui est en jeu, y compris ses liens avec les services déconcentrés. Le périmètre de la métropole fait lui aussi l'objet de plusieurs interrogations, avec éventuellement une réflexion sur son élargissement à l'échelle du département.

Debut de section - Permalien
Jacqueline Gourault, ministre

La décentralisation est bien présente dans ce projet de loi, par exemple en matière de mobilités, ou encore dans le domaine de la transition écologique. Toutefois, j'assume entièrement le fait que ce texte ne soit pas une grande loi de décentralisation. Premièrement, celle-ci se heurte au « mur » des compétences régaliennes de l'État. Deuxièmement, il y a aujourd'hui deux grandes lois de décentralisation, et nous sommes déjà dans une République décentralisée, comme la Constitution le prévoit. Troisièmement, j'ai rencontré plus de 2 000 élus et je n'ai pas senti d'appétence particulière pour une décentralisation forte, sauf peut-être dans certains domaines, à l'image de la médecine scolaire. Cela nous amène donc à relativiser la demande des élus sur ce sujet. Quatrièmement, le grand marqueur de notre loi est la différenciation. Dans ce cadre, l'exemple des CMS permet de facto de mettre en oeuvre la décentralisation et la déconcentration par le transfert des décisions du niveau national au local. Nous avons donc réalisé un travail assez fin pour que ce texte soit un équilibre entre différenciation, décentralisation et déconcentration.

Je le dis haut et fort, je ne suis pas favorable au retour de la clause de compétence générale pour les régions et les départements. Il est apparu clairement dans les auditions que les élus et les associations d'élus ne souhaitaient pas revenir sur la clarification apportée par la loi NOTRe.

La CEA commence seulement à être mise en place, et le nouvel exécutif sera bientôt élu. Il faut laisser à cette nouvelle collectivité le temps de s'installer et de s'approprier ses compétences ainsi que sa gouvernance. Il serait inapproprié de revenir sur ce que l'on vient de mettre en place. Rappelons également que la CEA a été créée à cadre constitutionnel constant, appliquant les possibilités offertes par le principe de la différenciation. De plus, l'article 3 est inspiré de l'exemple alsacien, puisqu'il permet une délégation de compétence par projet, tout en respectant le principe de non-tutelle d'une collectivité sur l'autre, au sein d'une CTAP. Enfin, la CEA, comme toute autre collectivité, ne peut pas se voir transférer de compétences régaliennes comme législatives. Les élus locaux ne l'ont par ailleurs pas demandé !

L'élection au suffrage universel des métropoles, qui concerne aujourd'hui la métropole de Lyon, est un sujet qui fera partie du débat politique au cours des prochaines réformes institutionnelles. La question de la réforme des métropoles mérite également d'être posée pour Paris et Marseille. Mais si l'on ouvre ce débat, où s'arrêter ensuite ? Faut-il inclure les communautés urbaines, les communautés d'agglomération et les communautés de communes ? En tout état de cause, la présente loi ne me semble pas devoir traiter ce sujet.

Il est clair que le système de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ne fonctionne pas bien, c'est pourquoi l'article 56 de notre texte pose la question de la répartition des compétences entre la métropole et les conseils de territoire. Selon moi, les 208 délégations que vous évoquez démontrent un véritable dysfonctionnement. La métropole a du sens pour porter des projets structurants, et notre article ouvre la discussion pour trouver un équilibre entre la proximité à redonner aux communes et les sujets stratégiques. La situation exige la prévision d'un débat à mi-mandat, portant sur les délégations de compétence et sur le périmètre de la métropole. Les métropoles de Paris et de Marseille ont été sciemment exclues de ce texte, car ces deux réformes métropolitaines exigent un travail et des textes spécifiques.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous vous remercions de votre participation, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 05.