Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 juin 2021 à 9h35
Audition du professeur didier pittet président de la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, présidente :

Je vais vous poser les questions que souhaitait vous poser Bernard Jomier, qui préside la mission de suivi. Vous pourrez répondre ensuite à René-Paul Savary, à Bernard Jomier, qui n'est pas présent, et aux autres collègues sénateurs.

Je lis les questions de Bernard Jomier :

« Vous appelez à confier la constitution et la gestion des stocks stratégiques à un unique opérateur placé sous la responsabilité du SGDSN. Pensez-vous qu'il faille revenir à un opérateur dédié à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires comme l'EPRUS ou peut-on maintenir Santé Publique France dans cette mission ? Votre proposition de confier au seul SGDSN la responsabilité de l'opérateur chargé de la gestion des stocks stratégiques est-elle justifiée par son positionnement interministériel ou s'explique-t-elle aussi, au moins en partie, par le fait que le ministère de la Santé et la DGS n'ont pas été en capacité d'assurer une tutelle stratégique efficace de Santé Publique France dans ses missions de sécurité sanitaire ?

Quel bilan faites-vous des comités d'expertise scientifique qui se sont multipliés pendant la crise ? Quelles ont été selon vous les conséquences de la multiplication de ces comités sur la lisibilité et la crédibilité de la parole scientifique ? Pouvez-vous revenir sur les raisons qui vous conduisent à recommander le rattachement du Haut Conseil de la santé publique à la Haute Autorité de Santé ? Souhaitez-vous faire du HCSP l'organe de coordination de l'expertise scientifique en cas de crise sanitaire ? Dans quelle mesure faut-il revoir son organisation et ses missions pour s'assurer qu'il s'appuie sur l'expertise scientifique existant au sein d'agences comme Santé Publique France ou l'ANSM ?

Pr Didier Pittet. - Sur la gestion des stocks stratégiques et la nomination d'un délégué à la prévention des risques infectieux, il est fait référence à d'autres modes d'organisation qui ont été vus dans le passé, à l'époque où Didier Houssin, que je connais bien, était DGS.

Il manque un délégué à la prévention du risque infectieux auprès de la DGS. Vous avez aujourd'hui un délégué à l'antibiorésistance, ce qui est très bien, mais ça n'est qu'une partie de la prévention du risque infectieux. Il conviendrait donc d'étoffer l'expertise au niveau de la DGS par quelqu'un qui supervise la prévention des risques infectieux, incluant l'antibiorésistance.

La gestion des stocks stratégiques a été déficiente, mais elle l'était déjà en 2011, à l'époque de l'EPRUS, puisque quand le RETEX a été fait en 2013 suite à la crise du H1N1 de 2011, on a déjà vu que l'EPRUS avait des difficultés à mobiliser des stocks. Or, cette difficulté n'a pu que s'accroître, puisque l'EPRUS a progressivement fondu et, finalement, ça n'est pas l'expertise de Santé Publique France que de gérer des stocks. Santé Publique France, c'est d'abord la santé publique, la veille sanitaire, la capacité à faire des campagnes de prévention, de la médecine et de la prévention au sens large. Une entité dont l'expertise est de dire : « Faut-il des masques ? Combien en faut-il par personne et par jour et pour combien de temps ? » suffit. Ensuite, préparer les stocks et acheter les masques, c'est de la logistique. Or, la logistique est un autre métier et il nous semblait que le SGDSN en interministériel était vraiment le lieu où l'on peut faire de la gestion des stocks stratégiques dans le domaine de la santé, dans celui de la sécurité ou dans d'autres domaines. Il s'agirait d'un véritable opérateur. Il faudrait également développer la culture de crise, qui manque dans beaucoup de pays du monde. Développer cette gestion de crise en interministériel bénéficierait à l'ensemble des ministères et répondrait à une double mission, d'une part, en temps de calme, de vérifier la gestion des stocks et d' entraîner dans chaque ministère des gens qui seraient habilités à réagir à la crise et, d'autre part, en temps de crise, d'activer tout cela. Notre vision tendait à généraliser l'aspect gestion de crise. Celle-ci est un métier. Vous avez vu qu'au cours de cette crise des tas d'épidémiologistes sont nés un peu partout (un politicien en Suisse a dit que c'était une épidémie d'épidémiologistes), mais il y a l'épidémiologie de terrain et l'épidémiologie d'intervention et ce sont ces gens-là, et pas tous les épidémiologistes, qui sont spécialisés dans la réaction à la crise. Comme la culture d'entreprise, qui consiste à ce que tout le monde respecte les consignes ou fasse les exercices du feu, il faut avoir une culture de la gestion de crise. Cela aurait un sens de la développer au plan interministériel de manière à ce qu'elle puisse être utile à tous les ministères. Dans cette culture de gestion de crise, il y a la gestion des stocks, qui n'est pas simple : il y a des renouvellements de stocks, les stocks tournants ou des décisions à prendre par rapport aux lieux où se font ces stocks. C'est un métier en soi et il est quelque peu injuste de le confier à Santé Publique France.

Merci beaucoup, c'est très clair. Cela correspond au constat que l'on avait fait dans le cadre de la commission d'enquête. Il y avait également les questions sur le HCSP et les questions de René-Paul Savary sur les données de santé. Je vous laisse continuer.

Pr Didier Pittet. - Il a beaucoup été discuté en France de la nomination d'un conseil scientifique, mais il faut savoir, quand on a une vision panoramique, à l'échelle mondiale, que cela a été partout pareil sous des formes différentes. En Suisse, le conseil scientifique s'est appelé « task force » et était composé de plus de 80 personnes, avec des sous-groupes. En France, on a confié à Jean-François Delfraissy la mission de monter un conseil scientifique. En Italie, ils ont un Institut de santé publique, qui s'est constitué en conseil scientifique et est allé chercher des expertises scientifiques.

Aucune crise ne se ressemble. Il faut donc toujours une expertise scientifique différente. Là, il s'agissait d'une pandémie liée à un virus et il fallait des virologues et des épidémiologistes de terrain. Vous avez vu que même parmi les spécialistes virologues, vous aviez par endroit des spécialistes du coronavirus. Ce professeur Christian Drosten dont vous avez entendu parler est non seulement un virologue, mais aussi un coronavirologue qui a passé sa vie dans le coronavirus. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit à l'origine du premier test développé : une semaine après, Pasteur l'avait développé car tout le monde se parle. Vous avez toujours besoin d'experts scientifiques et vous devez aller chercher les meilleurs. Dans chaque pays, la réflexion consistait à savoir quels sont les experts dont on pourrait avoir besoin et quels secteurs seront touchés. Certains pays ont créé de grandes commissions avec beaucoup de sous-groupes, d'autres ont mis en place une commission sanitaire et une commission économique. Petit à petit, on s'est rendu compte qu'il fallait des économistes, des sociologues, etc, mais au départ la crise était essentiellement sanitaire.

On continue donc à dire qu'il faudrait un conseil ad hoc, pas forcément scientifique, mais dans lequel il devrait y avoir des scientifiques, des membres de la société civile, des représentants des agences et des sociétés savantes, de manière à pouvoir formuler des recommandations pour que les politiques publiques puissent être appliquées au mieux et que les politiques puissent prendre leurs décisions en toute connaissance de cause.

En France, vous avez plusieurs agences qui ont été créées il y a de nombreuses années, aux dépens du ministère de la Santé, dont on a diminué les moyens pour les conférer aux agences. Les agences deviennent souvent indépendantes et il devient ensuite difficile de les faire travailler ensemble. L'objectif est d'être sûr que vous pouvez aller chercher l'expertise dont vous avez besoin. C'est dans ce sens que vont nos recommandations. L'expertise doit d'abord avoir des moyens : il faut que les gens soient intelligents, qu'ils puissent travailler, qu'ils aient des ordinateurs assez puissants si ce sont des analystes et qu'ils soient indépendants. C'est pourquoi nous avons pensé à cette capacité d'indépendance potentielle que vous avez au niveau de la HAS. Vous avez un HCSP qui a fait un travail magnifique, un travail de milice en quelque sorte : ces gens-là sont habitués à vous rendre 6 ou 8 rapports chaque année et, cette année, ils en ont rendu à la pelle alors qu'il s'agit d'un petit groupe. Préserver cette indépendance au sein de la HAS avec des structures qui travaillent ensemble, mais peuvent conserver ce degré d'indépendance, nous paraît très important.

C'est tout une réflexion qu'il faut avoir. En dépit d'agences très compétentes, la difficulté qu'éprouvent les experts à travailler ensemble provient principalement de raisons administratives c'est-à-dire d'un excès d'administration.

S'agissant du numérique, c'est évident qu'il s'agit d'un outil clef. En France, il y a eu des manques en matière de réactivité du numérique qui ont été corrigés par la suite.

Concernant l'accès aux donnés, j'ai discuté avec le professeur Arnaud Fontanet qui a pu travailler, mais avec beaucoup de retard, sur des données pour analyser les facteurs de risques. Le vrai problème est que les données existent sans que les chercheurs y aient accès. Pour les questions de santé chroniques, l'accès aux données à intervalles très espacés suffit mais pas en période de crise. Il faut vraiment engager une réflexion sur ce sujet. Il faudrait que vous trouviez les moyens législatifs pour qu'en situation de crise l'accès aux données soit ouvert. Lorsque l'on conduit des investigations épidémiologiques de terrain, pour des petits clusters dans les hôpitaux - c'est mon métier -, il faut faire des enquêtes de terrain avec des définitions de cas qui changent au jour le jour. Il faut mener des entretiens individuels avec les soignants et parfois même aller au domicile de l'infirmière, par exemple, pour remonter à la source du cluster. Pour vous donner des comparaisons, à Bâle, la santé publique a engagé la police judiciaire pour obtenir les informations nécessaires aux enquêtes pour la covid. L'épidémiologie de terrain est en effet très difficile. Si de surcroît des quantités de données ne sont pas accessibles alors c'est dramatique ! Par exemple, il est impossible de répondre à la question de la dangerosité des transports publics sans accès aux données épidémiologiques. Les bases de données sont généralement remarquables mais les épidémiologistes font face parfois à une incapacité de les croiser et de les exploiter. C'est vraiment dommage de savoir que les données sont là sans pouvoir s'en servir. La France est tout de même loin d'être le seul pays dans ce cas.

Je partage à titre personnel votre avis sur cette question des données. En étant trop frileux, on perd une manne de renseignements, ce qui peut se répercuter par une mauvaise gestion de la santé publique. Sur ce sujet, il y a eu le rapport de la délégation à la prospective évoqué par René-Paul Savary. Nous allons lancer au sein de la commission des affaires sociales une mission spécifique sur les données.

Pr Didier Pittet. - Il vaut mieux le faire en période de calme pour qu'en période de crise on puisse y avoir accès sans débat.

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