Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 juin 2021 à 9h35
Audition du professeur didier pittet président de la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, présidente :

À partir de quel âge ?

Pr Didier Pittet. - Vous savez, les essais cliniques chez l'enfant sont toujours plus longs car on est toujours plus prudent. On descend âge après âge, du jeune adulte à l'enfant. Aujourd'hui, on vaccine les enfants contre la rougeole ou la varicelle : si on avait une épidémie mondiale de varicelle, ce serait une catastrophe autrement plus compliquée à gérer que la covid. On fait des vaccins chez les enfants et c'est grâce à ces vaccins que l'on prévient et éradique les maladies, comme la variole. Donc on y arrivera, mais pas avant d'avoir les données de sécurité vaccinale chez l'enfant. C'est l'évolution normale.

Sur les retards diagnostics, je dirais : « Oui, bien sûr, mais. » Prenons un exemple simple : l'endoscopie digestive. Il y a quinze ans, en Suisse, on recommandait, à partir de 65 ans, une endoscopie par an. Aujourd'hui, on sait que l'on n'a pas besoin d'une endoscopie chaque année, mais d'une tous les trois ans ; et on a des gastro-entérologues qui se construisent des piscines ou achètent des bateaux. Dans cette médecine-là, on ne sait pas toujours jusqu'où il faut aller. Si pendant trois mois, on n'a pas fait d'endoscopie digestive aux personnes qui devaient en faire une tous les trois ans, il n'y aura probablement pas un gros impact sur le cancer du côlon. Peut-être que le gastro-entérologue devra retarder le moment où il construira sa piscine. Je le dis à dessein car il faut bien comprendre que, dans le domaine de la médecine préventive, on a des recommandations qui sont les plus logiques possibles, mais pour lesquelles on n'a pas toujours toutes les informations. Par contre, dans certaines maladies cancéreuses, dans notre hôpital, l'oncologue-chef me dit que le service a souffert de la crise car il a beaucoup travaillé, mais qu'il n'y a pas eu de perte de chance chez tel type de malade, car rien de ce qui se faisait d'habitude n'a été changé. Il faut donc remettre l'église au milieu du village. Oui, cette étude de « The Lancet », la seule disponible à l'époque, fait des évaluations à cinq ans et considère possible de manquer un tel nombre de cancers avec un tel impact et qu'il faut se rattraper. Mais il ne faut pas que l'on se rattrape bêtement, en faisant toutes les endoscopies en retard. Il faut regarder quels sont les malades qui mériteraient que l'on rattrape ce temps perdu. Il y a eu une période pendant laquelle on a moins fait de transplantations d'organes, notamment du rein. Par contre, pendant la première vague, nous avons fait une transplantation du foie qui s'est très bien passée. Il faut donc peser les choses et les étudier pour corriger le plus vite possible ce qu'il faut corriger, en évitant de peindre le diable contre la muraille. Je crois que la vie continue, les hôpitaux doivent reprendre leurs activités rapidement alors qu'il y a des gens qui sont fatigués ou démotivés. Il faut faire une balance du risque de manière à éviter ces pertes de chance, qui évidemment vont avoir un impact : si la pandémie n'avait pas eu lieu, on n'aurait pas ce doute là. Mais je crois qu'il faut les relativiser, c'est important.

Nous parlions de l'armée. Quand on demandait ce que l'armée pouvait faire, on nous a répondu qu'elle était déjà très occupée. Je le crois volontiers. Il est vrai que, pour certaines situations, l'armée est très utile. En Suisse, on y a fait momentanément appel. On utilise également beaucoup la protection civile. Je crois que l'armée peut aider pour la gestion logistique. On pense que la réserve sanitaire pourrait être revue, avec une formation permanente et une meilleure capacité de mobilisation. Il y a des réflexions à mener et je pense que l'armée peut considérablement aider le SGDSN à concevoir le concept de « stock strategy ».

Sur la recherche scientifique, Emmanuel Macron m'a dit que nous avions été complaisants et je lui ai dit qu'il avait raison car nous n'avons tout simplement pas eu le temps. Au fond, dans cette mission, on nous demandait d'évaluer et de donner des conseils pour que des choses puissent être faites immédiatement. Suite au rapport d'étape, des choses ont été mises en place au mois d'octobre. On aurait voulu que Sanofi Pasteur sorte un vaccin, peut-être deux. Ils vont arriver, ces vaccins. Il y a eu un peu de malchance à un moment donné, ce qui arrive toujours en recherche, une vision un peu différente, puis des accords sur la vision et il y a en tout cas aujourd'hui deux vaccins non conventionnels, dont l'un est un mRNA et l'autre tout à fait nouveau, en avancement. Nous aurions peut-être voulu davantage d'innovations françaises, mais il y en a eu quand même. La France a été le premier pays au monde à prendre un décret sur le prix des solutions hydro-alcooliques, ce qui a permis à chacun d'en acquérir à moindres frais. Vous avez également été les premiers à édicter des normes pour la fabrication des masques hygiéniques. Il y a eu en fait beaucoup plus de choses que l'on imagine. Néanmoins, si l'on veut savoir pourquoi les choses ne se sont pas passées comme souhaité, il faut revenir des années en arrière : pourquoi le patron de Moderna, un Français, est-il allé s'installer aux États-Unis ? Toutes les start-ups en Suisse vont s'installer aux États-Unis. C'est une réflexion de fond, mais c'est une autre mission. Je pense que, dans le domaine de la réflexion sur la production des vaccins, la France est le pays qui est allé le plus loin. Mais vous avez raison, le rapport n'aborde pas aussi bien cette question qu'il aurait pu le faire, aussi bien pour des raisons de temps que de constitution de la mission.

Concernant le climat, vous parlez de saisonnalité du virus. Pour l'instant, celui-ci a tendance à être plus facile à transmettre en automne et en hiver, mais ce n'est pas ce qu'on appelle pour autant un virus saisonnier. Il est capable de frapper dans l'hémisphère Sud : l'Australie est de nouveau confinée. Donc, pour l'instant, on peut dire que l'automne ne sera pas propice à une meilleure situation, mais on ne peut pas parler d'une véritable saisonnalité du virus.

Est-ce que le confinement a été efficace ? Oui, mais c'est une mesure extrême, qui ne consiste pas à contrôler un cluster, mais à contrôler tout le monde. On a tous été pris dans cette même façon de faire car il n'y en avait pas d'autre, sauf si on avait eu la chance d'avoir des épidémies extrêmement localisées, ce qui correspond à ce qui se passe aujourd'hui : on saute sur les clusters et on essaie de mieux les comprendre et de les stopper. Néanmoins, cela devient compliqué quand il y en a trop. Pour revenir à la question posée au début, le « zéro covid » n'était pas jouable : il aurait fallu pour cela confiner toute l'Europe en même temps pendant douze, seize ou vingt semaines et ensuite tout reprendre tous ensemble au même moment. Cela a fonctionné à Taïwan, mais ce pays a un Center for disease control absolument exemplaire, avec un ministre de la Santé, devenu Premier ministre, qui est un épidémiologiste de terrain et une méfiance permanente envers la Chine. À Taïwan, on sait où vous êtes chaque fois que vous utilisez votre carte de crédit ou que vous passez dans un endroit où il y a des caméras de télévision (et il y en a partout) et votre voisin téléphone à la police quand vous sortez de chez vous. « Tester, tracer, isoler », ça veut dire quelque chose de différent en France, à Taïwan, à Singapour et au Vietnam. Ce que ces pays érigés en modèles ont fait n'était pas jouable pour nous. Je vous rappelle qu'à Wuhan, au début, votre porte d'entrée était clouée avec des planches pour que vous ne puissiez pas sortir de chez vous. Il paraît quand même très compliqué d'établir ça en France.

Et pourtant, Taïwan connaît aujourd'hui un redémarrage de l'épidémie parce que seuls 6 % de la population sont vaccinés car la Chine bloque l'entrée des vaccins pour des raisons politiques. L'Australie, qui n'arrive pas à vacciner assez rapidement, en est au sixième confinement. Vous avez entendu que Sidney était confiné, mais vous n'avez peut-être pas entendu que tous les territoires étaient bloqués le lendemain soir : si vous étiez dans le Nord pour les vacances, vous rouliez en urgence jusqu'à la frontière car celle-ci fermait à minuit pour quinze jours. L'Europe ne pourrait pas fonctionner comme cela car nous sommes trop dépendants les uns des autres. Je crois donc que ceux qui ont proposé le « zéro covid » n'ont pas tout à fait compris ce que cela voulait dire, ce qui ne signifie pas que l'épidémiologie d'intervention sur le terrain n'est pas fondamentalement importante.

Est-ce que les traitements ont fait des progrès ? Pour ce qui est de la prévention, il n'y a pas d'autre traitement préventif que les gestes barrières aujourd'hui. Quand vous contractez la maladie, les corticoïdes, les stéroïdes, sont les seuls médicaments qui permettent une nette amélioration parmi les traitements précoces. D'autres médicaments sont toujours au stade de l'essai thérapeutique. Pour l'instant, il nous manque un antiviral.

Pr Didier Pittet. - Il y a certes les anticorps monoclonaux mais c'est une technique qui coûte très cher. On en donne seulement que dans certaines situations.

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