Intervention de Léo Moreau

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juin 2021 à 14h05
Audition des organisations professionnelles de policiers sur les conditions d'exercice de leurs missions

Léo Moreau, chargé de mission national, syndicat des cadres de la sécurité intérieure :

Je voudrais d'abord répondre à la remarque de monsieur Leroy à propos du rapport de 2018 sur l'état des forces de sécurité, qui a effectivement constitué un travail conséquent. Un problème réside aussi dans le fait que le ministère de l'Intérieur est le ministère de l'urgence. Je crois que monsieur Darmanin est le neuvième ministre de l'Intérieur en dix ans et le troisième du présent quinquennat. Lors de chaque changement de ministre, nous réexpliquons nos problématiques, qui ne sont pourtant pas nouvelles. Des constats ont été posés, notamment lors du Beauvau de la Sécurité, mais nous les mettons en exergue de longue date en tant que représentants du personnel. Chaque fois, pour les réformes d'ampleur, nous nous heurtons à un calendrier (politique, médiatique etc.) qui n'est pas toujours le même que celui des attentes des personnels.

S'agissant du code de procédure pénale, le secrétaire général de notre syndicat a souligné, lors du Beauvau de la Sécurité, qu'il s'agissait « d'un montre devenu inintelligible, même pour les professionnels ». Il est vrai que l'actuel code de procédure pénale a des airs de Frankenstein, pour avoir été modifié à l'occasion de chaque loi de procédure pénale - et elles sont assez fréquentes. Au-delà des critiques de fond, on pourrait donc souligner son manque de stabilité. Les enquêteurs et magistrats consacrent une partie de leur temps à la compréhension, dans chaque nouveau texte, de ce qui va changer pour eux au quotidien. Nous pouvons signaler des dysfonctionnements de façon extrêmement précise mais il faudrait tout simplement envisager de le réécrire. Un tel chantier ne peut évidemment se conduire en quinze jours et doit - sans préjuger du rôle du Parlement à l'issue du processus - associer les enquêteurs (policiers et gendarmes), les magistrats, les avocats, etc. Notre procédure pénale est aujourd'hui au milieu du gué. On n'a pas choisi entre l'inquisitoire et l'accusatoire. Les enquêteurs de terrain nous disent que l'on cumule ainsi les difficultés des deux modèles. Il va donc falloir choisir et réécrire ce code, en remettant à plat l'ensemble de ses dispositions avec le concours des professionnels. Nous avons conscience que ce chantier ne pourra, du fait du calendrier, être lancé dans l'immédiat.

Je pense que ce sera aussi l'un des enjeux des États généraux de la Justice. Nous attendons de savoir de quelle manière nous serons, en tant qu'organisations représentatives des fonctionnaires de police, associés à cette démarche. Il est toujours positif que l'on débatte mais nous n'allons pas découvrir les difficultés de la justice à l'occasion des États généraux de la Justice, en particulier les problèmes de moyens, qui sont exprimés par les représentants des magistrats, des agents d'insertion et de probation, etc. Nous allons une nouvelle fois nous réunir et débattre. Il ne faudrait pas que nos collègues constatent que, concrètement, une fois de plus, la procédure pénale s'alourdit pendant que nous en débattons.

Quant aux services choisis ensuite par les agents, un mouvement inverse à celui qu'on connaissait il y a un certain nombre d'années peut aujourd'hui être observé. Il était logique de commencer par la voie publique, avant de rejoindre un service d'investigation dans un commissariat, puis peut-être un service spécialisé. Aujourd'hui, il existe une diversité d'aspirations de nos collègues, sur le plan géographique et en termes de spécialisations. Mais nombre de nos collègues, fatigués de l'investigation, des risques d'erreur induits par la procédure et de cette tension quotidienne, vont se diriger vers des services de voie publique ou des services de renseignement préservant un aspect d'investigation, sans être soumis au même formalisme procédural.

Dans un commissariat de Seine-Saint-Denis, aujourd'hui, vous avez toutes les chances de retrouver, au sein du service d'accueil et d'investigation de proximité, des gardiens de la paix sortis d'école, qui seront encadrés par un lieutenant sorti d'école, lui-même peut-être placé sous la responsabilité d'un commissaire sorti d'école, car il existe des territoires et des fonctions qui sont devenus très peu attractifs. Si les mesures indemnitaires ont tout leur sens pour reconnaître le travail des officiers de police judiciaire et le travail judiciaire qui est effectué, il faut avant tout redonner du sens au travail de nos collègues afin de les attirer de nouveau vers l'investigation, au-delà du seul respect des obligations procédurales dont ils comprennent de moins en moins le sens.

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