Intervention de Laurent Burgoa

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 juin 2021 à 9h35
Audition du professeur didier pittet président de la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques

Photo de Laurent BurgoaLaurent Burgoa :

Monsieur le professeur, j'aimerais connaître votre avis sur le fait de savoir s'il n'aurait pas fallu renforcer les pouvoirs de nos préfets de départements, qui connaissent bien les élus locaux. Nous, sénateurs, représentons les élus locaux et sommes attentifs à ce qu'ils soient associés à toutes les décisions. Personnellement, je regrette que les préfets de départements n'aient été que des courroies de transmission, n'aient eu aucune prérogative, n'aient pas su s'adapter aux réalités de terrain alors qu'on leur en avait donné la possibilité et les moyens. Dans la partie cévenole du Gard, c'est une aberration d'avoir imposé le port du masque alors qu'il n'y a qu'un habitant tous les dix kilomètres carrés, mais c'était la règle. Si l'on avait donné plus de prérogatives à nos préfets de départements, associés à nos élus locaux, je pense que la gestion de la crise aurait été mieux appréciée par nos concitoyens. Je voudrais donc connaître votre avis à ce sujet.

Pr Didier Pittet. - C'est une très bonne remarque. Un des grands apports de ce rapport réside dans les comparaisons internationales. En France, vous avez un système centralisé et il faut territorialiser. La clé du succès est d'arriver, avec un système centralisé, à mettre en oeuvre sur le terrain la plus juste façon de faire, ce qui est quelque peu contre nature car vous avez toujours fonctionné comme un pays centralisé. Laissez-moi vous rassurer : nous avons comparé les pays centralisés aux pays purement décentralisés, comme l'Allemagne et la Suisse. En Suisse, les cantons sont gérés par ce que vous appelleriez des préfets et chacun avait sa liberté de fonctionnement, sauf au tout début de la crise, où la confédération a pris en central toutes les décisions comme en France, en Allemagne et ailleurs. Il a fallu ensuite appliquer. On disait à chaque responsable de canton : « Allez-y, faites votre boulot ». Cela a marché tant que les choses étaient simples, mais la Suisse et l'Allemagne ont très mal géré la deuxième vague. Proportionnellement, vous avez moins de dégâts en France par habitant qu'en Suisse et en Allemagne, alors que ces pays avaient été relativement protégés de la première vague et que la France, l'Italie et l'Espagne ont été d'abord heurtés par la première vague. Cette capacité à faire travailler en région est une des clés du succès.

A contrario, en Suisse et en Allemagne, les « préfets » avaient la liberté de décider. Pendant la deuxième vague, tous les magasins étaient fermés dans le canton de Genève, alors qu'ils étaient ouverts dans le canton de Vaud, à soixante kilomètres de distance, et tous les Genevois sont allés faire leurs courses dans le canton de Vaud. C'était complètement chaotique. Alors, quelle est la bonne formule ? Je ne le sais pas. Je pense que la France a réussi à territorialiser. Cela a étonné beaucoup de monde au début. Je me souviens que les journalistes me disaient : « Est-ce que vous trouvez normal qu'il y ait des jauges vertes, oranges et rouges ? » Rappelez-vous, au début, les gens ne supportaient pas ça et ils le réclament aujourd'hui. Il faut donc que l'on soit tous extrêmement humbles. Personne n'avait jamais vécu un phénomène tel que celui-là et nous devons apprendre à fonctionner avec lui.

J'ai discuté, après avoir rendu le rapport au Premier ministre, avec son secrétaire général, qui me racontait qu'ils sont pratiquement tous les jours en contact avec chaque région par visioconférence pour mettre en place ce que l'on appelle en épidémiologie l'implémentation, c'est-à-dire la traduction sur le terrain des consignes données au niveau central. L'exemple que vous donnez est logique : aujourd'hui, s'il fallait prendre des décisions pour le Gard, on ne rendrait probablement obligatoire le masque que dans certaines situations. Mais effectivement, au début, on avait tendance à donner des directives. En Suisse, les « préfets », au mois de novembre, allaient vers le ministre de la Santé en lui demandant de reprendre le contrôle en central car la situation était devenue ingérable. Il n'y a donc pas de système idéal, mais il faut être capable de s'adapter. Après, il ne faut pas que les lois vous en empêchent. Comment les adapter dans ce sens ? Je ne peux pas vous le dire car je ne suis pas un expert. Vous avez raison, il faut s'adapter au mieux sur le terrain tout en gardant une cohérence au niveau national. Or, les États fédéraux ont eu beaucoup de peine à le faire. Je peux vous dire que c'est en débat chez nous maintenant.

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