Intervention de Corinne Imbert

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 juin 2021 à 9h35
Audition du professeur didier pittet président de la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Vous avez évoqué la création d'un conseil ad hoc associant scientifiques et société civile, ce qui est très large. Comment voyez-vous la prise en compte de la démocratie sanitaire dans la gestion d'une crise et pensez-vous qu'associer la société civile aurait permis de mieux garantir en amont la confiance de la population et de mieux prévenir ses hésitations vis-à-vis de la vaccination ?

D'autre part, la mission appelle à la réalisation d'un état des lieux, aux plans national et régional, des capacités de soins critiques, en opposition aux capacités de soins en temps normal. Pensez-vous que les moyens, les équipements et les personnels formés en soins critiques avaient été sous-dimensionnés au départ, sachant que vous rappelez dans votre rapport que la gravité de l'épidémie a été sous-estimée de janvier à février 2020 ? Quel regard portez-vous sur la coopération entre acteurs publics et privés, et notamment sur le rôle des élus et des collectivités et leur mobilisation pour fournir des masques et des solutions hydro-alcooliques au début de la crise et pour mettre en place des centres de vaccination ?

Pr Didier Pittet. - En ce qui concerne les gestes barrières, les deux principaux sont l'hygiène des mains et la distance sociale. Cette dernière peut parfaitement remplacer le masque qui reste néanmoins utile en intérieur lorsque les gens sont proches. Tout dépend aussi si les personnes auxquelles nous sommes confrontées sont vulnérables ou non vaccinées. Pour un temps, si ce n'est pour toujours, il faudra a minima conserver l'hygiène des mains.

Sur la question de savoir si la troisième vague a été mieux gérée que les précédentes. Oui, elle a été très bien gérée. En France, c'est très clair que la gestion s'est améliorée avec le temps. Ce n'est pas le cas pour tous les pays.

S'agissant de la question d'une éventuelle quatrième vague, il y aura nécessairement des clusters d'infection. Dans l'idéal, il faudra tous les comprendre et tous les interrompre. Le risque de quatrième vague existe mais la progression de la vaccination le réduit. Le vaccin permet d'éviter la transmission du virus d'une personne à une autre. Pour autant, la vaccination n'est pas en elle-même suffisante ; il y aura toujours des personnes non vaccinées et les vaccins ne sont pas efficaces à cent pour cent. L'efficacité des vaccins utilisés en Europe comme Pfizer ou Moderna s'établit autour de 90 ou 95 % - ce qui reste excellent. De plus, l'immunité des personnes vaccinées très âgées n'est plus aussi performante. Pour résumer, plus le nombre de personnes vaccinées augmente, moins il y a de risque de voir apparaître des clusters importants et plus notre système de santé sera protégé permettant ainsi d'assurer les autres soins. Dans tous les pays du monde, un retard, qu'il nous faut rattraper, a été pris dans les soins ne concernant pas la covid.

J'en viens à un autre sujet. Oui, le virus va circuler parmi les enfants et c'est tant mieux ! L'immunité de la population doit augmenter pour atteindre à terme les cent pour cent. En guise de comparaison, l'immunité collective pour la rougeole n'est assurée qu'à partir de 98 %. Lorsque ce seuil n'est pas atteint alors les petits clusters qui se forment peuvent avoir des conséquences très graves pour les jeunes adultes. Les foyers épidémiques de covid qui émergeront dans les écoles ne seront pas graves en soi tant qu'ils restent sous contrôle. Il faut être cohérent avec les gestes barrières sans excès pour qu'ils restent socialement acceptables. Il faudra promouvoir le test. Avoir une faible proportion de tests positifs reste la clef du succès. Cela vaut la peine de lutter autant contre la covid car je ne souhaite cette maladie à personne. Outre les dégâts en termes de mortalité qu'elle cause chez les personnes âgées, elle provoque des longs covid chez une part des personnes jeunes infectées, sur lesquels on ignore encore beaucoup de choses. Pour éviter la quatrième vague, il faudra continuer à aller se faire tester, à s'isoler le cas échéant et à utiliser les passeports sanitaires. En outre, l'automne ne sera pas simple car la grippe sera bien présente. Étant donné qu'elle n'a que très peu circulé l'année dernière, l'immunité de la population est très faible. Il faudra donc se faire vacciner contre la grippe pour éviter des surcharges hospitalières et des infections mixtes : covid et grippe. J'insiste sur un point ; la pédagogie et l'information sont très importantes pour que les gens comprennent pourquoi il faut se faire tester et appliquer les autres bons gestes.

Ensuite, vous posiez la question du numérique intensif. Il faut trouver un équilibre dans le travail que vous allez faire. En donnant accès à l'information, vous rendrez service aux Français et à la santé publique. Il est normal que le numérique prenne une place plus importante dans notre vie. Néanmoins, il ne faut pas que le numérique intensif heurte les opinions des populations et soulève des oppositions trop fortes. Il faut en faire comprendre l'importance.

Sur la question des stocks et du rôle des pompiers, je vois cela d'un oeil plutôt favorable. Il faut qu'un rôle de centralisation à l'échelle du pays soit jouer de manière à ce que les bonnes informations remontent en central et qu'en périphérie les acteurs concernés puissent avoir ce dont ils ont besoin aussi vite que possible.

Au sujet de l'infodémie, selon le terme créé par l'OMS pour désigner l'épidémie d'informations qui a sévit pendant la crise sanitaire, je tiens à dire que c'est un phénomène global ; la Suisse l'a expérimentée aussi bien que la France. En revanche, nous avons la chance en Suisse de ne pas avoir de chaines d'information en continu lesquelles ne font pas toujours appel aux meilleurs experts des sujets. C'est quelque chose qui peut avoir des répercussions importantes. En France, au mois de septembre 2020, ce phénomène a joué un sale tour, si je puis dire, aux décisionnaires. Il faut corriger ça ; on ne peut pas dire tout et n'importe quoi. Si on met le doute dans la population, on peut le payer très cher. L'OMS travaille sur ce sujet de l'infodémie. Nous, les épidémiologistes, connaissons très bien ce phénomène et nous nous efforçons à réagir très vite aux mésinformations.

Madame Meunier, vous parliez de la vulnérabilité des Ehpad. Notre mission a formulé toute une série de recommandations à leur destination. Les Ehpad en France, comme les établissements médico-sociaux (EMS) en Suisse, sont les parents pauvres de la prise en charge. Pourtant, on a besoin de plus en plus d'expertise que ce soit en termes d'accompagnement ou de soutien sanitaire et médical. Nous recommandons, en premier lieu, au sujet de la médicalisation des Ehpad, d'avoir dans les centres de gériatrie des médecins gériatres qui puissent aller travailler dans ces établissements. Nous préconisons ensuite d'avoir au sein de la direction générale de la Santé (DGS) un délégué à la prévention du risque infectieux qui piloterait cette politique sur le terrain en faveur notamment de ce public à haut risque d'infection.

Concernant les plus fragiles et les oubliés de la crise sanitaire, notre rapport rend compte d'une enquête sociologique que nous avons conduite en Seine-Saint-Denis, un département désavantagé où les problèmes d'injustice sociale sont nombreux. Nous formulons des recommandations pour ces zones. Pour la vaccination, il faut aller sur le terrain : installer des tentes en bas des immeubles, ne pas hésiter à sonner à la porte des personnes. Il faut apporter le vaccin aux populations hésitantes ou qui ont du mal à comprendre ou à se déplacer. Je crois que le Gouvernement est très sensibilisé à cette question.

Le sujet de l'obligation vaccinale est épineux. Nous sommes partiellement coupables parce que parmi les soignants, on retrouve une grande hétérogénéité des taux de vaccination. Les médecins sont davantage vaccinés que les infirmières par exemple. En Suisse, les taux de vaccination dans les EMS peuvent varier de 10 à 98 %. Les responsables des Ehpad, qu'ils soient médecins, directeurs ou infirmiers doivent jouer un rôle de modèle pour convaincre les équipes. En Suisse, il est impossible, en droit, de rendre obligatoire la vaccination mais on peut trouver des chemins détournés. Si une infirmière veut travailler en pédiatrie, qui est un secteur très demandé, alors elle doit être vaccinée contre la rougeole. La covid toutefois est une maladie qui ne tue pas assez, en comparaison d'Ebola par exemple, pour facilement instituer des conditions strictes de vaccination. À titre purement personnel, je préconiserai pour le début de l'automne d'instituer une stratégie « zéro covid » pour les soignants qui travaillent dans des Ehpad en leur laissant le choix entre deux options : soit être vacciné ou soit réaliser deux tests par semaine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion