Intervention de Marc-Philippe Daubresse

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 juin 2021 à 9h00
Projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marc-Philippe DaubresseMarc-Philippe Daubresse, rapporteur :

Faute d'intervention du législateur, plusieurs dispositions du code de sécurité intérieure arriveront à échéance en 2021, après avoir été prorogées par la loi du 24 décembre 2020. Sont concernées, d'une part, les dispositions introduites par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), pour prendre le relais du régime de l'état d'urgence et, d'autre part, une disposition créée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement qui porte sur la technique dite de l'algorithme.

Le texte vise donc en premier lieu à pérenniser tout en les adaptant les mesures de police administrative permettant de lutter contre les actes de terrorisme issues de la loi SILT : les articles 1er à 4 de cette loi avaient instauré des mesures de police administrative inspirées de l'état d'urgence, à savoir les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), et les visites domiciliaires et saisies. S'agissant de mesures fortement attentatoires aux libertés, le législateur a prévu un contrôle parlementaire renforcé, ainsi qu'une caducité de ces dispositions, initialement fixée au 31 décembre 2020, avant d'être reportée au 31 juillet 2021. C'est la raison pour laquelle il y a urgence à légiférer.

Le projet de loi que nous examinons ce matin prévoit donc de pérenniser ces dispositifs, en leur apportant quelques ajustements, visant, par exemple, à limiter la durée de mise en place des périmètres de protection - article 1er bis - ; à élargir la mesure de fermeture administrative des lieux de culte en permettant la fermeture des locaux annexes afin de faire face aux stratégies de contournement parfois observées - article 2 - ou à permettre la saisie des supports informatiques à l'occasion d'une visite domiciliaire lorsque la personne fait obstacle à l'accès aux données informatiques concernées ou à leur copie - article 4.

En ce qui concerne les MICAS, le projet de loi instituerait notamment la possibilité, pour le ministre de l'intérieur, d'exiger un justificatif de domicile ou de prononcer une interdiction de paraître à l'encontre des personnes faisant par ailleurs l'objet d'une assignation à résidence, afin de faire face à l'organisation de certains grands événements, comme les Jeux Olympiques, par exemple.

Nous avions déjà proposé de pérenniser ces dispositions lors du dernier examen en séance, plutôt que de les proroger. Le Gouvernement nous avait répondu, en ligne avec nos collègues députés, que ce n'était pas possible à cause de la pandémie. Nous avons donc perdu huit mois sur ce sujet... Le Sénat avait adopté à cette occasion plusieurs ajustements, qui reprenaient des recommandations formulées par notre commission. Je ne peux que souscrire à la pérennisation de ces dispositions proposée par le projet de loi, que nous demandions, au regard du bilan positif de leur application, et aux ajustements proposés, qui reprennent les amendements que nous avions adoptés à l'époque.

Le projet de loi vise en second lieu à permettre un suivi effectif des personnes condamnées pour des actes de terrorisme sortant de détention. Ceux-ci, comme l'avait expliqué Muriel Jourda devant notre commission il y a quelques semaines, ne bénéficieront pas de mesures d'accompagnement à leur élargissement. La loi instaurant des mesures de sûreté, adoptée par le Parlement le 27 juillet 2020, a en effet été censurée par le Conseil constitutionnel.

Le Gouvernement propose donc une autre voie permettant de renforcer le suivi des personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention. Le dispositif est double. D'une part, le texte instaure une mesure de sûreté à destination de ce public, dénommée « mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion », qui permettrait de soumettre les personnes condamnées pour terrorisme d'une particulière dangerosité à des obligations visant à favoriser leur réinsertion à l'issue de leur peine. C'est l'objet de l'article 5. D'autre part, l'article 3 porte la durée des MICAS à deux ans pour les personnes condamnées pour des actes de terrorisme et sortant de détention, afin d'assurer leur surveillance effective.

Comme nous l'avons rappelé lors de l'audition de Marlène Schiappa la semaine dernière, nous estimons que pèse un risque constitutionnel sur l'allongement de la durée des MICAS, qui sont des mesures administratives. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré, dans sa décision du 29 mars 2018, que les MICAS, compte tenu de leur rigueur, ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois. Il a ajouté, dans le commentaire de cette même décision, que, quelle que soit la gravité de la menace qui la justifie, une telle mesure de police administrative ne peut pas être prolongée aussi longtemps que dure cette menace, alors que le Gouvernement propose de les étendre d'un à deux ans, précisément en raison de cette particulière gravité.

Le renforcement des dispositifs de suivi judiciaire nous apparaît comme la voie juridiquement la plus adaptée pour répondre à l'enjeu que représente, en termes de sécurité publique, l'élargissement des condamnés terroristes dans les prochaines années, et ce d'autant que les mesures judiciaires offrent une garantie plus importante en termes de respect des droits et des libertés des personnes.

C'est pourquoi, dans la suite logique de l'adoption par le Sénat, il y a quelques semaines, de la proposition de loi du président de la commission des lois François-Noël Buffet sur ce sujet, nous vous proposons de préférer au dispositif proposé par le projet de loi une mesure judiciaire à visée non seulement de réadaptation sociale, mais également de surveillance de l'individu, tout en supprimant l'allongement de la durée des MICAS à deux ans. Il s'agit donc de la reprise du dispositif adopté par le Sénat le 25 mai 2021, qui répond à une démarche d'ensemblier, et adapte le dispositif adopté par le Parlement en juillet 2020 pour répondre aux objections soulevées par le Conseil constitutionnel.

Les principales différences entre la mesure proposée par le Gouvernement dans son article 5 et la mesure que nous vous proposons d'adopter tiennent aux obligations susceptibles d'être prononcées et à l'autorité prononçant la mesure, le Gouvernement préférant le juge de l'application des peines, et nous, la juridiction régionale de la rétention de sûreté, pour des questions de cohérence.

En troisième lieu, en ce qui concerne la prévention du terrorisme, le texte adapte dans son article 6 la communication des informations relatives à l'admission d'une personne en soins psychiatriques. Cet article prévoit en effet d'étendre, avec une portée assez large, la possibilité de communication des informations relatives à l'admission d'une personne en soins psychiatriques aux représentants de l'État chargés du suivi de cette personne, mais aussi à plusieurs services de renseignement. Je vous propose de considérer que la possibilité, pour les services de l'État, d'accéder aux données relatives aux hospitalisations doit être strictement encadrée, et donc de restreindre la portée de cet article aux seuls préfets et aux personnes et agents placés sous l'autorité spécialement désignée à cette fin.

Certains collègues ont exprimé le souhait de refuser plusieurs mesures de ce texte, qu'ils considèrent comme attentatoires aux libertés. D'autres veulent aller plus loin et durcir les critères. Nous sommes sur une ligne de crête. Notre commission a toujours su trouver un bon équilibre entre sécurité et liberté, que nous avons essayé de conserver. Certains amendements, qui concernent notamment les populations étrangères, tomberont sous le coup de l'article 45 de la Constitution.

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