J'écouterai la réponse à la question de ma collègue Nadia Sollogoub sur les vétérinaires avec une grande attention et j'ai, pour ma part, trois sujets de question.
On constate que les contaminations se trouvent à leur niveau le plus bas au cours de cette période d'été cette année comme l'année dernière. À l'issue de ces deux ans, avons-nous identifié les causes ? Peut-on y déceler des raisons climatiques ou les confinements ont-ils permis cette accalmie ? Peut-on en tirer des conclusions pour les années futures ?
Avons-nous, à ce jour, suffisamment de recul sur les traitements mis en place permettant de réduire les besoins en lit de grande réanimation ?
Enfin, lors d'une de nos auditions, nous avons appris que cinq milliards de documents avait été publiés sur la covid. Comment faire le tri parmi toutes ces informations publiées et comment peuvent-elles être contrôlées ?
Pr Didier Pittet. - Concernant la collaboration avec les vétérinaires, elle a été améliorée puisque récemment le docteur vétérinaire Thierry Lefrançois a été intégré au conseil scientifique. Quant au concept du one health, qui représente l'avenir de ces enjeux de santé, nous aimerions qu'il y ait un délégué pour la prévention du risque infectieux au niveau interministériel. Beaucoup de progrès ont tout de même été fait sur cette question puisque, depuis 2012, l'OMS et l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) ont commencé à collaborer. Il faut prendre l'habitude de travailler ensemble sur ces questions notamment de zoonose.
S'agissant de la troisième dose, ce n'est pas certain qu'il faille y recourir. Aujourd'hui, on donne déjà une troisième dose à certains patients les plus immunodéprimés parce qu'on le pratiquait déjà depuis longtemps pour d'autres vaccins. Pour les patients vulnérables, est-ce qu'une troisième dose sera nécessaire ? La plupart des États s'y prépare pour le début 2022 surtout. Quant à une troisième dose pour toute la population, personne ne sait si cela sera nécessaire parce qu'on ne dispose pas du recul suffisant et que tout dépend du vaccin utilisé. Les vaccins à ARN messager Pfizer et Moderna ont une capacité à produire des cellules mémoires en plus grande quantité que les vaccins classiques. Faudra-t-il se faire vacciner à intervalle régulier comme tous les un, deux ou trois ans ? On ne sait pas. Est-ce qu'avec l'immunité atteinte il n'y aura pas une compétition entre les familles de coronavirus qui entrainera un déclin de la covid ? On ne le sait pas non plus. En conclusion, les Etats se préparent à organiser une troisième vaccination. Israël sera le premier pays à le décider compte tenu de son avance en la matière. Ce que je peux dire c'est que si une troisième dose a lieu, elle devra se faire avec les vaccins à ARN messager. Enfin, et en tout état de cause, étant donné l'impact massif du virus sur nos sociétés, ce serait dommage de se priver d'une manière de régler le problème de la covid le plus vite possible en refusant la troisième dose.
Ensuite, je suis favorable à ce qu'une unité centrale spécialisée comme l'Eprus gère les stocks stratégiques tant que ce sont les spécialistes en santé qui identifient la nature et la quantité des médicaments à stocker. Par analogie, il existe au niveau de l'OMS une liste restrictive des médicaments essentiels à stocker. Bien sûr, une belle stratégie consiste à non seulement préparer logistiquement les réponses aux graves crises mais aussi à produire les médicaments dans nos territoires. Néanmoins, nous ne sommes pas allés aussi loin dans le rapport par manque de temps. Il faudrait engager la réflexion pour les vaccins et tous les autres médicaments mais, en tout cas, Emmanuel Macron détient une liste détaillée de tous les composants des vaccins et leur chaine de production.
Sur le sujet des transferts de patients entre régions ou entre pays, je suis d'accord avec vous. S'ils se sont avérés médicalement et techniquement une réussite, ils se sont aussi révélés comme des situations dramatiques au plan social et émotif. Il vaut mieux les éviter autant que possible. Toutefois, au regard des besoins qu'ont été ceux de la région Grand Est au plus profond de la crise, par exemple, on ne peut pas imaginer avoir de telles capacités d'accueil en permanence. Il faut donc trouver des moyens de pallier le manque de lits grâce notamment à la collaboration entre le public et le privé. Sur ce point, la France s'est améliorée avec le temps mais on peut toujours faire mieux. En Suisse, ce partenariat était une réussite jusqu'à ce que les structures privées, guidées par la recherche de rentabilité, n'abandonnassent les structures publiques pour reprendre leur activité habituelle.
Sur le « tester, tracer, isoler », il est certain qu'au départ, la démarche a été handicapée par le manque de tests. Tous les pays y ont été confrontés. En Suisse, les tests et même les écouvillons ont vite manqué. Néanmoins, la doctrine en France a été quelque peu défaillante également. Le développement des tests sérologiques n'était pas aussi urgent que celui des tests diagnostics. Ensuite, au moment du déconfinement, la France a été le pays qui testait le plus mais a péché par le traçage des cas positifs et leur isolement. En effet, il faut des équipes d'épidémiologistes de terrain et en particulier des fins limiers si je puis dire. Une amélioration a eu lieu tout de même. Par comparaison, à Genève, l'équipe de santé publique d'intervention compétente ne comportait que sept personnes au début de la crise pour un canton d'un demi-million d'habitants. Avec la structure créée, ils sont aujourd'hui trois cents personnes et ils devront garder cet effectif. C'est la clef du succès pour avoir un été avec un faible taux de contamination et un automne pendant lequel les clusters sont maitrisés pour garder le plus possible d'activités ouvertes.
J'en viens désormais au sujet de l'immunité des enfants et de la pertinence du vaccin pour eux. Quand les enfants s'infectent et que tout se passe bien, tant mieux. Ils sont immunisés. Il n'y a pas de mortalité chez l'enfant. On constate quelques syndromes inflammatoires graves mais pas inconnus, comme le syndrome de Kawasaki, et ce n'est pratiquement jamais mortel. Cependant, à long terme, on ne sait pas ce que sera l'effet de cette maladie. Le virus a un entropisme, c'est à dire une capacité à se coller à certains endothéliums - la couche interne des vaisseaux notamment les artères du coeur ou les artères nourricières des neurones. Je le redis : je ne souhaite cette maladie à personne. Plus vite on vaccine, mieux ce sera.
Pr Didier Pittet. - Donc les enfants seront vaccinés.