Nos collègues ont tous soulevé des points très sensibles.
Madame Goulet, l'article 15 est perfectible et nous contraint, comme l'a dit Alain Richard. Nous sommes confrontés à des enjeux importants en matière d'enquête préalable, qui pèsent fortement sur l'institution judiciaire, en particulier les procureurs. Si ce point n'a pas été soulevé à l'Assemblée nationale, c'est sans doute parce que les procureurs n'y ont pas été auditionnés. Cet article limite la conservation générale et individualisée des données aux actes de criminalité grave, et les enquêteurs n'auront plus les moyens de remplir leurs missions dans les autres cas. L'utilisation des SMS restera possible, mais les techniques habituelles utilisées, telles que les « fadettes » ou la géolocalisation, ne seront pas applicables pour les infractions pénales ordinaires. Les contraintes proviennent aussi de la jurisprudence de l'Union européenne. Et même si le Conseil d'État a laissé une petite ouverture, une intervention plus forte au niveau européen est la seule voie possible. On ne peut pas supprimer l'article 15, qui est essentiel, au risque d'empêcher toute conservation des données et de mettre à bas tout l'édifice du renseignement.
S'agissant de l'article 7 relatif à l'échange des données entre services ou à la transmission de renseignements aux services, la CNCTR contrôle les techniques de renseignement, quels qu'en soient leurs auteurs. L'article 16 institue un véritable avis conforme de la CNCTR liant le pouvoir exécutif, conformément à la jurisprudence qui impose l'intervention d'une autorité judiciaire ou une autorité administrative indépendante ayant un pouvoir contraignant. Ce dernier peut toutefois saisir le Conseil d'État qui statue dans les vingt-quatre heures. Il peut passer outre en cas d'urgence dûment justifiée. Cette transposition d'un dispositif qui existait déjà pour les interceptions de sécurité dans les lieux privés me paraît bienvenue.
L'article 19 ayant trait aux archives est l'autre point clef du texte. Nous sommes évidemment attachés à la loi de 2008 et à la nécessité de trouver le juste équilibre entre l'accès aux archives et à la connaissance pour les historiens, les plus directement concernés, mais aussi à toute personne qui en formule la demande. Les historiens réclament des délais clairs afin de savoir à quelle date ils pourront avoir accès à certaines pièces, d'où les 75 ans et les tranches de 10 ans renouvelables proposés par Pierre Ouzoulias. Ces mesures me cependant semblent moins protectrices que celles de l'article 19, qui est plus souple en prévoyant une communicabilité des documents au bout de 50 ans, sauf s'ils appartiennent à l'une des quatre catégories, auquel cas la déclassification dépendra de l'évolution des conditions, notamment de la valeur opérationnelle, et interviendra au cas par cas. Reste la question de savoir à quel moment il sera possible d'imposer l'inventaire aux services en vue de déclassifier certains documents, ce qui supposera un travail colossal.
Le renversement de la charge de la preuve, tel que le propose la commission de la culture, me semble dangereuse eu égard aux enjeux opérationnels. C'est pourquoi, même si le texte est perfectible, il prévoit un juste équilibre, et nous y travaillerons jusqu'à la séance publique. De surcroît, tous les amendements qui donnent des dates fixes sont risqués - pourquoi 100 ans par exemple ?
Éliane Assassi m'a interrogé sur les mécanismes de contrôles. Ils ont été renforcés depuis 2015, y compris dans le présent texte, qui apporte de grandes précisions à ce propos, qu'il s'agisse de l'organisation des services, de la traçabilité, des contrôles a priori ou a posteriori, de l'extension des pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement, de la destruction ou de la conservation, etc.
Comme l'a dit notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous allons encore travailler sur tous ces points délicats, notamment sur les délais de communicabilité. Nous présenterons un amendement pour restreindre la protection prévue par l'article 19 aux documents qui révèlent de nouvelles informations. En effet, toutes les techniques mises à jour dans le Bureau des légendes n'ont plus à être couvertes par le secret de la défense nationale.